Quatre ingrédients des mouvements anarchistes dans le monde

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Bien que très différents, les luttes anarchistes et antiautoritaires partagent des pratiques qui peuvent inspirer les luttes sociales actuelles. Ces mouvements ont des pratiques communes qui se sont avérées efficaces. Portrait de quatre types de pratiques en Grèce, Europe de l’Est et Amérique latine.

C’est à l’occasion du camp de formation anarchiste organisé par l’Organisation
révolutionnaire anarchiste (ORA), RAFALES, qu’une activité dédiée aux luttes anarchistes et révolutionnaires dans le monde a eu lieu durant le rendez-vous du 28 au 30 mars dernier. Quatre caractéristiques communes ressortent de l’expérience de ces pratiques : les groupes affinitaires, les rassemblements festifs et culturels, la proximité avec la population et l’éducation populaire.

Les groupes affinitaires

Un groupe affinitaire est un cercle restreint de personnes qui se considèrent comme une
force politique autonome. Allant généralement de 7 à 20 membres, ces groupes favorisent la confiance, la sécurité et l’efficacité, tout en réduisant les risques d’infiltration. Les décisions s’y prennent par consensus, sans hiérarchie, ce qui permet des actions rapides et adaptées aux besoins urgents.

La plupart des mouvements anarchistes ont en commun ce mode de fonctionnement. À
Bialystok par exemple, en Pologne, entre 1903 et 1908, le groupe anarchiste Black Banner (Chernoe Znamia) a mené des actions directes particulièrement importantes contre l’oppression tsariste. C’était notamment des attentats contre des représentant.es de l’État, des sabotages et des expropriations visant à financer leurs activités. Leur approche visait à éveiller la conscience de classe et à inciter à la révolte contre l’ordre établi.

A meeting of Chernoe Znamia members 1906 in Minsk.

Les groupes affinitaires leur ont permis d’agir efficacement et rapidement. Combiné à
d’autres groupes, tel que des groupes techniques et des groupes armés, cela leur a donné
une flexibilité permettant de faire des actions en réponse directe à des enjeux vécus par la
population.

Les rassemblements festifs et culturels

Fresque murale en soutien à la lutte des étudiants de la Faculté des sciences humaines de l’Université de Valparaiso en 2011.

Dans les mouvements anarchistes, les moments informels sont un vecteur important de la
diffusion des idées et de la lutte, passant par les moments festifs, l’art ou la musique. Ils
permettent de partager les valeurs d’un mouvement, rejoindre une plus grande diversité de
personnes et changer les mentalités. Cela crée une cohésion sociale importante et
essentielle pour un groupe.

Au Chili, par exemple, les rassemblements festifs et culturels entre luttes sociales et pratique artistique étaient très importants : concerts, fresques murales, performances engagées et théâtre de rue nourrissent une culture populaire de résistance ancrée dans les quartiers. En transformant la rue en scène, les anarchistes chiliens font de la fête un outil de lutte, un moment de réappropriation de l’espace public.

La proximité avec la population

Les mouvements anarchistes naissent d’un besoin urgent de la population, en particulier des travailleur.euses dont les droits ne sont pas respectés. Pour une révolte qui prend ses
racines dans les classes populaires, il est essentiel que la population se sente concernée,
participe elle-même à ces mouvements et en définisse les priorités.

Cette proximité prend forme de différentes manières : des centres sociaux, une présence
active dans les quartiers et des réseaux informels de solidarité. À travers ces moments les
personnes concernées peuvent parler des injustices vécues et des futurs combats à mener.
À partir de cette connaissance des besoins concrets de la population, les actions directes
peuvent être réellement adaptées et des plus efficaces, malgré la répression. Le collectif
anarchiste grec Rouvikonas, né en 2013 à Athènes, en est un bon exemple. Grâce à une
stratégie de visibilité et de proximité avec la population, il mène des actions symboliques et
directes contre les institutions perçues comme responsables de l’oppression sociale.

Ce collectif parvient à articuler des actions spectaculaires, comme des jets de peinture sur
des ambassades ou des occupations de bâtiments publics, avec un ancrage local fort. Il gère par exemple le centre social autogéré K*Vox, un espace ouvert à la communauté où se tiennent des réunions, des projections et des initiatives solidaires. Cette présence
quotidienne dans le tissu social leur confère une légitimité auprès des gens. Leur stratégie
repose sur une communication transparente et une volonté de rendre visibles les injustices
sociales, tout en maintenant un lien constant avec la population des quartiers populaires.

L’éducation populaire

Enfin, la transmission des idées, des savoirs, des connaissances passe surtout par
l’éducation. L’école institutionnelle inculque dès le plus jeune âge certaines politiques et
valeurs en phase avec les valeurs dominantes du pouvoir en place. L’éducation populaire est à l’inverse une forme plus autonome qui favorise l’esprit critique.

L’éducation populaire dans le mouvement anarchiste prend différentes formes :
bibliothèques sociales, centres autogérés, ateliers de discussion, de publications militantes
ou encore écoles alternatives. Ces espaces sont ouverts, souvent gratuits, et permettent à
chacun·e de devenir à la fois apprenant·e et enseignant·e, privilégiant une dynamique
horizontale qui valorise l’expérience, le doute, le dialogue et la confrontation des idées
comme moteurs de l’émancipation.

Loin des hiérarchies professorales, des programmes imposés et des évaluations normatives, l’éducation populaire anarchiste se distingue de l’éducation classique et mise sur la co-construction du savoir et l’autonomie intellectuelle. Elle critique la neutralité apparente du système scolaire et cherche à redonner le pouvoir d’apprendre aux individus.

L’impact concret de cette éducation est profond : elle permet l’émergence de consciences
critiques, la création de réseaux de solidarité et la réappropriation de savoirs longtemps
confisqués. Dans des quartiers populaires, elle ouvre des portes à des personnes exclues du système éducatif classique. Dans les milieux militants, elle nourrit les réflexions stratégiques et les pratiques collectives. L’éducation populaire, en refusant l’élitisme et la passivité, devient un levier fondamental de transformation sociale.

En conclusion, les mouvements anarchistes sont nombreux, mais le plus important reste de
construire et faire perdurer une cohésion sociale au sein de la lutte et de rester proche de la population. Si l’anarchisme est né au 19ᵉ siècle, il a pris des formes nombreuses, et
l’efficacité de chaque mouvement dépend de nombreux critères. Ce qu’il faut retenir, c’est
qu’il n’y a pas une unique et bonne version de l’anarchisme. Chaque lutte a eu ses valeurs,
ses pratiques, et ses victoires dont on peut s’inspirer dans nos luttes actuelles.

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