Protestant lors du No kings parade à New York (juin 2025) Crédit: Moonlightonasnowynight
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Laila Abed Ali, correspondante en stage

Alors que le retrait du maire sortant, Eric Adams, annonce un front contre Zohran Mamdani à la mairie de New York, le contexte aux États-Unis jette une ombre sur la campagne fulgurante du socialiste. Nous avons rencontré Michael Pelias*, professeur à New York, pour connaitre son analyse de l’état de la gauche new-yorkaise, des défis politiques de Zohran Mamdani et des priorités urgentes pour les mouvements progressistes.

La montée de Mamdani dans un contexte de dispersion de la gauche

La figure de Zohran Mamdani, jeune élu inspiré par Bernie Sanders, illustre cette dynamique. Selon Pelias, sa campagne est profondément liée à l’esprit de 2016, lorsque Sanders avait tenté d’imposer une aile progressiste au sein du Parti démocrate, malgré son statut d’indépendant.

Le mouvement autour de Mamdani séduit par son financement populaire et sa base jeune, mais Pelias reste prudent : pour lui, il ne s’agit pas d’une force révolutionnaire. Plutôt que de rompre avec le système, il incarne une nouvelle version du New Deal, réadaptée au contexte actuel.

Pour Pelias, il faut être clair : « il n’y a pas de réelle gauche organisée aujourd’hui à New York » . Il existe bien des individus et des collectifs militants, mais pas de force unifiée capable de se présenter comme une alternative solide. Cette division affaiblit la capacité de la gauche à agir ensemble, même si l’énergie et l’engagement des militants demeurent bien présents.

Des obstacles politiques et financiers

Interrogé sur les défis auxquels Mamdani doit faire face, Pelias pointe d’abord le poids colossal de l’industrie immobilière, moteur de la gentrification depuis plus de quarante ans. La ville dépend aussi beaucoup de l’argent de l’État de New York, ce qui oblige n’importe quel maire à négocier en permanence avec le gouvernement installé à Albany. Les oppositions internes au Parti démocrate représentent un autre obstacle : si la gouverneure a donné son soutien, des figures nationales comme Hakeem Jeffries, Chuck Schumer ou Kirsten Gillibrand refusent toujours de l’appuyer.

De plus, Mamdani fait face à une hostilité très organisée de la part de certains groupes, notamment la communauté sioniste new-yorkaise, qui investit massivement contre lui.

Malgré tout, Pelias reconnaît en lui « un visage neuf, brillant et bien préparé », issu d’un milieu familial favorable à l’engagement intellectuel et politique.

 Les urgences : logement et éducation

 Parmi les priorités immédiates, Pelias insiste sur deux dossiers : l’abordabilité du logement et la qualité de l’éducation. À New York, un étudiant doit souvent partager un appartement avec plusieurs colocataires, parfois dans des conditions précaires.

Quant à l’éducation, elle est menacée par un endettement massif : en moyenne, l’équivalent de 40 000 $ canadiens à la fin d’un baccalauréat. Mais au-delà des chiffres, c’est la substance même des études qui l’inquiète. Les sciences humaines perdent leur rôle critique et tendent à se transformer en discours de conformité, affaiblissant la capacité des jeunes à penser autrement.

 Mamdani, un espoir fragile

Peut-on espérer qu’une figure comme Mamdani construise une infrastructure durable pour la gauche ? Pour Pelias, il est trop tôt pour le dire. Son émergence est « une bouffée d’air frais », mais elle devra résister à la dure réalité politique new-yorkaise.

Ce qui est certain, c’est que sa candidature reflète une stratégie plus large : investir les élections locales, notamment municipales, où se concentrent les populations. Pour Pelias, les mairies sont désormais un terrain clé, à la différence du niveau fédéral, souvent hors de portée.

 New York est une ville dominée par l’argent, où chaque avancée progressiste semble être un combat contre des forces puissantes. Pourtant, voir émerger un candidat socialiste démocrate crédible à la mairie reste une anomalie historique.

Aux yeux de Pelias, cette situation témoigne d’une certaine résilience : malgré le trumpisme et un système profondément inégalitaire, des mouvements progressistes persistent, inspirant une nouvelle génération. « Il ne faut pas surestimer ce moment, mais il reste porteur d’espoir », conclut-il.

Une gauche new-yorkaise fragile mais encore vivante

L’entretien avec Michael Pelias fait ressortir l’image d’une gauche new-yorkaise fragile mais encore vivante. Il s’agit d’un ensemble de projets dispersés qui, même face à des obstacles majeurs, restent animés par l’idée qu’il existe toujours de nouvelles voies à explorer.

De plus, même sans unité globale, la gauche new-yorkaise n’est pas inactive. Des collectifs se mobilisent contre « ICE » et pour les droits des immigrants. Les universités servent encore d’espaces d’éducation politique, malgré un contexte institutionnel difficile. Pelias cite notamment le People’s Forum, situé en plein Manhattan, comme un lieu de rassemblement essentiel pour les jeunes militants et les intellectuels https://peoplesforum.org/. D’autres initiatives, comme Woodbine à Brooklyn ou de petits collectifs de quartier, forment des poches de résistance qui rappellent, selon lui, certaines dynamiques observées à Montréal.

Left Forum

Par ailleurs, les évènements de la gauche à New York restent précaires. Suite au décès de Charlie Kirk, l’assemblée du Left Forum prévue le 9 octobre vient d’être annulée en raison de la montée des violences politiques aux États-Unis, principalement dirigées contre la gauche. Le professeur tente lui-même de participer à l’organisation en mars prochain d’un grand rassemblement collectif qui pourrait réunir plus de 2000 personnes, mais l’initiative reste compliquée à mettre en place dans le contexte politique tendu causé par l’ère de Trump.

Michael Pelias

* Engagé de longue date dans les débats intellectuels et militants, il enseigne à la Long Island University et au Brooklyn College. Il est aussi cofondateur de la revue Situations: A Project for the Radical Imagination et directeur de l’Institute for the Radical Imagination, un laboratoire d’idées qui propose des cours alternatifs en philosophie et en politique.