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Mégane Arseneau, correspondante en stage
Un film, des voix, une institution mise à nu. Nuns vs Vatican, présenté au Festival international du film de Toronto, expose une réalité troublante : derrière les murs des couvents, sous les dorures des chapelles, c’est toute une structure patriarcale qui s’est acharnée à faire taire une partie de leurs victimes : les religieuses. Le 7e art frappe dans la conscience collective et devient alors un outil de mémoire, d’enquête et de justice symbolique.

À l’intersection du religieux, du politique et du féminisme
C’est lors du 50e anniversaire du Toronto International Films Festival (TIFF) que le film documentaire de l’Italienne Lorena Luciano, Nuns VS Vatican, a été projeté pour la toute première fois. On pourrait croire à une énième dénonciation des scandales au sein de l’Église catholique. Or, ce documentaire révèle une réalité encore largement ignorée : la mise sous silence et l’invisibilisation des religieuses — premières victimes d’un système patriarcal, autoritaire et impuni, le tout au nom de la protection de l’institution.
« Nuns are not free women »
Dans les 90 minutes de ce long-métrage, on constate les différentes structures de violence auxquelles les religieuses sont confrontées et qui rendaient, forcément, l’émancipation de ces femmes pratiquement impossible :obligation de vie en couvent sous une hiérarchie stricte; vœux de pauvreté, de chasteté et d’obéissance ; stigmatisation systémique en cas de dénonciation ; et, ajoutons aux agressions sexuelles, des violences psychologiques, spirituelles et identitaires.
D’ailleurs, l’un des témoignages démontre avec une précision glaçante les dynamiques possibles : une religieuse ayant dénoncé son agression à la Mère-Supérieure a été punie et discréditée. Encore une fois, on fait le choix d’épargner l’institution.
L’ensemble de ces violences rendent la possibilité de consentement complètement dérisoire.
Instrumentalisation des principes
Autre réalité dérangeante vécue par ses femmes pieuses: celle des avortements forcés. Loin d’être une pratique anecdotique, les avortements forcés ont été répertoriés dans au moins 49 pays, révélant ainsi l’amplitude des doubles standards propres aux structures de pouvoir dominant. Rappelons, la position officielle de l’Église catholique qui condamne fermement l’avortement, une position remplie d’ironie après de telles révélations.
Encore aujourd’hui, l’avortement est un révélateur des rapports de pouvoir dans une société. Le pouvoir comme l’argent permettent d’y accéder, même là où il est interdit. Le renversement de l’arrêt Roe v. Wade qui garantissait le droit constitutionnel à l’avortement aux États-Unis est un exemple frappant et démontre que l’accès à l’avortement est conditionné par le statut social, la race ou les moyens financiers.
Comme dans le cas des religieuses abusées, on voit que les principes moraux ne s’appliquent que lorsqu’ils servent le pouvoir. Lorsqu’ils deviennent gênants, argent, silence et statut social prennent le dessus sur l’éthique déclarée.
Où sont les conséquences judiciaires dans tout ça ? Une réponse aussi révoltante qu’ahurissante : « It is not a crime, but a sin ».
Le Vatican, le plus petit pays du monde, possède son propre régime législatif découlant du droit canonique. Celui-ci est basé sur une monarchie élective absolue et théocratique, où le pape détient l’ensemble des pouvoirs législatifs, exécutifs et judiciaires.
Selon ce régime, les agressions sexuelles ne sont pas considérées comme des crimes, mais comme des péchés. Autrement dit : une justice malléable basée sur une morale divine.
L’omerta du pouvoir
Face à cette omerta, plusieurs femmes prennent la parole afin que l’église rende des comptes. Elles sont de diverses origines et ont des bagages d’expériences variés.
- Lucetta Scaraffia, qui a démissionné du magazine féminin du Vatican en raison de la controverse suscitée par son reportage révélant les abus;
- Federica Tourn, journaliste italienne qui rassemble les témoignages des religieuses;
- Barbara Dorris, militante américaine engagée en faveur des victimes;
- et bien sûr, Gloria, l’une des protagonistes de Nuns VS Vatican qui rompt le silence après plus de 30 ans sur son agresseur : le frère Marko Rupnik, célèbre artiste religieux.
Depuis que le silence est rompu, plus d’une trentaine de religieuses ont dénoncé cet homme. Et pourtant, malgré ses accusations, nous assistons à sa protection par l’institution et même à son adulation pour son art. – Il faut rappeler l’une des devises favorites du pouvoir : « Un t’chum c’t’un chum ! ».
Excommunication, retour en grâce
En 2020, un tournant s’opère : Rupnik est excommunié. Comment est-ce possible? En fait, ce dernier aurait absous une victime dans le cadre d’un sacrement de réconciliation. En droit canonique, cela constitue une faute grave : un abuseur n’a pas le droit d’absoudre sa propre victime. Cette faute entraîne automatiquement l’excommunication. Parce que oui, Rupnik a réussi à ajouter une couche à l’injure de ses abus.
Malheureusement, cette mesure a été levée et tout indique qu’elle le fut par le pape François.
Or, en 2025, le pape Léo pose un geste fort et inattendu. Il fait retirer l’ensemble des œuvres de Rupnik du site du Vatican et demande le retrait des mosaïques : un acte grandement significatif pour les victimes.
Espérances et sororité
L’histoire de ces femmes, unies dans cette douleur commune, trouve aujourd’hui un espace de résilience, de sororité et de pouvoir retrouvé. La blessure la plus vive, pour nombres d’entre elles, reste spirituelle, celle qu’elles nomment la « trahison de l’âme ». Car au-delà du corps, c’est leur foi, leur vocation, leur identité spirituelle même qui ont été bafouées. Cette trahison est d’une telle violence que l’admiration envers la force de ces femmes ne peut qu’être saluée.
Mais la prise de parole individuelle et collective a été un tournant majeur. Grâce à elle, une puissante sororité a émergé et avec elle un espoir contagieux.
Malgré la gravité des sujets abordés, cette projection, suivie d’échanges avec l’équipe de production, a laissé des sentiments lumineux, ceux de la solidarité et de la puissance de la vérité partagée.
L’art comme levier de conscience
En fait, ce documentaire démontre avec force que le 7e art ne sert pas seulement à nous divertir. Il peut aussi éveiller, déranger, faire réfléchir… et nous transformer.
Alors oui, le cinéma peut être politique rempli d’analogies et de critiques sociales. Il peut être militant. Et parfois, il peut nous ouvrir les yeux — le tout à grandes poignées de popcorn au beurre.