Moussa Tchangari, publié le 7 mai 2020
Au cours de ces derniers mois, l’actualité judiciaire a été particulièrement marquée au Niger par l’interpellation et l’emprisonnement de nombreux acteurs de la société civile, ainsi que de citoyen(ne)s sans aucune affiliation associative. Entre le 15 mars et aujourd’hui, pas moins de cent (100) personnes, tant à Niamey qu’à l’intérieur du pays, ont été ou sont toujours privées de leur liberté; tantôt pour des faits liés à des manifestations, et tantôt pour des publications ou des propos tenus sur les réseaux sociaux.
Aujourd’hui, il règne au Niger un climat d’insécurité judiciaire pour tout acteur de la société civile et pour tout citoyen critique sur les réseaux sociaux. Cette insécurité résulte du recours, presque systématique, à la procédure de la garde à vue et de la détention préventive. C’est le lieu de souligner que sur les dizaines de personnes interpellées au cours de ces derniers mois, celles qui ont échappé à la garde à vue et à un mandat de dépôt en prison ne représentent qu’une infime minorité.
A l’heure où partout dans le monde la pandémie du Covid 19 induit une certaine inflexion de la politique carcérale et pénale, au Niger, on continue d’envoyer ou de maintenir en prison des personnes qui ne représentent aucune menace pour la société. Certes, plusieurs centaines de personnes, notamment des personnes condamnées, ont été libérées en raison de cette pandémie; mais, il est frappant de constater que les risques liés à la pandémie sont totalement ignorés quand il s’agit des acteurs de la société civile ou de citoyens dont les actions, même légitimes, sont perçues comme une menace pour le pouvoir en place.
Au regard de cette situation, il est impératif que les citoyens et citoyennes se mobilisent pour dénoncer l’instrumentalisation manifeste des pans entiers de la justice nigérienne par le pouvoir exécutif. Comme tout le monde a pu le constater ces derniers mois, la justice dans notre pays est loin d’être indépendante du pouvoir exécutif ; en particulier lorsqu’il s’agit des questions politiques ou liées à l’exercice des droits constitutionnels, ou lorsqu’il s’agit d’affaires opposant des citoyens ordinaires aux hommes de pouvoir ou d’affaires.
Il y a quelques semaines, nous étions nombreux à nous réjouir de l’action courageuse du syndicat autonome des magistrats du Niger (SAMAN) et des autres acteurs de la justice, les avocats notamment, dénonçant l’interférence du pouvoir exécutif dans l’affaire dite des malversations au ministère de la défense; mais, nous avons eu le temps de comprendre assez vite qu’une « journée justice morte » menée par les gens de la maison ne suffira pas à changer une tradition d’instrumentalisation établie depuis longtemps.
En tout cas, même si le dossier de l’audit du ministère de la défense est entre les mains du procureur, il reste que pour le moment seuls nos camarades sont en prison. Le maintien en détention de Maikoul Zodi, Halidou Mounkaila, Moussa Moudi, est un révélateur patent d’une asymétrie dans le traitement des dossiers; tout comme le placement à la prison de haute sécurité de Koutoukale de certains manifestants de Niamey. Le message est clair : « on peut envoyer les récalcitrants dans n’importe quelle prison, même à Koutoukale, on les garde le temps qu’on veut, on les libère quand on veut ». La liberté n’est pas sacrée pour la justice, ou du moins certains magistrats, au Niger.