Pour une solution haïtienne à la crise

PHOTO : DOMINIC MORISSETTE

Jean-Claude Icart 

L’année 2024 a été marquée par l’installation, le 25 avril, d’un conseil présidentiel de transition pour remplacer le premier ministre tout puissant, Ariel Henry, qui avait été mis en place par la communauté internationale après l’assassinat du président Jovenel Moïse le 7 juillet 2021. 

Henry avait gouverné sans président et sans parlement durant l’essentiel de son mandat, mais n’avait jamais su améliorer la situation ni réaliser les élections annoncées.

En réponse à de forts mouvements de protestation dès le début de l’année 2024, l’appareil qui le protégeait avait fini par le lâcher. Rappelons qu’en 2010, la communauté internationale avait profité d’un séisme dévastateur pour quasiment mettre la République d’Haïti sous tutelle. On parle ici du « Core group », le groupe des pays amis, dominé par les États-Unis.

Le Core group a donc forcé l’adoption d’une formule amendée de gestion gouvernementale qu’il avait à l’origine combattue, sans doute parce qu’elle était issue d’un regroupement formé d’une nette majorité d’organisations de la société civile, de syndicats et de nombreux partis politiques. Ce regroupement voulait travailler à une solution haïtienne à la crise. D’abord devant être composé de trois personnes, cette formule de gestion est passée à cinq membres afin de rallier le plus de secteurs possible au projet (et de faire une place à Ariel Henry). Le Core group a défini la composition finale du Conseil présidentiel transitoire (CPT), qui est alors passé à neuf membres, dont deux qui occupaient un poste d’observation. Cet élargissement a assuré la présence de parties susceptibles de rendre son fonctionnement plus difficile. 

PHOTO : DOMINIC MORISSETTE

Malgré un large accord politique conclu le 3 avril 2024, complété par des règles de fonctionnement et une feuille de route, les débuts du CPT ont été chaotiques. Une tentative de changer les règles du jeu par quatre membres a paralysé les travaux qui n’ont repris qu’après d’importants changements, notamment l’adoption d’une présidence tournante. De plus, le CPT s’est révélé très budgétivore alors que l’économie du pays est en régression depuis six ans. Par ailleurs, l’accord du 3 avril n’a pas été appliqué entièrement ni publié dans le Journal officiel de la République d’Haïti. Un conseil de sécurité a été annoncé récemment, mais il n’existe toujours aucun organe de contrôle des actions gouvernementales.

Par la suite, de très vives tensions sont survenues entre le premier ministre Gary Conille, un fonctionnaire international et ex-directeur de la Fondation Clinton en Haïti et le CPT. Voulant diriger seul, comme s’il n’était redevable qu’à la communauté internationale, le premier ministre Conille a perdu son bras de fer et a été remplacé par un homme d’affaires local. Entretemps, l’insécurité a grandi : de nombreux pays, dont la République dominicaine, ont renvoyé les ressortissant·es haïtien·nes.

Le nombre de déplacé·es internes, qui était de 200 000 au début 2024, est passé à 700 000 aujourd’hui. 

Les violences des gangs armés ont fait plus de 5 600 morts en un an, et l’insécurité alimentaire frappe plus de la moitié de la population. Depuis la fermeture de l’aéroport, la capitale, contrôlée à 80 % par les gangs armés, est coupée du reste du pays et du monde. Enfin, les promesses d’aide, notamment sur le plan de la sécurité, ne se concrétisent pas.

2 plimay, mesye leblan 

« Deux plumages, Monsieur l’international ». Cette chanson très populaire parle de la totale liberté et de la complète impunité dont jouit la communauté internationale en Haïti, qui n’a à répondre d’aucun de ses actes devant qui que ce soit. Cependant, l’intransigeance du Core group persiste. À quelles fins ?

Plus que jamais, une solution haïtienne à la crise demeure la voie de sortie.


Jean-Claude Icart est sociologue et chercheur autonome.