Intervention présentée à la commémoration du 23 avril sur la vie et l’œuvre de Pierre Beaudet, décédé le 8 mars dernier, publiée sur Presse-toi à gauche.
Bonjour tout le monde et merci d’être là. Je veux d’abord saluer toute la famille et les membres de l’équipe qui a préparé l’événement. Le décès de Pierre me bouleverse énormément. Ces dernières années, notre collaboration s’était intensifiée et nous avions plusieurs projets en chantier.
Nous partagions largement une vision commune, qui est aussi celle de plusieurs d’entre vous. Cette perspective est de vouloir à la fois bâtir une alternative sur la scène politique et de développer l’action politique des mouvements sociaux.
Je n’ai connu Pierre qu’au début des années 2000. François Cyr, que je connaissais depuis longtemps, avait organisé une rencontre dans le but d’échanger sur ce qu’il était possible de faire dans une perspective de jonction entre le politique et l’action sociale. François était à la FNEEQ, alors que j’y avais été élu au secrétariat général. À l’époque, Pierre et lui cherchaient à mettre sur pied le « collectif d’analyse politique » (CAP). Peu de temps après, Pierre me présente Refat Sabbah et, dans une perspective de solidarité avec la Palestine, je propose à la FNEEQ de collaborer avec Refat pour organiser une conférence à Ramallah. J’ai évidemment demandé l’aide d’Alternatives, Pierre m’offre immédiatement de tout prendre en charge. Ce qui fut la clé du succès de la conférence d’octobre 2004, et qui s’est répété ensuite en 2010.
Pierre a toujours reconnu l’importance de rallier les mouvements syndicaux. Toutefois, vous savez qu’on peut se noyer dans le syndicalisme, tant le travail est absorbant. Et Pierre n’était pas le plus patient avec ces réseaux. Pour ma part, l’engagement syndical m’avait éloigné des mouvements au Québec ou au niveau international, alors que Porto Alegre devenait une importante destination annuelle de la gauche internationaliste. J’ai donc fait du rattrapage en participant à mon premier FSM à Mumbai en 2004 avec Pierre et Refat pour promouvoir la conférence de Ramallah qui a suivi. C’est alors que j’ai saisi l’énorme travail que Pierre faisait sur la planète.
Il n’était pas seul. Plusieurs personnes présentes aujourd’hui y ont joué un rôle majeur. Mais je dois dire que Pierre apportait un éclairage stratégique d’espoir qui rejoignait la résistance du moment. Pierre n’a pas rejoint la mouvance altermondialiste, il l’a créé. Il est parmi les 20 personnes sur la planète dont l’action a été cruciale pour son développement dans la première décennie du siècle.
Pourquoi Pierre était-il altermondialiste ?
Avec la chute du mur de Berlin, s’annonçaient de profonds changements politiques que nous espérions toutes et tous. Mais, surprise, qui n’en était pas une, le triomphe du capitalisme était claironné sur tous les tons ! La résistance s’est élargie à la faveur d’un début de jonction entre les secteurs mêmes les plus traditionnels du mouvement syndical et les nouveaux mouvements sociaux.
Avec Alternatives, Pierre s’est investi dans ce qu’on appellera plus tard l’altermondialisme. Pourquoi ? C’était pour lui la poursuite du double combat anticapitaliste et socialiste dans le nouveau contexte international qui se dessinait. Sa vision de l’altermondialisme était celle de bâtir un mouvement mondial « antisystémique ». D’une part, la critique de la mondialisation néolibérale était celle du capitalisme de la fin du 20e siècle. D’autre part, la perversion du projet socialiste qu’avait réussi à imposer le pouvoir autoritaire en Europe de l’Est exigeait de refonder la vision du socialisme. Au travers de ces deux défis, à Mumbai, s’exprimait toute la diversité des populations de la planète et de l’imaginaire populaire. Je l’ai vu intervenir contre la guerre en Irak à Mumbai, alors qu’avait eu lieu l’année précédente la plus grosse manifestation du Québec à ce jour !
Pierre était altermondialiste parce qu’il voyait une jonction possible des différentes composantes des mouvements sociaux dans la quête d’émancipation des peuples et des damnés de la terre, du Nord et surtout du Sud. Pierre était altermondialiste, comme il était socialiste, démocrate, internationaliste. Pierre était altermondialiste parce qu’il l’associait à une vision d’émancipation, qui l’amenait aussi à soutenir l’indépendance du Québec.
Pierre était altermondialiste, parce qu’il était un éducateur, au sens de Paulo Freire. Partisan de l’éducation populaire de conscientisation et de transformation sociale, l’organisation de lieux de convergence et de forums pluriels de réflexion est parmi ses plus grandes réalisations, y compris les forums sociaux mondiaux. Ses initiatives ont été des incubateurs de conscientisation pour plusieurs générations militantes.
Pierre et moi avions comme objectif de soutenir la réflexion sur les chemins que pourrait emprunter l’altermondialisme sous diverses formes. Ce projet de renouvèlement de l’internationalisme des mouvements, plusieurs le poursuivent un peu partout sur la planète dans le contexte actuel et à leur manière. Pour moi, le décès de Pierre, en plus de la perte un ami, me rappelle l’actualité toujours vivante de cet objectif. Nous devons redoubler d’ardeur pour bien saisir les dynamiques des réalités d’aujourd’hui afin de trouver la manière de poursuivre le même combat pour une société plus égalitaire et plus démocratique, véritable creuset de la liberté.