Ramzy Baroud, Chronique de Palestine, 17 novembre 2020
La discussion sur le racisme institutionnel israélien contre sa propre population arabe palestinienne a tout sauf cessé après l’approbation de la loi discriminatoire sur l’État-nation en juillet 2018.
En effet, le dernier amendement à la Loi fondamentale d’Israël n’est que le début d’un nouveau programme lancé par le gouvernement et conçu pour renforcer la marginalisation de plus du cinquième de la population israélienne.
Le mercredi 28 octobre, dix-huit membres du Parlement israélien (Knesset) ont concocté un nouveau stratagème pour s’attaquer aux citoyens arabes israéliens. Ils ont proposé un projet de loi qui révoquerait la citoyenneté israélienne pour tout prisonnier arabe palestinien en Israël qui, directement ou indirectement, reçoit une aide financière de l’Autorité palestinienne (AP).
Il convient de mentionner que ces députés ne représentent pas seulement des partis de droite, fascisants et religieux, mais aussi le parti prétendument « centriste » Bleu et Blanc (Kahol Lavan). De fait, le projet de loi proposé dispose déjà du soutien de la majorité parlementaire israélienne.
Mais la question est-elle vraiment celle d’une aide financière pour les prisonniers ? D’autant plus que l’AP est au bord de la faillite et que sa contribution financière aux familles des prisonniers palestiniens, même dans les Territoires occupés – Cisjordanie, Jérusalem-Est et Gaza – est symbolique ?
Voici un autre fait intéressant. Le jeudi 29 octobre, le journal israélien Haaretz a révélé que le gouvernement israélien du Premier ministre de d’extrême-droite, Benjamin Netanyahu, prévoyait d’étendre de 50 % la juridiction de la ville juive de Harish, dans le nord d’Israël. L’objectif – par cette augmentation de surface – est d’empêcher les Palestiniens de devenir majoritaires dans ce secteur.
Ce plan d’urgence a été concocté par le ministère israélien du logement comme une réponse immédiate à un document interne qui prévoit que, d’ici 2050, les Arabes palestiniens constitueront 51 % de la population de cette région, soit 700 000 habitants.
Ce ne sont là que deux exemples d’actions récentes menées en deux jours, preuves accablantes qu’en réalité, la loi sur l’État-nation n’était que l’introduction d’une longue période de racisme institutionnel qui vise finalement à gagner une guerre démographique unilatérale lancée il y a de nombreuses années par Israël contre le peuple palestinien.
Comme le nettoyage ethnique pur et simple – qu’Israël a pratiqué pendant et après les guerres de 1948 et 1967 – est difficilement praticable pour l’instant, Israël trouve d’autres moyens d’assurer une majorité juive en Israël même, à Jérusalem, dans la zone C de la Cisjordanie occupée et, par extension, partout ailleurs en Palestine.
L’historien dissident israélien, le professeur Ilan Pappe, appelle cela un « génocide progressif« . Ce nettoyage ethnique progressif comprend l’expansion des colonies juives illégales à Jérusalem-Est et en Cisjordanie occupées, et la proposition d’annexion de près d’un tiers des territoires occupés.
La bande de Gaza assiégée est une autre question. Gagner une guerre démographique dans une région de petite taille densément peuplée avec deux millions d’habitants vivant sur 365 km2, n’a jamais été envisageable pour Israël. Le ainsi-nommé « redéploiement » de Gaza par l’ancien Premier ministre israélien, Ariel Sharon, en 2005 était une décision stratégique, qui visait à réduire les pertes d’Israël dans la bande de Gaza en faveur de l’accélération du processus de colonisation en Cisjordanie et dans le désert du Naqab.
En fait, la plupart des colons juifs illégaux de Gaza ont finalement été relocalisés dans ces régions dont la démographie est remise en cause par l’occupant israélien.
Mais comment Israël doit-il faire face à sa propre population arabe palestinienne, qui constitue désormais une minorité démographique importante et un bloc politique influent, souvent uni ?
Lors des élections générales israéliennes de mars 2020, les partis politiques palestiniens arabes, qui se sont mis dans la course sous l’égide de la Liste Unie, ont obtenu leur plus grand succès électoral à ce jour, puisqu’ils sont devenus le troisième parti politique d’Israël.
Ce succès a tiré la sonnette d’alarme parmi les élites dirigeantes juives d’Israël, ce qui a conduit à la formation de l’actuel « gouvernement d’unité » d’Israël. Les deux principaux partis politiques israéliens, le Likoud et Kahol Lavan, ont clairement fait savoir qu’aucun parti arabe ne serait inclus dans une coalition gouvernementale.
Une représentation et réalité politiques arabes fortes représentent un scénario cauchemardesque pour les stratèges du gouvernement israélien, qui sont obsédés par la démographie et la marginalisation des Arabes palestiniens dans tous les domaines possibles. Ainsi, les représentants mêmes de la communauté arabe palestinienne en Israël sont devenus la cible de la répression politique.
Dans un rapport publié en septembre 2019, le groupe de défense des droits de l’Homme, Amnesty International, a révélé que « les membres palestiniens de la Knesset en Israël sont de plus en plus confrontés à des attaques discriminatoires ».
« Bien qu’ils soient démocratiquement élus comme leurs homologues juifs israéliens, les députés palestiniens sont la cible de discriminations profondément enracinées et de restrictions de fait qui paralysent leur capacité à s’exprimer pour défendre les droits du peuple palestinien », a déclaré Amnesty.
Ces révélations ont été diffusées par Amnesty juste avant les élections du 27 septembre. Le ciblage des citoyens palestiniens d’Israël rappelle le harcèlement et les attaques similaires des représentants et des partis palestiniens dans les territoires occupés, en particulier avant des élections locales ou générales. En effet, Israël considère sa propre population arabe palestinienne à travers le même prisme qu’il considère les Palestiniens occupés militairement.
Depuis son installation par la force sur les ruines de la Palestine historique, et jusqu’en 1979, Israël a gouverné sa population palestinienne par le biais des règlements de défense (loi d’urgence). Le système juridique arbitraire a imposé de nombreuses restrictions aux Palestiniens qui ont été tolérés en Israël après la Nakba de 1948, ou nettoyage ethnique de la Palestine.
Mais en pratique, les règlements d’urgence n’ont été levés que formellement. Ils ont simplement été redéfinis et remplacés – selon le groupe de défense des droits d’Adalah, basé en Israël – par plus de 65 lois qui visent directement la minorité arabe palestinienne d’Israël.
La loi sur l’État-nation, qui prive la minorité arabe d’Israël de son statut juridique, donc de la protection du droit international, accentue encore la guerre acharnée d’Israël contre sa minorité arabe.
En outre, « la définition d’Israël comme « État juif » ou « État du peuple juif » fait de l’inégalité une réalité pratique, politique et idéologique pour les citoyens palestiniens d’Israël », toujours selon Adalah.
Le racisme israélien n’est pas le fruit du hasard et ne peut être simplement classé comme une énième violation des droits de l’homme. Il est au cœur d’un plan dûment élaboré qui vise à la marginalisation politique et à l’étranglement économique de la minorité arabe palestinienne d’Israël dans un cadre constitutionnel, donc prétendument « légal ».
Sans véritable prise en compte de l’objectif final de cette stratégie israélienne, les Palestiniens et leurs alliés n’auront pas la possibilité de la combattre de façon efficace.