Sacha Dessaux, correspondant en stage

Alors que l’on peut pratiquement considérer la Biélorussie comme une province russe et que l’Ukraine, sous le feu de la guerre, n’est presque plus maitresse de son destin, la Géorgie et la Moldavie ont toutes deux faits en octobre dernier un choix dans la direction future de leur pays. Dans ce premier article, notre correspondant Sacha Dessaux aborde la dynamique politique moldave, pour ensuite la mettre en relief avec celle de la Georgie dans un deuxième article à paraître. La rédaction.


Deux scrutins ont eu lieu en Moldavie pendant le mois d’Octobre : l’élection présidentielle, remportée par la présidente sortante pro-européenne Maia Sandu, mais aussi un référendum pour inscrire l’objectif de rapprochement européen dans la constitution , qui a lui aussi été remporté par le courant pro-européen. Si cette double victoire peut sembler être un signe clair de la direction que le peuple moldave souhaite prendre pour son avenir, plusieurs éléments méritent d’être pris en compte.

Petit pays roumanophone de presque deux millions cinq cent mille habitants, enclavé entre l’Ukraine et la Roumanie, la Moldavie a joué les cartes de son destin en octobre dernier. Comme l’Ukraine, la Biélorussie et la Géorgie, la Moldavie est une ancienne république socialiste soviétique. Depuis la chute de l’URSS en 1991, ces états sont tiraillés entre le rapprochement vers l’Union européenne et la conservation des liens avec la Russie, qui les considère comme faisant partie de sa zone d’influence exclusive. Cette lutte d’influence ne laisse finalement qu’une difficile opportunité de floraison démocratique ainsi qu’une fine liberté d’action à ces néo-démocraties, puisque tout processus de rapprochement vers l’Europe est invariablement agent de rétroactions russes.

Fragilité démocratique

La Moldavie subit les mêmes tourments que beaucoup des démocraties modernes : une polarisation extrême. Le vote rural et urbain est plus divisé que jamais et Maia Sandu a été sauvée par le vote des expatrié.es, car elle n’a remporté que 49% des voix exprimés depuis l’intérieur du pays. Le référendum européen quant à lui n’a été remporté que par 50,3%, témoignant de la fragilité de l’union nationale derrière cette idée et de la faible attractivité de projet européen. Cette victoire étriquée s’explique aussi par un sentiment d’appartenance sentimental à la Russie qui est toujours bien présent en Moldavie. Il y a une culture partagée, évidemment par l’histoire commune des deux états, mais aussi par la religion (Christianisme orthodoxe) et surtout par la langue, puisque malgré son absence de statut officiel, le Russe est fortement parlé. La présidente s’est d’ailleurs adressée à son peuple en Moldave et en Russe dans son allocution de victoire.

Présence russe

Le lien avec la Russie n’est toutefois pas que symbolique, il est quasiment territorial. Toute la région orientale de la Moldavie, la Transnistrie, s’est autoproclamée indépendante suite à une guerre en 1992. La Russie, sans reconnaître l’indépendance de l’état, la considère toutefois comme une région autonome et l’utilise comme dépôt d’armement. Moscou a aussi une forte présence militaire en Transnistrie, puisque c’est majoritairement elle qui y assure la sécurité et le contrôle frontalier. Cette situation n’est pas sans rappeler la Géorgie, qui doit aussi conjuguer avec deux états indépendantistes sous influence russe, l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud. Ces deux états sont d’ailleurs les seuls à reconnaître la Transnistrie comme état souverain.


L’impact de la guerre en Ukraine

La guerre en Ukraine est devenue un facteur incontournable de la vie moldave, puisque plus de 100 000 ukrainien.nes ont déjà été accueilli.es.
La réaction à l’ouverture du conflit ainsi que la mise en place des sanctions antirusses sont venues bouleverser les plans de Sandu, qui n’a alors pas pu mettre en place son programme. Avec une forte politique d’éloignement de la Russie concernant notamment la dépendance énergétique, une importante inflation a pris forme dans le pays. Sandu est depuis une présidente de plus en plus décriée en Moldavie, jugée comme responsable des difficultés économiques de ce pays qui est un des plus pauvre du continent.


Ingérence en Moldavie

Comme ce fut le cas en Géorgie, beaucoup d’inquiétudes existaient quant à la bonne tenue de ces votations. Ces inquiétudes se sont malheureusement montrées légitimes assez rapidement, tant l’ombre de la Russie a marqué les événements. Moscou est inquiète de voir sortir de son giron ce qu’elle estime être sa chasse gardée. La peur de contagion démocratique proche de ses frontières et le rapprochement de l’OTAN sont les deux menaces qui inquiète le gouvernement russe. Toutefois, contrairement à la Géorgie où les fraudes étaient vraisemblablement contrôlées par l’oligarque local Ivanichvili, les institutions moldaves semblent plus saines.
L’attaque est donc venue de l’extérieur. Elle s’est exprimée notamment par des alertes à la bombe qui ont été lancées inopinément dans différents bureaux de vote internationaux. Aussi, la Russie semble avoir organisé des vols nolisés pour des moldaves pro-russe dans différents pays voisins pour leur permettre de voter.

Une élection d’une ex-république soviétique ne serait rien sans son oligarque. Ilan Shor est une personnalité désormais exilée en Russie suite à son rôle dans un scandale de fraude bancaire, ayant causé la perte d’un milliard à la Moldavie. Les autorités moldaves estiment que Shor a dépensé près de 40 millions d’euro pour influencer le vote, concernant jusqu’à 133 000 votes.

Ces élections, dont le résultat final s’est conclu en faveur de la présidente Sandu, ne doivent pas effacer les nombreuses zones d’ombres. Le projet européen est loin de convaincre une franche majorité. La présidente a été « sauvée » par les expatrié.es , situation qui ne pourra pas se reproduire aux élections législatives de 2025 en raison du différent mode de scrutin. Sans remise en question la présidente pourrait être mise face à une cohabitation difficile avec son parlement. La Géorgie, qui suit une trajectoire similaire depuis 2012, est le témoin parfait de la vitesse à laquelle la dérive antidémocratique peut s’installer. L’importance de l’ingérence russe montre que le projet de recréer une grande zone d’influence avec les états de l’ex-URSS n’est définitivement pas enterré, donnant l’impression que la politique en Europe de l’Est est bloquée dans une même boucle depuis 1991, alors même que l’explosion de l’URSS était vue comme la naissance à un nouveau paradigme.

Pour en savoir plus:

1 COMMENTAIRE

Les commentaires sont fermés.