Rémi Bachand, Judith Berlyn, Martine Eloy, Mouloud Idir, Raymond Legault, Suzanne Loiselle du Groupe de travail du Collectif Échec à la guerre, 8 janvier 2020
Le 3 janvier dernier, l’assassinat du général iranien Qassem Soleimani par des drones étasuniens, sur ordre du président Trump, a fait passer la politique étasunienne envers l’Iran à un autre niveau, particulièrement inquiétant. À la campagne de démonisation et aux sanctions draconiennes, s’est maintenant ajouté un acte de guerre délibéré ciblant une des figures dominantes du régime iranien, en violation flagrante de l’article 2.4 de la Charte des Nations Unies portant sur la menace ou l’emploi de la force dans les relations internationales. Quatre jours plus tard, le 7 janvier, les Gardiens de la révolution islamique ont riposté en lançant une vingtaine de missiles balistiques contre deux bases militaires en Irak, abritant des troupes étasuniennes, irakiennes et autres, apparemment sans faire de morts. Même si le président Trump n’a annoncé aucune escalade militaire dans sa conférence de presse du 8 janvier, il a réaffirmé toute sa rhétorique mensongère contre l’Iran. Le risque demeure donc très élevé qu’éclate, dans les semaines et les mois à venir, une agression à plus grande échelle des États-Unis contre l’Iran, provoquant un embrasement de toute la région.
L’assassinat : justifications absurdes et menaces illégales
Sitôt après l’assassinat, les raisons – souvent loufoques – invoquées par le président Trump et son administration pour le justifier se sont multipliées : éviter une guerre, ou en raison d’attaques imminentes que Soleimani préparait, ou en raison des milliers de morts de soldats étasuniens dont il était déjà responsable, ou débarrasser le peuple iranien d’un « monstre », etc. À cela se sont ajoutées des assertions totalement absurdes, le vice-président Pence lui imputant un rôle dans les attentats en 2001 et le président Trump dans l’attaque de Benghazi en 2012 contre des diplomates étasuniens !
Puis, Trump a d’abord servi un autre des avertissements provocateurs auxquels il nous a habitués avant de se rétracter : si l’Iran s’en prend à du personnel ou des installations militaires étasuniennes, 52 sites en Iran, dont certains d’une grande importance culturelle, seront frappés immédiatement dans une riposte qu’il a lui-même qualifiée de « peut-être disproportionnée ». Le tout, à nouveau, en violation flagrante du droit international et même des lois étasuniennes.
L’empire étasunien : guerres, illégalités et mensonges sans fin
Malgré l’atmosphère de téléréalité absurde dans laquelle a toujours baigné l’administration Trump, les médias ont tort d’insister là-dessus alors qu’elle demeure malgré tout en parfaite continuité avec le caractère mensonger, belliqueux et hors-la-loi de la politique étrangère étasunienne des deux dernières décennies de guerre, prétendument « contre le terrorisme ».
En effet, les mensonges de Trump et ses acolytes ne font que s’ajouter à ceux concernant les armes de destruction massive que l’Irak ne possédait pas en 2003 et les liens que Saddam Hussein n’avait jamais eus avec Al Qaïda, ou ceux, constants, des administrations de George W. Bush, Barack Obama et Donald Trump concernant les « progrès réalisés » dans la guerre en Afghanistan, mensonges confirmés hors de tout doute par les « Afghanistan papers » publiés par le Washington Post le 9 décembre dernier.
De la même façon, l’illégalité des actions et des menaces de guerre actuelles de Trump ne fait que s’ajouter à l’illégalité de l’invasion de l’Irak en 2003, de la torture pratiquée à grande échelle par les États-Unis de 2001 à 2008, du renversement du gouvernement libyen en 2011 et des milliers d’assassinats extra-judiciaires – dont des milliers de civils – dans leur guerre de drones en Afrique, au Moyen-Orient et en Asie centrale.
Finalement, Trump a beau avoir fait campagne en disant vouloir mettre fin aux guerres sans fin de l’empire étasunien, sa présidence a vu le budget du Pentagone passer de 610 à 738 milliards de dollars US, une augmentation de 21 % en trois ans. Depuis mai dernier, environ 21 000 soldats étasuniens de plus ont été envoyés au Moyen-Orient, une indication claire d’une volonté, à tout le moins, d’intimidation à l’égard de l’Iran et, probablement, d’agression ouverte dans la prochaine période. En parfaite continuité avec les guerres de ses prédécesseurs donc.
Les élections à venir et le discours de Trump le 8 janvier
Cela fait plus de 40 ans que l’Iran est dans la mire des États-Unis. L’offensive de Trump à cet égard (retrait de l’Accord de Vienne, réimposition de sanctions draconiennes, et assassinat de Soleimani), même si elle s’inscrit dans la dénonciation des années Obama, n’est donc pas si étonnante. Cette offensive accorde d’ailleurs parfaitement les intérêts d’un complexe militaro-industriel assoiffé de profits, d’un establishment néoconservateur cherchant la guerre avec l’Iran et d’un président narcissique dont l’intérêt central actuellement semble être de mettre en place des « conditions gagnantes » pour sa propre réélection. À cet égard, les événements des derniers jours auront eu pour effet de détourner les projecteurs de la procédure de destitution le visant.
Mais il y a beaucoup plus. La projection de l’image d’un président fort face à un Iran démonisé, un président qui ne veut pas la guerre mais qui n’hésitera pas à la faire « si nécessaire », pourrait se révéler un atout pour Trump au cours des prochaines élections. Selon Brittany Kaiser, ex-employée de Cambridge Analytica et lanceuse d’alerte, cette compagnie ainsi que le centre de « recherche » républicain America Rising ont déjà réalisé des sondages pour mesurer non seulement l’importance de l’opinion étasunienne en faveur d’une guerre avec l’Iran, mais aussi et surtout combien de personnes indécises pourraient être amenées à penser ainsi et avec quel type de publicités spécifiques il faudrait les cibler, s’il s’agit là d’une piste électoralement prometteuse.
Or c’est précisément sur ce bouton de démonisation de l’Iran que Trump a surtout appuyé dans sa déclaration du 8 janvier, au lendemain des attaques de missiles sur les deux bases étasuniennes, en répétant que l’Iran était le principal commanditaire du terrorisme dans la région, que Soleimani était le terroriste # 1 du monde, que l’Iran avait créé un véritable enfer en Irak, en Syrie, en Afghanistan et au Liban, que la volonté de l’Iran de se doter de l’arme nucléaire menaçait le monde civilisé, etc.
Par ailleurs, Trump est sûrement conscient qu’une guerre déclenchée trop rapidement et qui entraînerait trop de victimes étasuniennes à court terme pourrait plutôt se retourner contre lui. Pour cette raison, il n’est probablement pas aussi pressé d’attaquer massivement l’Iran que certains faucons néoconservateurs, nombreux dans son entourage…
D’autres impacts immédiats fort négatifs
Même si les risques d’une surenchère militaire directe sont écartés pour le moment, d’autres actes de guerre provocateurs de la part des États-Unis – et même une conflagration majeure – demeurent une nette possibilité dans les prochains mois. Mais l’assassinat du général Soleimani risque d’avoir d’autres conséquences négatives d’importance en Iran, en Irak et même ici.
En Iran, les mouvements populaires de protestation de la dernière période contre la cherté de la vie, leur répression brutale et le débat social qui avait cours sur ces sujets ont subitement été évacués de l’actualité. La pression est maintenant maximum pour faire taire toute dissidence, face à la menace, par ailleurs bien réelle, de l’ennemi étasunien. Et cela risque fort de renforcer les courants conservateurs lors des élections législatives de février prochain.
En Irak, un soulèvement populaire sans précédent (plus de 500 morts et 25 000 blessés) persistait depuis 3 mois et dénonçait sans relâche la corruption des élites politiques et les ingérences étrangères (de l’Iran et des États-Unis) dans la politique irakienne et revendiquait un patriotisme irakien non sectaire. Or l’agression étasunienne a donné un nouveau souffle aux élites discréditées, proclamant leur volonté de défendre la souveraineté du pays, d’expulser les troupes étasuniennes et de ne pas laisser l’Irak devenir le terrain de l’affrontement entre les É.-U. et l’Iran (des revendications qui, par ailleurs, font sûrement écho à la volonté populaire sur ces enjeux). Certaines milices shi’ites irakiennes, qui avaient participé à la répression brutale du soulèvement s’en trouvent maintenant quasi-réhabilitées, du fait qu’un de leurs généraux et d’autres combattants ont aussi été tués dans l’attaque des drones étasuniens survenue le 3 janvier.
Ici même, au cours des derniers jours, des dizaines de ressortissants iraniens ou possédant la double nationalité ont été longuement retenus et interrogés par des douaniers étasuniens à la frontière canadienne. Le discours de démonisation du gouvernement Trump face à l’Iran est-il en train d’instaurer une nouvelle ère de profilage et de harcèlement à l’égard de cette communauté ?
Et le Canada là-dedans ?
Comme nous l’avons déjà mentionné, le Gouvernement du Canada se manifeste très peu dans le dossier iranien. Après avoir déploré que les États-Unis se soient retirés de l’Accord de Vienne en 2018, il s’est rapidement dit « préoccupé par le programme nucléaire iranien » et a appelé l’Iran à respecter ses engagements en vertu de l’Accord. Plutôt que de dénoncer ouvertement le caractère illégal et provocateur de l’assassinat du général Soleimani, le Premier ministre du Canada n’a fait absolument aucune déclaration, alors que son nouveau ministre des Affaires étrangères, François-Philippe Champagne, s’est limité à une déclaration écrite de 95 mots appelant « toutes les parties à faire preuve de retenue et à poursuivre (!) la désescalade » et se disant « depuis longtemps préoccupé par la Brigade al-Qods des Gardiens de la révolution islamique, dirigée par Qasem Soleimani, dont les actions agressives ont eu un effet déstabilisateur dans la région et au-delà. »
Conclusion
Nous appelons la population québécoise à s’opposer au projet de guerre des États-Unis contre l’Iran et à demeurer vigilants face aux positions adoptées par le Gouvernement du Canada.
En réponse à un appel à des actions internationales d’opposition au projet de guerre des États-Unis contre l’Iran, nous vous invitons à participer en grand nombre à une manifestation à Montréal, samedi le 25 janvier pour dire NON aux préparatifs de cette guerre. D’autres informations à ce sujet suivront sous peu.
En appui au soulèvement populaire dénonçant les ingérences étrangères en Irak, exigeons aussi le retrait des troupes canadiennes de ce pays et de toute la région.