ANTOINE BESSON, basta, 3 MARS 2020
Pris en étau entre le régime autoritaire Turc et la gouvernement de droite grec, les réfugiés coincés dans le camp de Moria sur l’île de Lesbos sont totalement abandonnés par les pays de l’Union européenne. 21 000 personnes s’y entassent, sans nourriture et sans chauffage.
Des « check points » sont improvisés sur les routes par des militants d’extrême droite, des étrangers sont attaqués, les voitures de location visées. Depuis quelques jours, l’île grecque de Lesbos (86 000 habitants), à quelques encablures des côtes turques et « hotspot » d’arrivée de réfugiés par la Turquie, connait une tension et des violences inédites. Que les annonces d’Erdogan sur l’ouverture des frontières turques ne devraient pas contribuer à calmer. Le gouvernement grec vient d’annoncer qu’il suspendait toutes les procédures de demande d’asile.
« Cela a commencé il y a environ un mois, avec un appel du gouverneur régional [Kostas Moutzouris] à une grève générale », raconte Lorraine Leete, coordinatrice du « Legal Centre Lesvos », une petite ONG basée à Mytilene, la capitale de l’île. Le mot d’ordre de la grève : “We want our islands back, we want our lives back” (« Nous voulons retrouver nos îles, nous voulons retrouver nos vies »). Des messages anti-migrants alors que l’île est en surchauffe.
Sur-concentration de 21 000 personnes dans le camp de Moria
Depuis l’arrivée au pouvoir du gouvernement conservateur en juillet dernier, les transferts de migrants et réfugiés vers Athènes ont subi un coup d’arrêt. Dans le même temps, les arrivées ont recommencé à augmenter en 2019. Elles risquent de s’accélérer avec la fuite des populations civiles coincées dans la poche d’Idlib, en Syrie, prises en étau entre l’armée de Bachar al-Assad soutenue par la Russie, les factions rebelles et l’armée turque. Résultat : plus de 21 000 personnes s’entassent aujourd’hui dans le camp de Moria, conçu à l’origine pour accueillir 3000 réfugiés maximum !
Les conditions de vie y sont plus épouvantables que jamais, et la tension monte depuis des mois. « Il y a eu une escalade. Des gens ont coupé des arbres, parce qu’ils avaient besoin de se chauffer. Il y a eu aussi des vols de moutons, parce qu’ils n’avaient rien à manger. Il faut remettre ça dans un contexte où on a, côte à côte, un petit village de 1000 habitants et un camp insalubre de 21 000 personnes, qui n’ont rien », explique Lorraine Leete.
Un gouvernement conservateur qui ferme les routes de l’asile et veut construire un camp fermé
Forts du succès de la grève générale, les mouvements d’extrême droite continuent depuis les attaques sporadiques, visant les migrants et ceux qui les aident. En parallèle, les réfugiés tentent également de s’organiser. Afghans ou Syriens, ils demandent des solutions pour arrêter de s’entasser sur l’ile. Problème : depuis janvier, une nouvelle loi sur l’asile rend pratiquement impossible leur régularisation. Le gouvernement de Kyriakos Mitsotakis (Nouvelle démocratie, droite) entend appliquer strictement l’accord entre l’Europe et Ankara. Il refuse de laisser les demandeurs d’asile rejoindre le continent, et déporte tous ceux dont la demande est rejetée.
Le gouvernement grec envisage la construction d’un centre fermé sur Lesbos, pour faciliter ces expulsions. Un nouveau camp auquel l’extrême droite grecque comme les migrants se sont opposés brutalement. En début de semaine, les forces de police envoyées pour protéger le chantier ont dû faire face à des émeutes des deux groupes. La base militaire dans laquelle les policiers étaient hébergés à été attaquée de nuit, précipitant le départ de la plupart des unités.
Des bateaux empêchés d’accoster
L’alliance entre les deux camps n’aura évidemment pas duré. Certains habitants empêchent les bateaux de migrants d’accoster. Des Syriens venus aider les naufragés se seraient fait attaquer. La route entre le nord de l’île et le camp de Moria a été bloquée. Des tentes d’un camp temporaire ont été détruites. La police n’interviendrait que très peu pour stopper ces violences.
« L’ambiance est très tendue sur l’île. Des attaques continuent, il y a des routes bloquées, des journalistes et des migrants ont été tabassés. Il suffit d’avoir un autocollant d’une ONG sur une voiture pour que les vitres soient brisées. À côté de ça, d’autres habitants vont, au contraire, exprimer leur solidarité avec les réfugiés », commente Lorraine Leete. Un journaliste allemand, Michael Trammer, a été agressé et blessé par des militants d’extrême droite, qui tentaient de s’opposer à l’accostage d’une embarcation en détresse.
L’annonce d’Erdogan d’ouvrir la frontière turque ne pourra que faire monter les tensions. L’armée grecque a annoncé la tenue d’exercices militaires et a prévenu qu’elle ouvrirait le feu à balles réelles… De l’avis de tous, les migrants ne peuvent et ne doivent pas rester entassés sur les îles. Aux gouvernements, en Grèce et ailleurs en Europe, d’ouvrir d’autres voies.