Paix en Asie du Sud

Mumbai le 10 mai @ photo Alencontre Keystone

Déclaration du Centre sur l’Asie du Sud

Le Centre sur l’Asie du Sud (CERAS) condamne sans équivoque l’assassinat de 26 civils à Pahalgam, au Cachemire, le 22 avril 2025. Bien qu’il y ait encore beaucoup d’inconnues, l’attaque dans un environnement déjà fébrile ne pouvait que provoquer une escalade des tensions. Si tel était leur objectif, les auteurs de l’attentat ont réussi.

Le Cachemire occupé par l’Inde est l’un des lieux les plus militarisés au monde, avec un rapport d’un membre du personnel militaire et paramilitaire pour 10 civils. Les violations des droits humains commises par le personnel de sécurité vont d’actes de torture à des meurtres, en passant par des arrestations arbitraires et des punitions collectives infligées à des quartiers entiers. Depuis l’attentat du 22 avril, ces forces mènent des « opérations antiterroristes », qui sont souvent un euphémisme pour des actes tels que ceux qui viennent d’être énumérés.

Au fil des ans, différents groupes ont milité pour l’autodétermination du Cachemire, dont certains se sont lancés dans la lutte armée en vue de parvenir à leurs fins. La quête de l’autodétermination s’inscrit dans l’histoire du Cachemire, région revendiquée aussi bien par l’Inde que par le Pakistan. À la suite d’un cessez-le-feu conclu sous l’égide des Nations unies en 1948, un plébiscite devait être organisé pour permettre à la population de signifier sa préférence pour un rattachement à l’Inde ou au Pakistan. Ce plébiscite est resté lettre morte.

En août 2019, le gouvernement indien a modifié la Constitution pour révoquer le statut spécial assurant une forme d’autonomie au Jammu-et-Cachemire (article 370), ce qui n’a fait qu’envenimer les choses.

Plus récemment, en mai 2024, Omar Abdullah* a fait remarquer que traiter le Cachemire comme un « problème de sécurité » risquait d’exposer les touristes à des attaques, ce que le gouvernement indien a reconnu lorsque, à la suite de l’attaque d’avril 2025, lors d’une réunion de tous les partis tenue le 24 avril 2025, il a admis des lacunes en matière de « sécurité ». Tout aussi révélateur, lorsque le ministre indien de l’Intérieur, Amit Shah, a organisé une réunion d’évaluation de la sécurité le 8 avril 2025, deux semaines avant la tuerie de Pahalgam, Omar Abdullah, aujourd’hui ministre en chef du Jammu-et-Cachemire, n’a pas été invité.

Sans surprise, en Inde, l’attaque du 22 avril 2025 a été vue comme une dichotomie ethnique, comme c’est souvent le cas lorsqu’il est question du Cachemire, les assaillants étant présentés comme des musulmans violents attaquant des hindous pacifiques. Or, pendant et après l’attentat, des musulmans du Cachemire se sont portés au secours des blessés et des mourants, et l’un de ceux-ci a même perdu la vie en voulant sauver celle d’autrui.

Dans l’après-coup, des groupes de l’Hindutva** se sont tournés vers les médias sociaux pour semer la haine et la division parmi les Indiens et attiser les flammes de l’islamophobie, causant des morts à l’extérieur du Cachemire. Un musulman a été abattu à Agra par un suprématiste hindou. Les musulmans de plusieurs États indiens tels que l’Uttar Pradesh, l’Haryana, le Maharashtra et l’Uttarakhand subissent des attaques et des menaces. Des musulmans du Cachemire ont été évincés de leur maison, dont certains restent en exil, des vendeurs ont été agressés et il y a eu au moins un cas où des médecins hindous ont refusé de soigner un patient musulman.

Les choses se sont passées différemment au Cachemire, où l’on a assisté à une mobilisation massive et spontanée de personnes de toutes les religions. L’on a vu beaucoup de manifestants brandir des pancartes avec des slogans tels que « Not In My Name » (pas en mon nom). Vendredi, après les prières, deux minutes de silence ont été observées à la mosquée Jamia Masjid de Srinagar.

Pendant ce temps, l’on entend retentir les tambours de la guerre et l’on craint une forme ou un autre d’action militaire de l’Inde contre le Pakistan. Le premier ministre indien, Narendra Modi, a promis un « châtiment dont on n’a pas idée » pour l’attentat perpétré au Cachemire. Alors que les tensions montent, des Pakistanais sont expulsés de l’Inde et des Indiens du Pakistan, avec des conséquences aussi déchirantes que tragiques pour nombre de familles.

Dans ce climat explosif, le CERAS appelle à un désengagement et à une désescalade immédiate. La paix entre l’Inde et le Pakistan devrait primer sur toutes autres considérations, de même que la concorde entre hindous et musulmans, faute de quoi les deux nations et leurs peuples subiront un sort funeste.

Le CERAS soutient les efforts de paix et de rapprochement entre les peuples. Le Forum Pakistan-Inde des peuples pour la paix et la démocratie (Pakistan-India-People’s-Forum-for-Peace-and-Democracy, PIPFPD), créé en 1995, et la campagne Espoir pour la paix (Aman ki Asha), lancée en 2010, sont deux organisations qui contribuent de manière exemplaire à la cause. Le PIPFPD a réuni des militants des droits de l’homme, des travailleurs culturels, des syndicalistes, des groupes de défense des droits des femmes, des avocats, des enseignants et des gens d’affaires représentant un large éventail de la société civile indienne et pakistanaise dans le cadre de ce que l’on appelle la « diplomatie de la deuxième voie » (Track 2 Diplomacy). Il a réussi à rassembler des gens ordinaires des deux pays pour soutenir des efforts de paix visant à faire pièce à l’hystérie de la guerre et des conflits militaires provoqués par les instances dirigeantes. Aman ki Asha intervient surtout dans les médias en appelant au dialogue, à la perméabilité des frontières et à des contacts interpersonnels susceptibles de faire avancer les choses. Comme le PIPFD, Aman ki Asha incarne la ferme conviction que le fait de permettre aux gens de se rencontrer, de voyager et de commercer sera bénéfique sur le plan économique, réduira les conflits dus à l’incompréhension et permettra de venir à bout de l’extrémisme violent.

 


*Omar Abdullah : vice-président du parti politique Jammu and Kashmir National Conference au Jammu-et-Cachemire et au Ladakh. Il est actuellement ministre en chef du Jammu-et-Cachemire.

**Hindutva : idéologie politique formulée par Vinayak Damodar Savarkar en 1922 qui comprend une justification culturelle du nationalisme hindou et prône l’établissement de l’hégémonie hindoue en Inde. Le gouvernement actuel de l’Inde souscrit à l’Hindutva.