Ramzy Baroud, Chronique de Palestine, 9 février 2020
Après plusieurs reports, le président américain Donald Trump a finalement révélé les détails de son plan pour le Moyen-Orient, surnommé « Deal of the Century », lors d’une conférence de presse à Washington le 28 janvier.
Se tenant triomphalement à côté de Trump, le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, a sûrement compris que le moment de l’annonce – quelques semaines seulement avant les troisièmes élections générales israéliennes en l’espace d’un an – avait été décidé pour s’adapter au mieux à l’agenda du dirigeant israélien en difficulté.
Composé de 80 pages, dont 50 entièrement consacrées à la composante économique du plan, le document est une refonte des propositions israéliennes précédentes, déjà rejetées par les Palestiniens et les gouvernements arabes pour ne pas respecter les normes minimales de justice, d’égalité et de droits de l’homme.
L’ancien négociateur palestinien, Saeb Erekat, a été jusqu’à dire lors d’une interview que le plan n’était même pas américain mais tout simplement israélien.
« Ce que vous avez entendu hier soir venant de Trump, est ce que j’ai entendu de Netanyahu et de son équipe de négociateurs en 2011-2012 », a déclaré Erekat. « Je puis vous assurer que e côté américain n’a écrit aucun mot ni même virgule dans ce programme. J’ai les documents d’origine et je suis prêt à vous révéler ce qu’on nous avait proposé. C’est le plan de Netanyahu et du conseil des colons. »
La réaction du chef de l’Autorité palestinienne (AP) Mahmoud Abbas, n’était guère surprenante, et il a voué le plan de Trump aux « poubelles de l’Histoire ».
Comme prévu, Trump a accordé à Netanyahu tout ce que lui et Israël ont toujours voulu. La vision américaine de la « paix » au Moyen-Orient n’exige le déracinement d’aucune colonie juive illégale et reconnaît Jérusalem comme la capitale « indivisible » d’Israël. Elle parle d’un État palestinien sous conditions et défiguré qui ne pourrait voir le jour que sur la base de vagues souhaits; il rejette totalement le droit au retour des réfugiés palestiniens et ne mentionne pas une seule fois le mot « occupation ».
De toute évidence, seul Israël bénéficie du plan américain. Le discours sioniste, fondé sur des gains territoriaux maximaux avec une présence palestinienne minimale, a finalement prévalu. Chaque demande israélienne a été satisfaite, de la première à la dernière. Et en échange, les Palestiniens n’ont rien reçu à part la promesse de poursuivre un autre mirage : un État palestinien sans continuité territoriale et sans véritable souveraineté.
Les préoccupations palestiniennes continuent d’être ignorées, les droits des Palestiniens étant méprisés depuis de nombreuses années – même à l’époque du prétendu « processus de paix », au début et au milieu des années 90. À l’époque, toutes les questions fondamentales avaient été reléguées aux « négociations sur le statut final », lesquelles n’ont jamais eu lieu.
L’accord du siècle a simplement validé le statu quo ante tel qu’il était voulu et appliqué unilatéralement par Israël.
Cela dit, le plan de Trump ne parviendra pas à mettre un terme au conflit. Pire, cela l’exacerbera davantage, car Israël a maintenant un chèque en blanc pour accélérer son entreprise coloniale, consolider son occupation militaire et opprimer encore plus les Palestiniens, lesquels continueront de résister.
Quant à la composante économique du plan, l’Histoire a prouvé qu’il ne peut y avoir de prospérité économique sous occupation militaire. Netanyahu, et d’autres avant lui, ont déjà voulu expérimenter ce genre de méthodes douteuses de « paix économique », et toutes ont misérablement échoué.
À maintes reprises, les Nations Unies ont clairement indiqué qu’elles suivaient une trajectoire politique différente de celle suivie par Washington, et que toutes les décisions américaines concernant le statut de Jérusalem, les colonies illégales et les hauteurs du Golan, étaient nulles et non avenues. Seul compte le droit international, car aucune des actions de Trump ces dernières années n’a réussi à modifier de manière significative le consensus arabe et international sur les droits des Palestiniens.
Quant au statut – et aux droits des Palestiniens dans leur ville occupée – de Jérusalem-Est, renommer quelques quartiers – Kafr Aqab, la partie orientale de Shuafat et Abu Dis – en al-Quds ou Jérusalem-Est, est un vieux plan israélien qui a déjà échoué dans le passé. Le défunt dirigeant palestinien Yasser Arafat, avait suffisamment de sagacité politique pour le rejeter, et ni Abbas ni aucun autre responsable palestinien n’oserait faire de compromis sur les droits historiques et juridiques des Palestiniens sur la ville.
Les dirigeants palestiniens ne peuvent échapper à leurs responsabilités envers le peuple palestinien, ni faire oublier leur totale incapacité à élaborer une stratégie nationale.
Immédiatement après que Trump a annoncé son plan, Abbas a appelé toutes les organisations palestiniennes, dont ses rivaux du mouvement Hamas, à s’unir et à développer une stratégie commune pour contrer « l’accord du siècle ».
Sachant que le complot américano-israélien était imminent, pourquoi Abbas a-t-il attendu si longtemps pour appeler à une stratégie commune ?
L’unité nationale parmi les Palestiniens ne doit jamais être utilisée comme monnaie d’échange, comme tactique de circonstance suscitée par la peur ou comme option de dernier recours visant à masquer l’inefficacité d’Abbas aux yeux de tous.
L’AP fait maintenant face à une crise existentielle. Sa création en 1994 visait à marginaliser l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) au fonctionnement plus démocratique. Mais selon les nouveaux diktats américains, l’Autorité palestinienne a cessé d’être utile.
Quant à Israël, l’Autorité palestinienne n’est nécessaire que pour maintenir la ainsi-nommée « coordination sécuritaire » avec l’armée israélienne, ce qui signifie essentiellement assurer la sécurité des colons juifs illégaux et armés en Palestine occupée.
Alors que l’unité entre les partis palestiniens est une exigence primordiale, l’AP d’Abbas ne peut guère espérer maintenir cet équilibre ridicule : s’attendre à une unité nationale réelle et durable tout en remplissant avec diligence le rôle attendu par Israël et ses alliés.
Bien que le « plan » de Trump ne modifie pas fondamentalement la politique étrangère des États-Unis en Israël et en Palestine – les préjugés américains favorables à Israël ont précédé Trump de plusieurs décennies – il a définitivement mis fin à la sinistre plaisanterie du prétendu « processus de paix » qui a divisé les Palestiniens en prétendus « modérés » et « extrémistes ».
Désormais, tous les Palestiniens sont devenus des « extrémistes » au sens de Washington. Tous sont également rejetés et marginalisés.
Abbas se trompe terriblement s’il s’imagine que le vieux discours politique peut être maintenu. Discours écrit à Washington, il faut le noter…
Le problème avec la direction palestinienne est que malgré ses protestations répétées et ses condamnations furieuses, elle n’a encore jamais pris d’initiatives indépendantes ni opéré en dehors du paradigme américano-israélien.
Et c’est à ce stade le plus grand défi pour les dirigeants palestiniens. Vont-ils aller de l’avant avec une stratégie centrée sur les Palestiniens ? Ou persister à faire du surplace en nous resservant le vieux langage et en se remémorant le bon vieux temps ?