Isabel Cortés, correspondante

La Grèce a été secouée par une catastrophe, le 28 février 2023, qui allait marquer un tournant dans la mémoire collective du pays. Dans la vallée de Tempe, un accident ferroviaire impliquant deux trains circulant sur la même voie a causé la mort de 57 personnes et fait plus de 85 blessés, dont 25 dans un état grave. Un événement qui n’est pas sans rappeler celui du lac Mégantic le 6 juillet 2013 qui s’explique par les mêmes causes systémiques.

La tragédie de Tempe

Manifestation nationale du 8 mars 2023 une semaine après la tragédie @ NikosLikomitros – Own work, CC0, https://commons.wikimedia.org

L’événement en Grèce, connu sous le nom de la tragédie de Tempe, est devenu un symbole de l’indignation populaire contre la gestion gouvernementale. Les réponses face à la catastrophe restent un sujet de controverse et suscitent toujours d’importantes manifestations. Aujourd’hui, deux ans plus tard, les protestations persistent et la lutte pour la justice demeure un sujet brûlant partout en Grèce.

Selon un sondage réalisé par Alco pour la chaîne de télévision Alpha, une majorité écrasante de 72 % de la population grecque pense que le gouvernement cache des informations essentielles sur l’accident. Bien que l’enquête judiciaire ait été lancée tardivement sous la pression des familles des victimes, elle n’a toujours pas permis de faire toute la lumière sur l’ampleur de la négligence et de la corruption qui pourraient se cacher derrière cette tragédie.

De plus, il a été révélé que le gouvernement a mené une série d’interventions sur le site de l’accident, notamment l’enlèvement de terres et le coulage de ciment dans la zone, ce qui a entravé la collecte de preuves cruciales. La compagnie Hellenic Train, de son côté, a tenté de minimiser sa responsabilité en qualifiant l’explosion d’«une malheureuse coïncidence».

Des manifestations dans 365 villes à travers le monde

Le 28 février 2025, pour le deuxième anniversaire de la tragédie, la Grèce a connu un nouvel essor de la mobilisation pour la justice. Des manifestations ont eu lieu dans 365 villes à travers le monde en mémoire des victimes. À Athènes, la place Syntagma était l’épicentre de la contestation, avec des milliers de personnes envahissant la place et les rues avoisinantes, réclamant justice.

Dans son discours émouvant face à la foule rassemblée sur la place Syntagma, Maria Karystianou, présidente de l’Association des familles des victimes de Tempe et mère de Marthi, une jeune femme de 21 ans décédée dans l’accident, a fixé du regard le bâtiment du parlement et a déclaré, d’une voix chargée de douleur et de colère : «Je m’adresse aux assassins de nos enfants. Vous avez traité nos morts avec un mépris et un manque de respect incommensurables. Les restes humains et les ossements de nos enfants demeurent ensevelis dans des lieux cachés, tandis que vous vous lavez les mains. Vous avez commis le plus grand sacrilège et vous en paierez le prix par la vengeance des morts.»

Privatisation et décadence

Ces protestations ne sont pas seulement l’expression d’une douleur humaine, mais aussi une dénonciation politique. Le parti Syriza, qui a gouverné la Grèce entre 2015 et 2019, est pointé du doigt par beaucoup comme l’un des principaux responsables de la crise qui a conduit à cette catastrophe. Sous la direction d’Alexis Tsipras, Syriza a approfondi une politique d’austérité contre la classe ouvrière, sans précédent en Europe.

L’une des mesures les plus controversées a été la privatisation du réseau ferroviaire public, TrainOSE, en 2017. Pour la somme dérisoire de 45 millions d’euros, un réseau ferroviaire déjà en mauvais état a été cédé à des intérêts privés.

Cette vente, loin de constituer une solution, a marqué le début d’une dégradation encore plus importante du système ferroviaire grec. Comme le soulignent divers rapports, la privatisation a laissé les cheminots dépendants d’une infrastructure obsolète, incluant des systèmes de signalisation manuelle, compromettant gravement la sécurité.

Selon un rapport du WSWS, «après la privatisation, le réseau ferroviaire de la Grèce est devenu l’un des plus dangereux d’Europe. Entre 2018 et 2020, la Grèce a enregistré le taux d’accidents ferroviaires mortels le plus élevé par million de kilomètres parcourus», selon l’Agence des Chemins de fer de l’Union européenne, surpassant 28 pays européens.

Alors que la lutte pour la justice se poursuit, la population grecque montre une fois de plus leur détermination à obtenir des réparations et à s’assurer que des tragédies comme celle de Tempe ne restent pas impunies.

Sur la scène internationale, la solidarité avec le peuple grec s’est manifestée à travers des rassemblements devant les ambassades et consulats dans plus de 100 pays.
Dans des villes comme Londres, Paris, Berlin et New York, des groupes militants et des membres de la diaspora grecque se sont rassemblés pour exiger justice et exprimer leur soutien aux familles des victimes. L’ampleur de ces manifestations souligne l’impact mondial de l’accident de Tempe, devenu un symbole de la lutte contre la négligence étatique et le manque de transparence dans la gestion publique.