Rozana Ryan, correspondante
À l’occasion du 1er juillet et de la période des déménagements, nous publions un article d’une stagiaire au journal au cours des derniers mois, sur l’enjeu du logement au Québec, un sujet d’actualité partout sur la planète, malgré son angle plus local. – NDLR
La crise du logement à Montréal, peu importe le nom qu’on souhaite lui donner, n’a rien de récent. Elle ne cesse de s’aggraver, touchant durement les jeunes générations et exacerbant les inégalités sociales.
L’abordabilité en péril
Avec des loyers atteignant des sommets inédits — 1 483 $ pour un 3 ½, 1 828 $ pour un 4 ½, et 2 293 $ pour un 5 ½ selon un article de Quentin Dufranne dans La Presse — la crise du logement s’est transformée en une crise de l’abordabilité.
Le phénomène des « rénovictions », où les propriétaires évincent des locataires sous prétexte de rénovations, contribue à l’instabilité. Parallèlement, l’essor des locations à court terme prive le marché locatif de nombreux logements. La classe moyenne est désormais en première ligne, subissant les conséquences d’une crise qui s’étend bien au-delà des populations traditionnellement vulnérables.
Un discours trompeur
Le gouvernement québécois et le milieu des affaires présentent la crise du logement comme un problème de sous-construction apparu avec la pandémie. Selon eux, les obstacles au développement résidentiel, comme la soi-disant réglementation excessive de certaines municipalités et les processus administratifs complexes, seraient les principaux coupables. Le Règlement pour une métropole mixte de la Ville de Montréal, surnommé « 20-20-20 », est fortement critiqué au sein du secteur privé. Pourtant, c’est lui qui exige des promoteurs qu’ils incluent à leurs projets une portion de logements sociaux, abordables et familiaux.
Cette logique capitaliste de croissance économique met en avant la construction de nouveaux logements comme solution miracle et ignore le fait que même les nouveaux logements sont tout autant hors de prix pour la majorité des Montréalais. L’approche simpliste de M. Legault est remise en question par plusieurs, dont l’Institut de recherche et d’informations socio-économiques (IRIS). Leur note de juin 2024, intitulée « Les grands gagnants de la crise du logement », souligne que l’augmentation de l’offre n’a pas nécessairement d’effet sur la baisse des prix. Le problème réside plutôt dans la priorité accordée au logement lucratif, incompatible avec les besoins de la population.
Une crise aux gagnants et aux perdants
Les spéculateurs immobiliers et les investisseurs privés sortent grands gagnants de cette crise, accumulant profits et biens immobiliers. En revanche, les locataires, surtout les jeunes, en paient le prix fort.
L’injustice intergénérationnelle est palpable : alors que les générations précédentes pouvaient accéder à la propriété, les jeunes d’aujourd’hui sont coincés dans un marché locatif de plus en plus inaccessible. Cette réalité pèse sur leur indépendance et leur bien-être mental.
La crise du logement contribue également à l’aggravation de l’itinérance, une situation alarmante visible à travers la ville. En 2023, l’itinérance visible dans la province à augmenter de 44 %, explique Véronique Lapalme, doctorante en travail social, lors du colloque sur le logement et la justice sociale à l’Université de Montréal.
Les récentes politiques de François Legault, visant à libéraliser le secteur de la construction résidentielle, ont favorisé cette dynamique et favorisent les inégalités des droits locatifs. Le projet de loi 31, permettant aux propriétaires de refuser la cession de bail, prouve à quel point le gouvernement caquiste ne prend pas au sérieux la situation actuelle.
Une crise ancrée dans la société
La crise du logement est une conséquence directe des dynamiques capitalistes et des politiques néolibérales mises en place depuis les années 1980. Les politiques publiques doivent s’engager à dépasser ces logiques pour adopter des approches axées sur l’économie sociale et les organismes à but non lucratif.
Il est crucial de repenser le modèle actuel de développement résidentiel. L’approche envers cette crise ne peut pas trouver de solution sans une perspective de justice sociale et de régulation des prix de la part des politiques publiques. Le logement social, contrairement au logement abordable qui reste dans le giron du marché privé, offre une solution durable.
L’IRIS propose des pistes de solutions en se détachant des pratiques actuelles. L’augmentation de l’offre de logements, sans distinction, ne suffit pas. Il est impératif de prioriser la construction de logements sociaux et abordables sans but lucratif, qui échappent aux règles du marché et garantissent une véritable accessibilité financière.
Des modèles inspirants
L’Unité de travail pour l’implantation de logement étudiant (UTILE), une initiative née du mouvement étudiant de 2012, est spécialisée dans ce type de logement destiné à une population aux études. C’est le parfait exemple d’un modèle de logement neuf à but non lucratif qui aide une population vulnérable.
Vivre en Ville, suggère également des mesures pour freiner la spéculation immobilière, comme l’instauration d’un registre universel des loyers. Certains modèles internationaux, comme celui de Vienne, où 62 % des logements sont à but non lucratif, montrent qu’il est possible de garantir un accès équitable au logement tout en préservant la justice sociale avec la création de pactes générationnels. La capitale autrichienne a aussi réussi à changer la mentalité des habitants en valorisant l’idée d’être locataire à travers des publicités un peu partout dans la ville.
Des initiatives telles que les fiducies foncières communautaires, comme on peut le voir à Burlington au Vermont, et le renforcement des coopératives de logement sont des pistes à explorer pour offrir des solutions durables et équitables. Seule une approche holistique et inclusive permettra de garantir un avenir où chacun pourra trouver un logement digne et abordable.