Maria Kiteme, correspondante en stage
«Une mine est un moulin à la bourse. S’il n’y a pas de financement, il n’y a pas de mines.» Une militante française.
Aujourd’hui, l’extractivisme s’intensifie à l’échelle mondiale, alimenté par une quête sans fin de ressources naturelles. Étant présente au cœur de nombreuses chaînes de production, l’industrie minière a des répercussions profondes sur l’agriculture, l’énergie, les réserves d’eau et de pétrole. Il est impossible d’aborder ces impacts sans évoquer les effets dévastateurs du capitalisme. Par cette volonté d’exploiter la terre, un système fondé sur une accumulation illimitée du capital prend place.
Dans les conférences du printemps, aux États généraux de la solidarité internationale, à La Grande transition 2025 ou au Forum social mondial des intersections (FSMI 2025), aucune n’y a échappé. Plusieurs ateliers s’y sont tenus en abordant différentes régions et différents aspects. Au FSMI 2025, c’est à l’initiative d’ATTAC France, d’ATTAC Québec et de Terrafrik Guinée que furent abordées, le samedi 31 mai, les conséquences de l’extraction minière dans le monde. Réunissant des spécialistes, des syndicalistes, des étudiant·es, des responsables d’ONG et de groupes citoyens ont échangé témoignages et réflexions sur les défis de cet enjeu,
Le colonialisme constitue, à bien des égards, un point d’ancrage dans l’essor du capitalisme au sein des dynamiques extractivistes. C’est notamment à travers les logiques de domination inégalitaire et d’appropriation institutionnalisée que ce système a pu s’implanter et se consolider durablement. Ces pratiques ont ouvert la voie au pillage systématique des ressources, qu’elles soient naturelles ou humaines. La recherche de main-d’œuvre bon marché s’est souvent traduite par des formes modernes d’esclavage, incluant le travail forcé et l’exploitation des enfants — des réalités qui perdurent aujourd’hui sous des formes plus insidieuses.
Entre consommation globalisée et terre violentée
Nous sommes désormais plongé.es dans une nouvelle phase de la mondialisation, marquée par une intensification des logiques capitalistes. Cet extractivisme, toujours plus agressif, ne cesse d’être soutenu par les organisations dominantes de ce système. Ici, on interpelle notamment les multinationales qui « enferment le vivant et la nature dans un cycle infernal de prédation et de violence », suivant une intervention d’un membre d’ATTAC France.
En réponse à une consommation mondiale de plus en plus frénétique — téléphones cellulaires, nouveaux ordinateurs ou voitures de luxe — des ressources comme le coltan, le cobalt ou les métaux rares sont arrachés du sol, bien souvent au prix des vies humaines et de la dégradation environnementale.
Nous ne pouvons plus fermer les yeux sur les conséquences aussi visibles et alarmantes :

«déforestation massive, destructions des écosystèmes, pollution des sols, poussières toxiques, accaparement des terres, bafouement des droits humains, accroissement des inégalités», ajoute Agnès Moussion, une représentante d’ATTAC France.
Ici, c’est le Sud qui doit en payer le plus grand prix. Comment, en tant que consommateur.trices, pouvons-nous rompre avec ce modèle pour ne pas devenir complices de cette destruction du vivant?
L’extractivisme alimente aussi une série de conflits géopolitiques, allant des tensions frontalières, des guérillas jusqu’aux guerres sanglantes. De l’Afrique jusqu’en Amérique latine, ces conflits persistent. L’atelier révèle le cas des zones situées à la frontière entre le Brésil, l’Uruguay et la Bolivie, subissant depuis des années la contamination de leurs sols et la dépossession de leurs terres au profit des industries extractives.
L’empreinte persistante de l’extractivisme colonial au Québec
Pendant l’atelier, Marc Fafard, militant originaire de Sept-Îles, a livré un témoignage sur l’industrie minière au Québec, soulignant les enjeux liés à la réglementation et à l’évolution récente du droit visant à mieux protéger les communautés autochtones. Le développement minier au Québec s’inscrit dans une continuité d’un extractivisme colonial, dont les effets se font encore sentir aujourd’hui.
Dès 1949, au Canada, des réserves ont été créées pour déplacer les peuples autochtones hors des forêts afin de faciliter l’implantation de compagnies minières, illustrant une logique de dépossession systémique. Bien que l’article 35 de la Constitution canadienne impose aux gouvernements de consulter les communautés autochtones, les mécanismes de compensation demeurent opaques et les ententes, souvent confidentielles, limitent la transparence et le suivi à long terme.
L’acceptabilité sociale, désormais exigée, ne garantit pas un véritable droit de refus, mais plutôt une négociation conduite par les élus municipaux, souvent sous pression. Des multinationales comme ArcelorMittal et Rio Tinto bénéficient toujours d’un appui gouvernemental conséquent, ce qui appelle à une vigilance accrue quant à l’implantation et aux conséquences de ces exploitations. La Loi sur les mines permet encore aujourd’hui l’expropriation au profit de projets industriels, comme ce fut le cas en 2012 lors du déplacement d’un village entier pour une mine d’or à ciel ouvert.
Actuellement, une vingtaine de mines sont en activité au Québec, principalement pour l’or, le lithium, le graphite et le nickel. Malgré un riche héritage syndical et une expertise locale, l’organisation du secteur reste dominée par un cercle fermé d’intérêts industriels et politiques. Des avancées existent, notamment dans la participation croissante des Premières Nations à certaines opérations minières, mais ces dynamiques coexistent avec des réalités de racisme, de précarité, et une répartition inégale des bénéfices. La question de la réhabilitation des sites et des obligations financières des compagnies minières demeure également entachée par un manque de transparence, causant de sérieuses préoccupations écologiques et sociales.
L’empire minier guinéen face à un extractivisme sans frontières
Le témoignage de TerrAfrik a mis en lumière les conséquences dramatiques de l’extraction minière en Guinée, pays doté d’importantes réserves de bauxite et de fer. Depuis plus d’une décennie, les communautés locales subissent des déplacements forcés vers des zones inadaptées à l’agriculture, une pollution des sols et de l’eau provoquant maladies et insécurité alimentaire, et des compensations promises rarement honorées.
Alors que de nouveaux projets comme celui de Simandou — le plus grand gisement de fer inexploité au monde — avancent sous l’égide de multinationales telles que Rio Tinto ou des sociétés chinoises, la promesse d’un développement équitable reste assez illusoire. En Guinée, l’adhésion au modèle de croissance économique des grandes puissances se traduit par le sacrifice progressif des modes de vie traditionnels au profit d’intérêts étrangers. Des zones d’exploitation fermées, coupées du reste de la population, sont créées pour servir les économies de puissances comme la Chine ou les États-Unis, sans générer de retombées significatives pour les personnes, souvent privées de soins, de transports ou de services de base.
L’absence d’infrastructures de transformation sur le sol guinéen, la concentration des profits entre les mains de multinationales et d’élites locales corrompues soutenues par les forces militaires locales, ainsi que la marginalisation persistante des populations touchées, révèle un modèle extractiviste profondément inégalitaire.
Bien que certaines figures de la société civile, désignées comme délégués locaux, tentent de faire entendre leur voix afin de promouvoir une gouvernance plus juste, elles sont fréquemment récupérées par un système politique verrouillé, où les techniques de manipulation institutionnelles sont courantes. Des leaders locaux ont pensé créer une alliance panafricaine — dont l’Initiative pour la Transparence dans les Industries extractives (ITIE) —, dans une volonté d’instaurer une chaîne de production locale. Dans ce contexte, la société civile guinéenne, malgré les pressions, continue de se mobiliser pour réclamer transparence, justice environnementale et redistribution équitable des richesses.
Briser le cycle extractif au-delà des frontières : la résistance citoyenne en action
Qu’il s’agisse des mobilisations portées par la jeunesse à Lyon ou à Turin contre les projets de mines de lithium, des leaders de Guinée, des militant·es du Brésil ou des membres des diasporas directement affectées, leurs luttes prennent une dimension transfrontalière. Toutefois, les formes de solidarité élargies passent par la réappropriation des savoirs, le maintien d’un dialogue entre le Nord et du Sud et des actions ciblées. Des techniques, telles que la dénonciation publique des actionnaires et la désobéissance civile sont assez communes, où on cherche à briser l’image de respectabilité des multinationales et entraver la logique spéculative qui alimente ces projets destructeurs.
Ensemble, ces alliances citoyennes se renforcent à partir de multiples points d’intersection, là où se rejoignent les résistances, les mémoires et les aspirations communes à la justice sociale et environnementale.