
Marie-Ève Godin, correspondante en stage
La Syrie connaît un regain d’espoir depuis la chute du régime de Bachar al-Assad en décembre dernier. La reconstruction du pays ne sera toutefois pas sans difficulté. Le pays est en guerre civile et la population subit une répression gouvernementale violente de plus de dix ans. C’est ce qu’ont affirmé les panélistes du webinaire du 13 mars dernier, intitulé SYRIE : Quel avenir ? Quels défis ? Quelle solidarité ?
Le politologue Ziad Majed a d’abord rappelé les circonstances de la chute du régime assadien. À la veille de sa chute, la Syrie de Bachar al-Assad était fragmentée par de nombreuses occupations du territoire de la part d’Israël, de la Turquie, de l’Iran, de la Russie et des États-Unis. Il explique qu’en 2024, le régime s’effondrait déjà et qu’il n’aurait pu résister à quelconque pression surprenante telle que celle du renversement mené par le groupe Hayat Tahrir al-Cham (HTC) en décembre. Le nouveau président, Ahmed al-Charaa, était à la tête de ce groupe rebelle islamiste né de la guerre civile syrienne.
Se dissocier de l’ancien régime
Le nouveau dirigeant devra « faire avec une Syrie qui a énormément de crises et énormément de défis et de difficultés », explique Majed. La fracture politique et territoriale du pays, le déplacement de la population et la crise économique ne sont qu’une poig

née des embûches de la reconstruction avec lesquelles l’administration actuelle devra composer.
Ahmed al-Charaa devra livrer un combat de légitimation à la fois interne et externe. Il doit non seulement réconcilier la relation du gouvernement avec les Kurdes et les Druzes, mais également rétablir les relations du pays avec la communauté internationale. Al-Charaa souhaite se dissocier de Bachar al-Assad en adoptant une posture d’ouverture et d’inclusion envers les groupes minoritaires du pays : les Druzes, les Kurdes et le peuple alaouite, dont Al-Assad est issu.
Cependant, les tensions confessionnelles à l’intérieur du pays restent une réalité, comme l’ont démontré les évènements du 6 mars dernier. Le déchaînement de l’armée du nouveau régime en réponse aux attaques de milices fidèles à l’ancien régime aurait fait plus de 1300 morts. La majorité de ces victimes étaient des civiles alaouites qui ont été ciblé.es et exécuté.es sommairement. Certains désignent les coupables comme étant des « factions indisciplinées » du nouveau régime ayant abusé de leur pouvoir.
De nombreuses fractures sociales
Pour l’historien Farouk Mardam-bey, les deux questions sociales les plus préoccupantes sont d’ordre d’intégration nationale : la question kurde et la tension entre les communautés socioconfessionnelles.
L’administration autonome kurde au nord du pays, le Rojava, était dirigée par les Forces démocratiques syriennes (FDS), une coalition militaire. Cette dernière avait des relations ambigües avec l’ancien régime, notamment en raison de son lien fort avec le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), un groupe rebelle kurde de Turquie.
Toutefois, la région contient près de 90 % des ressources pétrolières du pays, ajoutant à l’urgence ressentie par le nouveau régime de parvenir à une solution équitable avec les FDS. Le président al-Charaa et les FDS ont ainsi conclu en mars une entente visant à intégrer la coalition et toutes leurs activités à l’institution centrale syrienne.
Selon Mardam-Bey, l’importance territoriale et démographique du Rojava a également influencé cet accord, qui promet de garantir la satisfaction des revendications politiques et culturelles kurdes.
Mardam-Bey considère que cette décision a été accueillie avec enthousiasme autant par la population arabe de Syrie que par les Kurdes. Toutefois, la confession sunnite du nouveau chef inquiète certains membres de groupes minoritaires. Le groupe sunnite, largement majoritaire au pays, peut être perçu comme étant le « nouveau maître du pays » par les alaouites, les ismaélien.nes, les Kurdes ou les Druzes.
« Le plus préoccupant dans ce contexte […] est l’absence de toute force politique libérale ou de gauche qui soit capable de jouer le rôle d’une opposition structurée et responsable ou de prendre la relève si, par malheur, la Syrie sombrait dans l’anarchie », prévient-il.
Une économie à refaire
L’économiste Jihad Yazigi, en direct de Damas, a expliqué que l’économie syrienne souffre principalement de la destruction physique massive causée par la guerre et les coûts de reconstruction. Les dépenses de guerre, l’exode de la main d’œuvre, la fracture du territoire et, surtout, les sanctions occidentales placées sur la Syrie ont contribué à la précarité de la situation économique.
Les sanctions américaines sur le secteur bancaire syrien sont celles qui le pèsent le plus lourd dans la balance. Elles devront être levées pour faire une réelle différence sur l’économie du pays, alors qu’on observe la levée des sanctions européennes sans impact positif marqué. La faillite du secteur bancaire libanais en 2019 a également eu un rôle important à jouer, bloquant l’accès de la population syrienne à des sommes importantes en dépôt au Liban.
Malgré les évènements du 6 mars et les difficultés liées à la reconstruction, il y a « beaucoup de chances que la situation économique du pays, dans les années qui viennent, s’améliore », selon Yazigi.
Pour le moment, la priorité est le redémarrage de la production et de l’activité économique dans tous les secteurs. Les services essentiels à la population, comme l’électricité, le blé et le pétrole doivent augmenter leur production pour permettre à l’économie de se relever tranquillement.
En quête de justice après la chute de l’ancien régime
Selon le juriste Abdulhay Sayed, la justice transitionnelle est essentielle afin de se défaire des vestiges du régime de Bachar al-Assad. « Trop longtemps, la Syrie a été une terre d’impunité », souligne-t-il.
Selon le juriste, la justice transitionnelle sert à faire émerger la vérité à travers le dialogue ainsi qu’à favoriser l’art de la réconciliation. Ce processus de justice doit évaluer les crimes commis par l’institution étatique elle-même. Abdulhay Sayed soutient que « l’appareil d’État a été transformé en un instrument de répression et de violence » par le régime assadien.
Ce dernier rappelle toutefois que le crime d’institution contient une autre dimension, celle-ci concernant sa façon de bâtir du ressentiment qui mène justifier les crimes de masse. Le processus de justice servirait alors aussi à identifier et à analyser les discours qui ont permis cette socialisation de la haine.
Sayed soutient que la condition politique d’une telle justice repose sur un système constitutionnel fondé sur une légitimité électorale. Elle ne peut pas être fondée sur une rhétorique dite révolutionnaire ou sur la construction d’un pouvoir centré autour d’un chef charismatique, comme cela semble être le cas actuellement avec la nouvelle déclaration constitutionnelle.
« C’est uniquement, à mon sens, dans ce cadre qu’une justice véritablement équitable pourra émerger pour tous les Syriens et pas une justice à sens unique », a-t-il conclu.
Malgré les défis que présente la reconstruction au terme de la guerre et de décennies de règne autoritaire, les panélistes se sont montrés assez optimistes quant au futur du pays. Pour les Syrien.nes, dont les réfugiés ont déjà recommencé à regagner leur terre natale, « c’est un acquis considérable qu’il n’y aura plus de président éternel », affirme Ziad Majed. « Leur esprit de révolte et leur esprit de contestation, qu’on voit chaque jour dans les moyens actuels d’information, est plus vivant que jamais ; ils sont prêts à recommencer », maintient-il.
Pour revoir la discussion et le webinaire: