Rana Bouazer, correspondante
Sur Instagram, chaque publication est une arme de mobilisation ou une cible de censure. Une image, un mot, un hashtag peuvent éveiller des millions de consciences ou disparaître en un instant. Pour les militant.es pro-Palestine, la plateforme est un terrain de lutte où chaque publication est un acte de résistance, chaque bannissement une tentative de les faire taire. Samar Alkhdour, en première ligne de cette bataille numérique, raconte comment son combat solitaire est devenu un mouvement collectif, malgré la répression orchestrée par les géants du web.
Militantisme digital — la censure frappe fort
À l’ère du numérique, le militantisme s’impose sur les réseaux sociaux, redéfinissant la défense des causes sociales. Publications virales, mots-dièse percutants, pétitions en ligne, chaque action peut exploser en un instant. Portée par une génération de « webmilitantisme » engagé et réactif, cette dynamique fait des plateformes numériques des leviers essentiels de sensibilisation et de mobilisation. Néanmoins, leur combat n’est pas sans contraintes.
Dans le contexte du génocide palestinien, ces activistes sont à la fois des armes de résistance, mais peuvent aussi être manipulé.es à des fins de désinformation. Les entreprises technologiques jouent désormais un rôle actif dans l’exclusion des voix palestiniennes, amplifiant ainsi l’effort systématique pour les réduire au silence. Utilisée pour détourner l’attention, semer la confusion et atténuer l’indignation publique, l’action de résistance numérique est devenue une cible et un terrain à la propagation de fausses informations.
L’exemple le plus marquant reste la rumeur des « 40 bébés décapités ». Relayée sans la moindre preuve par des médias influents comme CNN, des responsables politiques et même par le président Biden, elle fut discrètement démentie.
De plus, cette désinformation a des conséquences par ses incitations à la haine. Wadea Al-Fayoume, un enfant palestino-américain de six ans, a été poignardé à 26 reprises. Il fut reconnu que ce crime fut nourri par un climat d’hostilités, attisé par la couverture médiatique occidentale depuis le 7 octobre, en particulier par les discours incendiaires relayés sur les ondes des radios conservatrices.
Le combat de Samar Alkhdour : à armes inégales et à géométrie variable
Face au révisionnisme historique qui tente de déformer les faits, les mouvements pro-Palestine redoublent de créativité pour faire entendre la vérité. Samar Alkhdour en est une. Mère montréalaise d’origine palestinienne, elle mène ce combat avec une intensité particulière. Sa fille, Jana, s’est éteinte à Gaza, affaiblie par une grave malnutrition, et ce dans l’attente d’une décision d’Ottawa. Un drame qui renforce encore sa détermination.

Militante passionnée, elle allie activisme numérique et action sur le terrain, pour dénoncer la censure systématique et la désinformation qui entourent la cause palestinienne, déterminée à briser le silence imposé par les grandes plateformes et les médias dominants.
Elle témoigne des restrictions croissantes qu’elle subit sur Instagram, où elle a été bannie des directs et empêchée de collaborer avec d’autres comptes. Meta supprime aussi certaines de ses publications éphémères (Stories) sans avertissement, une censure accentuée par des biais algorithmiques qui ciblent disproportionnellement les contenus pro-Palestine. Comme l’a illustré l’erreur de traduction de Meta en octobre 2023, où le mot « terroriste » a été ajouté à des profils mentionnant « Palestinien » et « Alhamdulillah ».
Ces entraves illustrent les difficultés grandissantes auxquelles sont confrontés les mouvements militants sur les réseaux sociaux, où l’usage de certains mots jugés « sensibles » ou « antisémites » entraîne une censure automatique. « Plus je publie sur la Palestine, plus le bannissement furtif s’intensifie », déplore-t-elle, soulignant l’impact direct de ces restrictions sur la diffusion de l’information. Imposant alors une asymétrie entre le discours dominant et les voix dissidentes.
Cette potentielle censure pousse les militantes et militants à s’adapter pour poursuivre leur engagement dans la lutte numérique contre Israël. S’efforçant de trouver des failles aux interdictions répétées de diffusion directe sur Instagram, Samar mise désormais sur d’autres formats, comme les Reels et les publications classiques.
Elle sollicite également des pages et des proches disposant d’une large audience pour relayer son contenu. Récemment, elle a découvert qu’en « remixant » un Reel, elle pouvait le publier sur son compte sans qu’il soit bloqué, une astuce qui lui permet de contourner l’interdiction de collaboration imposée par la plateforme.
Le virtuel rallume la flamme de l’action
Malgré ces obstacles, Samar affirme que les réseaux sociaux restent tout de même un outil incontournable. Offrant une audience sans limites, Instagram joue un rôle essentiel dans la diffusion d’informations en temps réel. Son sit-in (pour dénoncer l’inaction du gouvernement canadien concernant l’accueil des personnes réfugiées palestiniennes) n’aurait jamais été entendu sans les réseaux sociaux, confie-t-elle. « Ce qui était un acte solitaire est devenu un mouvement collectif. »
Cette influence grandissante est la raison même de ce muselage et elle a un prix : la désensibilisation du public. C’est pour cette raison que les deux formes de militantisme, numérique et physique, sont essentielles et complémentaires. L’un nourrit l’autre et les maintient en mouvement.
Le défi actuel réside dans le fait que l’engagement militant cesse dès qu’on quitte le réseau social. À elles seules, les campagnes en ligne peinent à influencer les décisions politiques ou économiques, mais lorsqu’elles s’articulent avec des actions sur le terrain, leur portée s’amplifie. Pour celles et ceux qui ne peuvent pas manifester physiquement, les réseaux sociaux restent souvent le seul moyen de soutenir la cause palestinienne et de faire entendre leur voix.
Soutenez Samar et sa famille: contribuez à sa campagne de socio-financement sur GoFundMe