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Sabine Bahi et Emmanuelle Roy, membres du Projet accompagnement solidarité Colombie (PASC)
Nous publions l’article paru dans le journal Le Devoir vendredi le 5 septembre 2025, avec la permission des autrices, dont notre correspondante Sabine Bahi.
Juillet 2025. Près d’une centaine de personnes issues de douze pays différents s’entassent au sein de camionnettes, d’autobus et de motos pour sillonner les routes cahoteuses de la région du Catatumbo, dans le nord-est de la Colombie. Chaque véhicule arbore un drapeau aux couleurs de la caravane humanitaire qui vient de débuter.
Le Projet accompagnement solidarité Colombie (PASC) nous a menées à en faire partie. Pendant une semaine, la caravane s’est arrêtée de village en village pour recueillir les témoignages de la population et dénoncer les violations des droits de la personne recensées. Souffrant d’une stratégie d’abandon étatique historique, le Catatumbo vit une intensification des affrontements armés et une militarisation du territoire. Les principales victimes sont les habitants de la région, en avant-plan desquels se retrouvent ceux qui ont le courage de défendre la justice sociale.
L’exercice ne se limite pas à la dénonciation. Les caravanes humanitaires, en ce qu’elles réunissent des mouvements nationaux et internationaux, permettent surtout de s’inspirer des formes d’organisation et de résistance que chacun exerce depuis son territoire. C’est cette mise en commun des savoirs et des espoirs qui en fait un des exercices les plus directs de l’« internationalisme ».
Ce courant, populaire au tournant du siècle à travers le mouvement altermondialiste, prône une solidarité sans frontières : il y aurait un devoir moral de s’indigner et d’agir collectivement face aux injustices, peu importe où elles ont lieu. Plutôt que de comprendre l’action pour la justice sociale comme étant située géographiquement, il s’agit plutôt de considérer que, les grands enjeux modernes revêtant un caractère international, la mobilisation pour y faire face doit être pensée à la même échelle.
Remédier à l’impuissance
La crise climatique fait des ravages d’un bout à l’autre de la planète, le réchauffement ne connaissant pas de frontières. Les mouvements migratoires touchent les pays du Sud et du Nord de manière différenciée, mais simultanée. Les uns dénoncent le pillage de leurs ressources par les compagnies des autres. On observe une tendance irréfutable à l’exacerbation des inégalités sociales et à la concentration du pouvoir, alors que le mot « oligarchie » gagne en popularité dans les analyses de la conjoncture. Impuissants, spectateurs : difficile de savoir comment agir face à des phénomènes mondialisés.
À cela s’ajoute le déploiement sans précédent de la misère humaine sur les réseaux sociaux, où jeunes et moins jeunes voient monter leur anxiété alors qu’ils consultent plusieurs fois par jour les images de catastrophes climatiques et de souffrance génocidaire, depuis le confort de leur salon. Pour rompre l’immobilisme, plusieurs se lancent dans l’activisme de réseaux sociaux, autre forme d’internationalisme moderne. À travers diverses plateformes, on informe, on partage, on dénonce, exprimant notre solidarité avec des inconnus.
Mais l’activisme en ligne a ses limites : ceux qui le pratiquent ne voient que rarement les effets concrets de leur action. Cela peut avoir pour effet l’exacerbation du sentiment d’urgence, simultanément à une déconnexion de la réalité du terrain.
Les caravanes humanitaires répondent à ce décalage, misant sur la force du nombre et des médias pour permettre l’accès physique à des territoires que différents contextes rendent inaccessibles à l’individu. Les rencontres qui en résultent sont transformatrices en ce qu’elles brisent l’isolement des luttes et nourrissent la force militante. À titre d’exemple, la caravane qui a parcouru le Catatumbo en 2004 a stimulé la création du Comité d’intégration sociale du Catatumbo (CISCA), organisation sociale jouant un rôle fondamental dans l’accès aux infrastructures de base. Le tissu social qu’elle favorise est essentiel dans un contexte d’isolement, où les communautés sont forcées de construire elles-mêmes routes, écoles et dispensaires au milieu de l’adversité.
De la Colombie à la Palestine
Ce mode d’action trouve écho dans le mouvement de solidarité avec la Palestine. Depuis une quinzaine d’années, des individus de partout dans le monde se réunissent à bord de flottilles sous forte vigilance médiatique internationale afin de se rendre directement sur le terrain et de rompre le siège militaire et politique d’Israël. Une flottille d’encore plus grande ampleur a maintenant pris la mer, il y a quelques jours. À l’image de sa participante Greta Thunberg, ce mouvement représente bien le nécessaire renouveau de l’internationalisme, caractérisé par l’union des luttes, où l’on agit autant contre la crise climatique que pour le sort des opprimés.
Qu’elle soit terrestre ou maritime, une caravane permet la reprise de pouvoir par les masses et envoie un message clair : les 99 % sont prêts à agir partout. Là où le 1 % impose son siège, là où il s’absente, où il ferme les yeux ou piétine aveuglément toute forme de vie. Dans un monde où les oligarques des quatre coins de la planète semblent unis à huis clos, permettons-nous de l’être aussi, haut et fort, sans égard pour les frontières.