Diana Hodali, Chronique de Palestine, 9 avril 2021
Pandémie de COVID, crise économique, mépris de leurs droits : Les choses deviennent de plus en plus difficiles pour les Palestiniens réfugiés au Liban. Une des raisons de leurs difficultés est le sous-financement chronique de l’agence des Nations unies qui s’occupe d’eux.
« Ici, dans le camp, les gens ne respectent pas scrupuleusement les mesures contre le coronavirus », explique Kholoud Hussein en haussant les épaules. « Il y a autant de gens dans les rues que d’habitude ».
Kholoud Hussein a vécu toute sa vie dans le camp de réfugiés palestiniens de Burj Barajneh, au sud de la capitale libanaise, Beyrouth. Elle travaille comme traductrice d’anglais et coordinatrice de projet dans une organisation locale de femmes. Jusqu’à récemment, elle devait se rendre à l’hôpital de Haïfa plusieurs jours par semaine pour servir de traductrice à une équipe de médecins de la Croix-Rouge japonaise, mais depuis le début de la pandémie, les médecins ne viennent plus. Maintenant, elle travaille à la maison. Elle traduit des études et des enquêtes.
Il y a tellement de problèmes que le COVID passe au second plan
L’hôpital Haïfa est situé en plein cœur du camp. Kholoud est en contact étroit avec le personnel qui y travaille. « Ils me disent qu’ils ont souvent du mal à persuader les proches des patients de porter un masque pour entrer dans l’hôpital », raconte-t-elle. Kholoud porte toujours son masque parce qu’elle ne veut pas être responsable de l’infection de quelqu’un d’autre.
De nombreuses organisations locales distribuent gratuitement des masques dans le camp. Mais selon Kholoud, tout le monde n’est pas convaincu de leur utilité. De plus, dit-elle, la plupart des habitants du camp de réfugiés ont tant de problèmes de survie que la crainte d’être infecté par le coronavirus passe au second plan.
Une grande partie des résidents dépend des dons de nourriture des organisations, et même le lait est devenu un article de luxe, dit Kholoud. Sa sœur a toujours aimé faire du riz au lait, ajoute-t-elle, mais cela n’est plus possible. L’économie libanaise était déjà en grande difficulté avant même la pandémie. La livre libanaise a perdu énormément de valeur. Et l’explosion dévastatrice au port de Beyrouth en août 2020 a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase.
« Je ne reçois que 50% de mon salaire ce mois-ci », dit-elle. Son mari, son fils et son beau-fils ont tous perdu leur emploi à cause de la crise économique au Liban. Sa fille travaille encore. « À nous deux, nous nourrissons la famille », dit-elle.
Les problèmes financiers de l’UNRWA
L’Office de secours et de travaux des Nations-Unies pour les réfugiés de Palestine au Proche-Orient (UNRWA) est responsable des réfugiés palestiniens des 12 camps officiels du Liban car le pays refuse d’aider financièrement les Palestiniens.
Mais l’organisation onusienne est souvent utilisée comme un moyen de pression au service d’intérêts politiques, comme, par exemple, lorsque l’ancien président américain Donald Trump a retiré son financement à l’agence, ce qui a réduit son budget de 300 millions de dollars (255 millions d’euros). Son successeur, Joe Biden, a promis de recommencer à subventionner l’agence. La principale critique adressée à l’UNRWA est que les 5,7 millions de Palestiniens qu’elle prend en charge, n’ont, de ce fait, aucune raison d’aller s’installer dans d’autres pays arabes, et qu’ils restent des réfugiés permanents.
Cet argument s’inscrit dans la polémique autour du droit au retour des Palestiniens inscrit dans la résolution 194 des Nations-Unies. Le droit au retour des Palestiniens est au cœur de la recherche d’une solution au conflit du Moyen-Orient entre Israéliens et Palestiniens. Israël a déclaré son indépendance le 14 mai 1948 et, le jour suivant, le 15 mai, a commencé la fuite et le déplacement forcé des Palestiniens vers les territoires palestiniens (occupés actuellement par les Israéliens, ndt) et les pays limitrophes, dont le Liban. Ce qui apparaissait à l’époque comme une installation temporaire est devenu le lieu de vie des Palestiniens depuis plusieurs générations. L’UNRWA a donc besoin de plus d’un milliard de dollars US chaque année pour maintenir ses services réguliers, d’urgence et de sauvetage.
L’érosion de leurs droits
L’égalité des droits n’a jamais été accordée aux Palestiniens du Liban, notamment parce que l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) a suscité la colère de divers groupes politiques du pays en participant à la guerre civile libanaise. Au Liban, le statut de réfugié palestinien se transmet de père en fils. Les Palestiniens ne sont pas autorisés à exercer des professions académiques et sont moins bien payés que les Libanais ayant les mêmes qualifications.
La justification officielle du Liban pour cette exclusion est qu’une intégration complète des réfugiés au Liban rendrait plus difficile leur retour en Palestine. Les États-Unis, par exemple, aimeraient que les réfugiés palestiniens s’installent définitivement au Liban, mais le Liban ne veut pas.
Le camp de Burj Barajneh devait initialement accueillir 3 500 personnes. Mais selon l’UNRWA il y avait en réalité 20 000 Palestiniens dans le camp. Et ce nombre aurait encore doublé avec l’arrivée des réfugiés syriens.
Il n’y a pas assez d’espace pour mettre des personnes en quarantaine
Les allées du camp sont étroites. Les résidents disent souvent avec ironie que même un cercueil ne peut pas passer. Où que vous alliez, un enchevêtrement de fils téléphoniques et de câbles électriques non sécurisés pend au-dessus de votre tête – les résidents meurent régulièrement d’électrocution lorsqu’il pleut.
« Ici dans le camp et dans les maisons, on ne peut pas vraiment garder de distance », dit Kholoud Hussein. Parfois, jusqu’à sept personnes se partagent deux pièces.
Les tests de dépistage du coronavirus
Les soins médicaux sont principalement fournis par l’agence d’aide des Nations-Unies. Un jour par semaine, l’UNRWA, Médecins sans frontières (MSF) et l’hôpital Al Hamshari du sud du Liban effectuent tout à tour des tests dans le camp, ce qui signifie qu’il y a des tests trois à quatre jours sur sept. « C’est assez bien organisé maintenant », dit Kholoud. Cela n’a pas toujours été le cas. Au début de la pandémie, les gens devaient payer beaucoup d’argent pour faire des tests dans les hôpitaux libanais – de l’argent qu’ils n’avaient pas.
Le comité du coronavirus du camp, qui regroupe la Croix-Rouge palestinienne et plusieurs ONG, affirme qu’environ 670 personnes ont été infectées par le coronavirus dans le camp en février et mars. Mais le nombre réel est probablement plus élevé, car tout le monde ne fait pas le test.
Toute personne gravement atteinte du COVID-19 est emmenée à l’hôpital Al Hamshari qui est situé près de la ville de Sidon, à environ 45 minutes de route au sud de Beyrouth. Kholoud y a souvent travaillé comme interprète. Un service COVID a été mis en place à l’hôpital, financé en partie par le ministère fédéral allemand de la coopération économique et du développement. Les patients y sont transportés par ambulance.
L’UNRWA a également mis en place un centre de quarantaine de 96 places pour les cas plus légers qui ne peuvent pas s’isoler en raison de l’exiguïté de leur logement. Ce centre dit d’isolement médical se trouve à Siblin.
Rayan Sokkar y a été mise en quarantaine. Elle a été infectée par le coronavirus et avait peur de le transmettre à sa famille.
Cette jeune journaliste palestinienne est née et a grandi dans le camp de réfugiés de Shatila, mais elle vit désormais à l’extérieur du camp.
« On nous examinait trois fois par jour – généralement, ils mesuraient le niveau d’oxygène dans notre sang et notre tension artérielle ou auscultaient nos poumons. On s’occupait bien de nous ».
La pandémie de coronavirus a accentué la pression financière sur l’UNRWA. C’est pourquoi son directeur, Philippe Lazzarini, ne cesse de solliciter un soutien financier auprès de la communauté internationale. « On enregistre des niveaux de désespoir sans précédent et la faim et la colère vont grandissantes », a-t-il récemment tweeté, ajoutant qu’il fallait de l’argent pour nourrir les gens, traiter le COVID et offrir à chacun « un logement décent ».
Kholoud Hussein a presque perdu espoir. « Le monde nous a oubliés », dit-elle. Elle n’attend plus grand-chose de la communauté internationale. Mais elle a au moins une petite raison de se réjouir : Elle a reçu son premier vaccin contre le coronavirus.