Massi Belaid, correspondant en stage

Michel seymour lors de sa première intervention à Upop à la Livrerie à Montréal le 18 novembre dernier.

Dans un contexte d’une économie mondialisée, comprendre et reconnaître l’importance de ce qu’est un peuple qui se situe est au cœur des enjeux majeurs de notre époque. Le philosophe Michel Seymour s’est donné pour mission de réhabiliter les concepts de nation et de nationalisme dans cette perspective. Il a présenté, le 18 novembre dernier, lors de la première de ses quatre conférences à l’UPop 1 le point de départ de son analyse globale : le peuple en tant qu’entité collective et son importance cruciale dans le monde contemporain.

Sa réflexion porte sur un point essentiel : celui de reconnaître le peuple comme une entité se plaçant au-delà des individus et dépassant leur cadre temporel. Il nie donc que les nations sont simplement des entités idéologiques ou bien imaginaires et mortifères ou bien qu’elles soient une source constante de division et de tension. Pour toutes ces raisons, le peuple comme entité est souvent écarté du débat public de gauche, qui le considère souvent à tort comme propre qu’à leurs opposants. Plusieurs à gauche préfèrent une position niant son existence, de peur d’être associé.es à une position trop nationaliste.

Monsieur Seymour réfute l’idée qu’il n’existe qu’une seule sorte de nation ou un seul peuple, qui ne peut être que souverain. Pour lui, le peuple, ce n’est pas qu’une simple collection d’individus. C’est une population dont les membres sont liés par une culture commune, une identité collective, souvent pratiquée dans les institutions sociales, économiques et culturelles. Ces institutions sont inscrites dans une trajectoire historique sur un territoire. Ainsi, la considération du peuple est essentielle à la compréhension et à la résolution de grands conflits dans le monde.

Justice réparatrice

Bien que l’existence même de ces conflits suppose une réflexion pronationale, le principe de réconciliation l’exige également. Dans l’objectif de sa pensée, il envisage plutôt le nationalisme comme étant foncièrement de gauche, dans une logique multiculturelle. Il le démontre notamment à partir du principe de justice réparatrice.

La notion de peuple permet de dépasser la simple focalisation sur les individus pour aborder les responsabilités collectives liées aux actions commises en leur nom. Elle met en lumière l’importance de considérer le rôle du groupe qu’il représente face à ces actes. Ainsi, le concept de peuple devient central pour établir des rapports justes sur des enjeux collectifs impliquant des populations entières à travers le temps et pour légitimer la nécessité d’agir face aux injustices perpétrées.

Il en fait la démonstration à l’aide d’exemples forts comme ceux des Premières Nations, se distinguant par le fait même de la stricte gouvernance d’un peuple, tout en insistant sur le caractère d’autodétermination essentiel à considérer. On a besoin d’une notion de peuple comme entité collective, qui traverse le temps et qui transcende les populations constitutives pour pouvoir s’emparer d’un enjeu comme celui de la justice réparatrice.

Comment est-ce que les populations présentes devraient corriger les erreurs commises du passé ?

Le concept permet de relier la population entière d’un même peuple, permettant de créer un sentiment de responsabilité face à ces actes passés. Même si la population change du tout au tout avec le temps, elle reste le même peuple. Ce faisant, l’entité existe et reste au-delà des individus et du temps. Le concept de peuple donne donc un sens et une pertinence aux dynamiques de réconciliation.

Il donne entre autres l’exemple de la responsabilité du peuple allemand face au peuple juif, victime de l’Holocauste, qui perdure et doit perdurer à travers le temps malgré le changement des populations qui les composent. La considération du peuple, comme l’entend monsieur Seymour, est donc primordiale dans le dialogue amenant à la réconciliation.

Le génocide en Palestine : un cas d’école

Ce principe s’applique à plusieurs conflits bien plus récents, comme celui de la responsabilité du

génocide palestinien, qui incombe aux peuples israéliens et à l’Occident de façon plus large. Il le démontre en s’attardant sur la définition de l’ONU du génocide : « Soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle. »

La définition ainsi donnée s’attarde sur l’importance du groupe (peuple) et non sur les individus. Le génocide ne signifie pas seulement la violation du droit à la vie d’un individu, mais concerne aussi bien l’effacement d’un peuple. Cet amalgame qu’on voit constamment vient effacer une majorité de pratiques génocidaires en disant qu’elles ne portent pas atteinte au droit à la vie, bien qu’elles effacent tout de même celui du groupe.

Il revient sur les intentions politiques du gouvernement de Netanyahou, qui retire l’accès à l’eau, au gaz et à l’électricité à tout Gaza. Ce « cas d’école », comme il le décrit, illustre une intention non pas simplement de tuer les individus présents à Gaza, mais plutôt de viser les responsables d’un peuple entier dans le but de provoquer sa disparition.

La lutte contre le capitalisme sauvage

Le dernier thème abordé par le philosophe est celui du capitalisme sauvage. Nous assistons à une concentration sans précédente des richesses, du capital et des moyens de production et de décision dans les mains d’une petite oligarchie. Pour Michel Seymour, ce qui caractérise le plus ces quelques groupes, c’est leur caractère strictement apatride. En effet, cette minorité détenant le pouvoir suit une logique purement économique et désincarnée.

Admettre cela, ce n’est pas nier l’importance de la lutte des classes, mais ajouter à celle-ci une lutte des peuples face à un impérialisme oligarchique. Il donne l’exemple des médias occidentaux, tous contrôlés par cette minorité, imposant leur vision du monde strictement à leur bénéfice. Les pays et différents peuples à travers le monde tentent de tirer leur épingle du jeu et d’aguicher cette minorité en leur offrant des moyens d’évasion fiscale, des réductions d’impôt sur le capital, de faibles redevances pour les compagnies extractives, etc.

On y voit là un ruissellement du mépris des classes inférieures, qui maintient les luttes des classes, tout en unissant également les classes non oligarchiques. Cette condition devrait plutôt nous placer comme un seul et même peuple, uni pour lutter contre cet abus.

Cette conférence donne un bon avant-goût des deux suivantes, prévues les 2 et 9 décembre, et trace une ligne directrice présageant un discours digne d’être écouté par un grand nombre. Ceci souligne l’importance de l’UPop d’organiser ce genre d’événement.

Pour en savoir plus:

On peut accéder à la page du livre de Michel Seymour en cliquant sur l’image:  Nation et autodétermination au XXIe siècle.

On peut aussi visionner la présentation qu’il fait du livre avec la vidéo ci-dessous. Il a préparé cinq autres vidéos que vous pouvez obtenir sur son espace sur le site Youtube.

  1. Il s’appuie notamment sur son plus récent ouvrage : Michel Seymour 2024, Nation et autodétermination au XXIe siècle, PUM, 600 pages[]