Péninsule coréenne : l’initiative doit passer dans les mains des Coréens

 

JOHN CARL BAKER, Jacobin, 22 jun 2018

Après des semaines de battage médiatique et d’espoir – et une annulation bizarre qui n’a pas vraiment tenu le coup – le sommet de Singapour entre Donald Trump et Kim Jong-un est maintenant de l’histoire. Poussé par la Corée du Sud et son propre désir insatiable de spectacle d’auto-agrandissement, Trump a rompu avec des décennies de politique américaine – et la paix sur la péninsule a fait un bond en avant.

La déclaration conjointe qui a émergé du sommet a été largement qualifiée de «deal », en grande partie à cause des messages erronés de l’administration Trump et des promesses d’une percée miraculeuse. Les attentes élevées pour un accord qualifié d' »historique » ont conduit à des critiques sur la maigreur de la déclaration, certaines d’entre elles justifiées. L’incapacité de l’administration à obtenir même un moratoire officiel sur les essais nucléaires et les lancements de missiles dans le Nord (aucun missile n’a été lancé depuis plus de six mois) était particulièrement déroutante. La codification du gel actuel, avec l’ajout possible d’un arrêt de la production d’armes, aurait été une mesure positive et relativement simple.

Pourtant, la déclaration conjointe n’est pas vraiment un accord. Il s’agit, à la base, d’ une déclaration de principes et d’un point de départ pour des négociations à venir. Elle définit quatre grands objectifs : améliorer les relations entre les États-Unis et la RPDC, établir un « régime de paix » sur la péninsule, « dénucléariser complètement » les Corées, et engager les deux parties à des pourparlers le plus tôt possible. C’est le dernier engagement qui compte le plus pour l’instant.

En ce sens, le plus grand succès du sommet de Singapour pourrait être qu’il n’a pas entravé le dialogue intercoréen. Le président sud-coréen Moon Jae-in estime que la réconciliation entre les deux pays et la dénucléarisation de la péninsule doivent aller de pair. Moon sait qu’il doit maintenir les pourparlers sur la dénucléarisation afin d’empêcher les États-Unis de perturber la détente intercoréenne.

Moon, qui n’a pas assisté au sommet de Singapour, continue de mener l’ouverture diplomatique. Sonl’approche novatrice, voire courageuse, informe le langage et les objectifs de la déclaration conjointe entre les États-Unis et la RPDC. Les critiques peuvent qualifier la déclaration de faible ou de naïve (peut-être à juste titre), mais il existe une logique qui s’écarte de la sagesse conventionnelle.

Pendant des années, le consensus dominant a soutenu que la désescalade militaire devrait se faire par étapes, en échange de la dénucléarisation progressive du Nord. La RPDC, bien sûr, devrait d’abord agir. Alors et seulement alors, le processus pourrait aller de l’avant, de manière progressive. Un traité de paix – la carotte ultime dans l’esprit des « experts »- serait mis en attente jusqu’à la fin amère.

Grâce à Moon, Trump s’est, au moins pour l’instant, écarté de cette doctrine. Comme l’ont indiqué les autorités sud-coréennes, la décision de suspendre les exercices militaires (un scandale  aux États-Unis) et le sommet de Singapour, posent les conditions préalables, avant de passer aux détails épineux de la dénucléarisation.

La logique de base de cette stratégie est pourtant évidente. Les garanties verbales à l’effet que les États-Unis ne chercheraient pas à imposer un changement de régime pourraient ne jamais suffire à répondre aux préoccupations du Nord, étant donné la posture agressive des États-Unis pendant près de soixante-dix ans. Cependant, une posture militaire moins antagoniste et la possibilité d’une intégration économique accrue pourraient suffire à convaincre le gouvernement Kim qu’une mentalité de siège n’est plus nécessaire. La dénucléarisation complète reste un impératif extrêmement important, mais un « gel profond » du programme d’armement de la RPDC pourrait servir de point de départ.

Les observateurs chercheront des actions concrètes par le Nord au début des pourparlers, et il y a un risque que sans progrès tangibles, Trump – pas vraiment connu pour avoir la tête froide – puisse s’en prendre aux deux Corées. Il a récemment demandé à la Corée du Sud de jouer un rôle plus important dans les négociations de dénucléarisation. Pourtant, si les négociations n’avancent pas, Trump va chercher quelqu’un à blâmer. Et comme toujours, ça ne va pas être lui-même.

Le processus intercoréen a gagné un temps précieux, mais des progrès tangibles d’ici l’automne seront essentiels. Moon doit se rendre à Pyongyang et on parle de Kim Jong-un qui pourrait assister à l’Assemblée générale des Nations Unies en septembre. Le sommet de Singapour a peut-être brisé la glace, mais nous ne sommes pas encore sortis du bois.

 

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