Quatre généraux colombiens accusés de 442 meurtres !

Justice pour les victimes !

Meurtres et disparitions forcées présentés comme des pertes au combat par les agents de l'État @ crédit photo Domaine public

Isabel Cortés, collaboration

La quête de vérité et de justice en Colombie a franchi une étape cruciale. Ce mercredi 19 février 2025, la Juridiction spéciale pour la Paix (JEP) a inculpé quatre généraux à la retraite de l’Armée nationale de Colombie, ainsi que 35 officiers et sous-officiers, pour leur responsabilité dans au moins 442 cas de « faux positifs » dans le département d’Antioquia entre 2004 et 2007. Dans une décision sans précédent, la JEP a déterminé que ces crimes comprenaient non seulement des homicides et des disparitions forcées, mais aussi des actes de torture, marquant une avancée significative dans la recherche de justice pour les victimes.

Hauts gradés inculpés et la politique du « comptage des corps »

Les généraux à la retraite Óscar Enrique González Peña, Luis Roberto Pico Hernández, Jorge Ernesto Rodríguez Clavijo et Juan Carlos Piza Gaviria ont été identifiés comme les principales personnes responsables d’une stratégie connue sous le nom de « comptage des corps ». Cette pratique, promue au sein de la IVe Brigade de l’Armée nationale, consistait à exécuter des civils innocents afin de les présenter comme des morts au combat. Cette politique répondait à la pression des hauts commandements militaires pour montrer des résultats dans la lutte contre les groupes armés illégaux.

Selon la JEP, la directive de privilégier les morts plutôt que les captures ou les démobilisations est restée en vigueur malgré les avertissements répétés des organismes de droits humains et du bureau du Procureur. Les troupes étaient soumises à des pressions pour augmenter le nombre de victimes et recevaient des incitations lorsqu’elles en rapportaient davantage. De plus, deux civils ont également été inculpés pour avoir fait partie d’un réseau criminel qui recrutait des victimes en leur faisant de fausses promesses d’emploi. Ces personnes étaient livrées à l’armée en échange de sommes oscillant entre deux et trois millions de pesos par « mort au combat ».

Cette stratégie macabre ne se limitait pas à Antioquia, mais a également été constatée dans d’autres unités militaires, comme la Brigade mobile 15 dans le Catatumbo.

Torture et autres formes d’exécution

Pour la première fois, la JEP a déterminé qu’au moins 22 cas, impliquant 41 victimes, comprenaient des actes de torture. Ces pratiques étaient utilisées pour extorquer des aveux, obtenir des informations sur du matériel de guerre ou forcer des délations concernant de membres de groupes armés.

Le tribunal a également identifié quatre modalités d’exécution de ces « faux positifs » :

  • Accusations arbitraires : des civils étaient détenus et assassinés après avoir été accusés sans preuve d’appartenir à la guérilla.
  • Tromperie : des victimes étaient recrutées sous de fausses offres d’emploi avant d’être exécutées.
  • Assassinat de personnes combattantes  : des guérillrendueseros qui se rendaientau lieu volontairement étaient tués d’être capturés.
  • Meurtres opportunistes : des personnes circulant dans des zones contrôlées par l’armée étaient exécutées pour gonfler les statistiques.

L’un des cas les plus choquants est celui de Martha Olivia Duque García, une fillette blessée lors d’un affrontement à Cocorná, Antioquia. Selon des témoins, elle s’est rendue et a demandé de l’aide, mais au lieu d’être secourue, elle a été interrogée puis assassinée afin d’être présentée comme une morte au combat. La JEP rapporte :

« Le 24 août 2004, dans la municipalité de Cocorná, Antioquia, Martha Olivia a été gravement blessée à la poitrine lors d’un affrontement avec l’armée. Elle s’est agenouillée et a levé les mains en signe de reddition face aux troupes du Bataillon d’Infanterie no 4′ Jorge Eduardo Sánchez ». « Ne me tuez pas, je me rends », a-t-elle supplié le soldat qui l’a trouvée. Elle a été retenue par les militaires, interrogée et, après avoir fourni des informations, assassinée et présentée comme une morte au combat. Son corps a été transporté à cheval jusqu’à une sucrerie voisine avant d’être remis à la morgue municipale. »

Conséquences légales et prochaines étapes

Les militaires et civils inculpés ont la possibilité d’accepter leur responsabilité et de bénéficier des avantages de la justice transitionnelle, ce qui pourrait conduire à des sanctions restauratrices. En cas de refus, leur affaire sera transmise à l’Unité d’Enquête et d’Accusation (UIA) de la JEP. S’ils sont reconnus coupables lors du procès, ils risquent jusqu’à 20 ans de prison.

La JEP poursuit son enquête sur les « faux positifs » dans le cadre du Dossier 03, qui examine la responsabilité des responsables de l’État dans des exécutions extrajudiciaires. Cette nouvelle décision marque un progrès important dans la lutte contre l’impunité et constitue une étape essentielle pour faire la lumière sur l’un des chapitres les plus sombres du conflit armé en Colombie.


Pour mieux comprendre

Qu’est-ce que les « faux positifs » ?
Ce sont des exécutions extrajudiciaires perpétrées par des membres de l’armée colombienne, où des civils innocents étaient assassinés, puis présentés comme des guérilleros tués au combat afin d’augmenter artificiellement les statistiques militaires.

Qu’est-ce que la JEP et quel est son rôle ?
La Juridiction spéciale pour la Paix (JEP) est un tribunal de justice transitionnelle mis en place à la suite de l’Accord de paix de 2016. Son mandat est d’enquêter, de juger et de sanctionner les crimes commis dans le cadre du conflit armé en Colombie.