Ramzy Baroud, Chronique palestinienne, 12 octobre 2020
Le « droit international » reste l’un des termes les plus discutés dans le contexte de l’occupation israélienne de la Palestine.
Il est presque toujours présent, que la discussion porte sur les guerres et le siège israélien contre Gaza, l’expansion des colonies juives illégales en Cisjordanie ou l’enracinement de l’apartheid sur tout Israël [Palestine de 48] et les territoires occupés.
Cependant, malgré l’importance et la pertinence de la formule, elle se traduit rarement par quelque chose de tangible. Le siège israélien de Gaza, par exemple, se poursuit sans relâche depuis près de 14 ans, sans que le droit international ne protège les civils palestiniens contre les violations des droits de l’homme par Israël.
Plus récemment, le 13 septembre, le gouvernement israélien a approuvé 1000 unités d’habitations supplémentaires dans ses colonies totalement illégales en Cisjordanie, en violation flagrante du droit international. Il est très probable qu’Israël aille mène à son terme initiative, dans tous les cas.
En ce qui concerne la violation du droit international, Israël est dans une catégorie unique en son genre, car le comportement d’Israël est en permanence régi par sa force militaire et le soutien de ses alliés occidentaux.
Pour mieux comprendre la relation entre le droit international, la résolution des conflits et l’obligation de rendre des comptes, je me suis entretenu avec le professeur Richard Falk, l’un des plus grands experts au niveau mondial sur le droit international, et ancien rapporteur spécial des Nations unies sur les droits de l’homme des Palestiniens.
Les efforts palestiniens actuels pour faire avancer l’action internationale visant à imposer aux criminels de guerre israéliens présumés qu’ils répondent de leurs actes devant la Cour pénale internationale (CPI) sont particulièrement pertinents pour la question qui nous occupe. Le fait que la Cour ait retenu le principe d’enquêter sur des crimes de guerre présumés en Palestine occupée a suscité une réaction de colère de la part d’Israël et des mesures de rétorsion sans précédent de la part de Washington, visant les juges et le personnel de la CPI, y compris le procureur, Fatou Bensouda.
J’ai interrogé le professeur Falk sur la « portée limitée » de l’enquête de la CPI, car la Cour n’examinera que les crimes de guerre israéliens, excluant ainsi, pour l’instant, les crimes contre l’humanité, parmi d’autres pratiques illégales qui devraient être applicables dans le cas d’Israël.
« Je ne suis pas d’accord avec ce point de vue … mais il représente le fait que la CPI, tout comme l’ONU elle-même, est soumise à une immense pression géopolitique », m’a répondu Falk. Néanmoins, cet expert chevronné en droit international a qualifié l’enquête de la CPI de « percée ».
« C’est une percée que d’envisager l’enquête, sans parler de l’inculpation et de la poursuite des Israéliens ou des Américains qui ont été mis à l’ordre du jour de la CPI, ce qui a conduit à un recul de ces gouvernements … Israël a dénoncé la Cour comme s’il était inapproprié d’examiner tout État qui revendique la question de l’impunité géopolitique. Vous avez donc là un déni fondamental de l’État de droit ».
Il est indéniable que cette percée et la position avancée des institutions internationales concernant l’illégitimité de l’occupation israélienne, sont le résultat des efforts insistants déployés au fil des ans par le professeur Falk et d’autres champions du droit international. En fait, les tentatives incessantes visant à faire taire Falk – et d’autres comme lui – ont été menées pour que leurs critiques des violations d’Israël ne débouchent pas, en fin de compte, sur des enquêtes aussi redoutables que celle de la CPI.
« Il existe des ONG très militantes à orientation sioniste, comme UN Watch, qui se livrent à des activités diffamatoires et utilisent toutes leurs ressources et leur énergie pour persuader les gens, y compris le secrétaire général de l’ONU, de me critiquer et de demander mon renvoi ou un certain type de sanctions », a expliqué Falk à propos des défis qu’il a dû relever pendant son mandat à l’ONU entre 2008 et 2014.
Fort heureusement, mais aussi de façon éloquente, « en fin de compte, le rôle de rapporteur spécial a été respecté … et mon activité a bénéficié d’un grand soutien, y compris de la part des ministères des affaires étrangères et aussi de l’extérieur du monde islamique. J’ai senti que c’était une sorte de présence importante à maintenir ».
« Les groupes sionistes étaient, bien sûr, très frustrés et ils n’ont pas essayé de répondre à mes rapports sur les violations des droits de l’homme dans les territoires occupés. Au lieu de cela, ils se sont concentrés sur la diffamation et la calomnie du messager plutôt que sur le message lui-même », a déclaré M. Falk, mettant le doigt sur l’essence même de la stratégie utilisée par les groupes pro-israéliens, que ce soit à l’ONU ou ailleurs.
J’ai également interrogé le professeur Falk sur le terme « occupation israélienne » car, d’après ce que je sais, ce terme est issu des Conventions de Genève – et des définitions internationales précédentes – pour réglementer une période transitoire pendant laquelle une puissance occupante est responsable du bien-être et de la santé de la population civile vivant dans un territoire occupé.
« Le droit international est assez ambigu sur la durée d’une occupation militaire et Israël a produit une sorte d’argument spécieux selon lequel les Conventions de Genève et le droit normal régissant l’occupation belligérante ne s’appliquent pas ici, parce qu’il s’agit d’une souveraineté contestée plutôt que d’un cas où un autre pays a été occupé », a déclaré M. Falk.
Associé au soutien occidentalo-US et aux vetos au Conseil de sécurité, Israël a historiquement exploité cette ambiguïté pour consolider – au lieu de mettre fin – à son occupation de la Palestine.
Puisque le droit international « ne met pas fin à l’occupation, la façon la plus efficace de la contester du point de vue du droit international, est qu’Israël ait commis tellement de violations fondamentales des obligations d’une puissance occupante – l’établissement des colonies, l’annexion progressive, l’intégration de Jérusalem dans l’État souverain d’Israël… ».
« Ce sont toutes des violations fondamentales de la Quatrième Convention de Genève et elles représentent une volonté de rendre impossible la fin de l’Occupation dans le sens où elle était prévue : renvoyer la société à la population civile qui est occupée », a poursuivi Falk, décrivant cette situation comme un « grave défaut, juridiquement et politiquement ».
« Mais y a-t-il une raison d’être optimiste ? » ai-je demandé au professeur Falk, dont l’énergie et le travail inlassable continuent à caractériser ce guerrier infatigable des droits de l’homme.
« Lorsque le colonialisme et l’oppression ont perdu leur acceptation en tant que formes de comportement politique légitime, l’équilibre politique a alors changé et la persévérance des luttes nationales s’est avérée plus puissante que l’armement dont disposaient les puissances coloniales », a rappelé Falk.
Selon le professeur Falk, l’histoire est clairement du côté des Palestiniens, qui sont déjà en train de « gagner la guerre de la légitimité ».