Migrer pour vivre : nouveaux défis des migrations haïtiennes

 

Concertation pour Haïti (CPH), 13 juin 2019

Alors qu’Haïti vit encore des moments difficiles, la Concertation pour Haïti (CPH) tient à réitérer sa solidarité avec le peuple haïtien et avec les organisations haïtiennes de droits humains dans leur prise de position sur la crise actuelle. La CPH espère ardemment que cette conjoncture débouchera sur des jours meilleurs pour Haïti.

Comme prévu dans son programme de travail, la CPH s’est réunie le 13 juin dernier dans le cadre d’un mini-colloque sur les migrations haïtiennes. Elle a retenu les éléments suivants des informations partagées.

  • Alors que traditionnellement les migrations haïtiennes se dirigeaient vers la République dominicaine, Cuba, le Canada, les États-Unis, les Antilles françaises et les Bahamas, de nouvelles destinations en Amérique latine se sont ajoutées au tournant du 21e siècle, surtout après le séisme de janvier 2010, à savoir, le Brésil, le Chili ou encore l’Équateur. 
  • Les destinations traditionnelles sont touchées par de nouveaux enjeux comme la question du TPS (Temporary Status) aux États-Unis, les moratoires sur les expulsions au Canada et les arrivées irrégulières à la frontière canado-américaine. Les migrations en Amérique latine évoluent aussi. Par exemple, le Brésil a été une destination prisée entre 2010 et 2015, mais, depuis 2016, à cause des difficultés économiques et politiques, il est devenu un pays de transit. Le Chili a refermé ses portes après une période de grande ouverture. Beaucoup de migrants et migrantes haïtiens en Amérique latine essaient de rejoindre « l’Eldorado » des États-Unis, malgré tous les obstacles sur la route.
  • La catégorisation des personnes migrantes laisse en marge les Haïtiens et Haïtiennes qui ne se qualifient ni comme réfugiés ni comme migrants économiques. Le mouvement migratoire haïtien résulte aussi de problèmes écologiques, une question qui est difficilement prise en compte par le système international de protection.
  • Le régime politique en Haïti fait tout pour encourager l’émigration mais cette émigration n’a aucun soutien des instances consulaires. C’est un État en conflit avec sa diaspora. Pour la migration haïtienne, la faiblesse de l’État pour protéger sa population est un enjeu important.
  • Les politiques nationales sont de plus en plus restrictives dans les pays d’arrivée. Cependant, même si le système international est relativement faible, l’adoption récente du Pacte mondial a permis de regrouper l’ensemble des droits des personnes migrantes reconnus par le droit international et de rappeler les principes fondamentaux qui devraient guider les législations nationales. Il est utile de se rappeler que c’est par le biais du développement que la question de la migration a été introduite aux Nations-Unies.
  • Le Forum Mondial sur la Migration et le Développement (Mexique, 2010), reconnaissant que les migrations constituent un enjeu transnational sans être l’objet d’une véritable coopération, s’était donné comme objectif de faire en sorte que « … les politiques migratoires servent le développement des régions d’origine des migrants, et qu’à terme cela aboutisse à supprimer les raisons pour lesquels ces derniers quittent leur pays ».

Recommandations

Autour du Pacte sur les migrations

Le 10 décembre 2018, à Marrakech, au Maroc, cent-soixante-quatre pays, dont le Canada, ont approuvé le Pacte mondial sur les migrations. Ce Pacte constitue le premier document négocié sous l’égide de l’ONU visant une approche commune des migrations internationales dans toutes ses dimensions.

Le Pacte est juridiquement non contraignant. Tout en réaffirmant « le droit souverain des États de définir leurs politiques migratoires nationales […] dans le respect du droit international », il crée « un cadre de coopération internationale en matière de migration entre tous les acteurs compétents […] sachant qu’aucun État ne peut gérer seul la question des migrations ».

Le Pacte suggère un ensemble de mesures afin de mieux gérer les migrations au niveau domestique, régional et mondial. Il repose sur des principes clefs, tels que le respect des droits humains, et préconise aussi de s’attaquer aux causes qui poussent les personnes à l’exil, lutter contre l’immigration clandestine, gérer les frontières « de manière intégrée, sûre et coordonnée », faciliter les voies de migration légale et optimiser le retour dans les pays d’origine.

Un des objectifs du Pacte est d’atténuer les « facteurs négatifs et les problèmes structurels » qui « forcent » les migrants à « rechercher un avenir ailleurs ». Un autre objectif du Pacte est de réduire les risques et les vulnérabilités auxquels sont exposés les migrants aux différentes étapes de la migration, incluant dans le pays de destination.

  1. La CPH demande aux élus des partis politiques présents à l’Assemblée nationale du Québec de soumettre au débat l’Accord global sur les migrations et de proposer la ratification du Pacte mondial sur les migrations et du Pacte mondial sur les réfugiés. L’adoption d’une convention internationale s’est déjà produite à quelques reprises par l’Assemblée nationale du Québec, rappelons notamment la signature de la Convention pour les droits des enfants le 9 décembre 1991, ou de la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, adoptée en 2005.
  2. La CPH demande au Canada et au Québec de reconnaitre et de mentionner de façon systématique dans leurs relations avec Haïti – et dans les échanges avec le Core Group – le lien entre la stabilité et la sécurité du pays avec le déplacement forcé des Haïtiens.
  3. La CPH insiste pour qu’une attention particulière soit accordée aux conséquences des changements climatiques sur la migration.
  4. La CPH enjoint les gouvernements canadien et québécois de contribuer au renforcement de l’État haïtien, notamment en privilégiant par l’aide internationale des projets structurants au plan institutionnel.
  5. La CPH demande au gouvernement canadien, à l’instar du Conseil canadien pour les réfugiés (CCR) et d’Amnistie internationale, de suspendre l’Entente sur les tiers pays sûrs avec les États-Unis. Les réfugiés doivent pouvoir demander l’asile là où ils le désirent et où ils peuvent trouver la sécurité.

Concernant la situation des revendicateurs déjà au Canada et au Québec

Les gouvernements canadien et québécois doivent reconnaitre qu’Haïti n’est pas en mesure de recevoir en toute sécurité et d’intégrer les Haïtiens et Haïtiennes déportés : leur retour forcé dans les conditions actuelles ne fait que déstabiliser davantage le pays et provoquer une intensification des phénomènes de traite et de trafic des êtres humains par des voies et des formes dangereuses de migration. En outre, ce retour est particulièrement grave lorsque les personnes ont mis des années à construire leur vie dans ce nouveau pays, avec des enfants qui y ont grandi.

  1. La CPH insiste sur l’importance pour les gouvernements canadiens et québécois de développer des politiques publiques relatives à la régularisation des migrations à partir d’une approche fondée sur les droits où priment l’intérêt supérieur des enfants et le droit au regroupement familial. Ces politiques doivent être accompagnées de mesures d’intégration locale. Les trop nombreuses années que doivent passer les personnes en situation irrégulière, sous moratoire d’expulsion ou en attente de décision sur leur statut, contribuent à fragiliser ces personnes et à nuire à leur insertion sociale et économique.
  2. La CPH demande aux gouvernement canadien et québécois de permettre, notamment aux personnes qui sont au Canada suite à l’application d’un moratoire sur les expulsions, d’accéder à tous les services et programmes nécessaires à leur intégration socio-économique, comme par exemple les programmes de formation professionnelle.

Au gouvernement du Canada

  1. La CPH appuie la demande du CCR relative à l’abolition des « mesures anti-réfugiés » incluses dans le projet de loi sur le budget déposé en avril 2019. Les deux mesures proposées par le projet de loi C-97 auxquelles nous nous opposons visent à modifier la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés afin:
  2. d’introduire un nouveau motif d’irrecevabilité d’une demande de protection si un demandeur d’asile a déjà présenté une demande d’asile dans un autre pays (notamment aux États-Unis).
  3. de prolonger l’interdiction de présenter une demande d’évaluation des risques avant renvoi (ERAR) ou une demande de considérations d’ordre humanitaire pour les demandeurs d’asile qui demandent un contrôle judiciaire à la Cour fédérale.

Au gouvernement du Québec

  1. La CPH appuie la demande du CCR adressée aux gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux d’inclure explicitement toutes les personnes qui résident au Canada dans les mesures de réduction de la pauvreté, y compris les travailleurs migrants, les demandeurs d’asile et les autres personnes ayant un statut d’immigration précaire. Une attention particulière devrait être portée à la question du logement : affectation de plus de ressources en matière de logement abordable, révision des dispositions en vue d’assurer un revenu et une aide sociale adéquats, inclusion des réfugiés et des demandeurs d’asile dans les projets de logements abordables, élaboration de solutions de logement appropriées à court terme pour les demandeurs d’asile qui viennent d’arriver, incluant des services d’établissement.
  2. La CPH appuie la Table de concertation des organismes au service des personnes réfugiées et immigrantes (TCRI) dans sa demande au gouvernement québécois concernant l’annulation de l’article 3 du Règlement sur la contribution réduite qui empêchent les demandeurs d’asile d’avoir accès aux CPE, aux milieux familiaux régis et aux garderies subventionnées. Le non-accès aux services de garde à contribution réduite représente l’obstacle le plus important à l’intégration sociale et professionnelle des femmes demandeuses d’asile.
  3. La CPH demande au gouvernement québécois d’étendre cet accueil inconditionnel à l’ensemble des services de santé, d’éducation et d’aide juridique.
  4. La CPH s’objecte à toute nouvelle répartition des quotas d’immigration qui favoriserait les personnes immigrantes de la catégorie économique au détriment de la réunification des familles et de l’accueil des personnes réfugiées.

À propos de la situation en République dominicaine et ailleurs dans les               Caraïbes et en Amérique latine.

  1. La CPH demande au gouvernement canadien d’inviter l’OEA à développer une stratégie continentale pour des solutions durables en faveur des migrants, tel que recommandé par le Réseau jésuite pour les migrants réuni à Port-au-Prince le 22 août 2018: l’attention aux migrants et réfugiés de la région «  peut commencer par des mesures allégeant les procédures en les rendant moins couteuses, en implémentant des politiques migratoires justes et en accordant un traitement humain à chaque migrant et réfugié indépendamment de la couleur de sa peau, sa nationalité, son niveau d’éducation, etc. ».
  2. La CPH recommande aux gouvernements canadien et québécois de répondre favorablement à toute demande de soutien technique et financier d’Haïti afin de renforcer le processus de remise de documents d’identité, de certificats de naissance et de passeports aux migrants.

Au gouvernement d’Haïti

  1. La CPH invite le gouvernement haïtien à se doter d’une stratégie nationale de mise en œuvre du Pacte mondial sur les migrations, incluant la participation des ministères chargés du développement et des affaires étrangères ainsi qu’un mécanisme de suivi annuel public.

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît, entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici