Le massacre perpétré au Burkina dans la zone frontalière avec le Mali le 4 juin dernier a rappelé au monde la gravité de la crise dans ce pays et dans la sous-région région. Seulement au Burkina, 1,4 million de personnes ont été déplacées par une guerre invisible qui a fait plus de 600 victimes depuis le début de 2021. Cette catastrophe ne peut être comprise sans prendre en compte la méga crie des crises qui menace des millions de vie dans l’effondrement généralisé des infrastructures, aggravé par la Covid. À cela s’ajoute le verrouillage des frontières par les États impérialistes qui sous-contractent la répression aux régimes autoritaires africains et maghrébins.
Le Maghreb et l’Afrique de l’ouest ont été pendant longtemps une chasse gardée de la France sous la domination de ce qu’on appelait « FrançAfrique », qui était un vaste réseau économique, politique et militaire mandaté par Paris pour gérer le pillage des ressources et une gouvernance locale autoritaire. Le dispositif se chargeait également de mâter toute velléité d’indépendance par la force militaire et la cooptation des élites locales, ce qui n’a pas empêché la région d’être traversée de grandes rébellions et de tentatives de briser la prison de verre, comme ce qu’avait fait Thomas Sankara notamment.
Dans ce vaste ensemble, l’immense sous-région sahélienne a toujours été particulièrement fragile et remuante. Traditionnelle route commerciale et humaine, réservoir de main d’œuvre à bon marché pour les durs travaux mal payés en France ou les plantations en Côte d’ivoire, le Sahel est présentement dans une crise dont on ne voit pas la fin.
La France en déclin
Depuis 60 ans, la décolonisation dont le vrai nom est la néocolonisation a été verrouillée par l’État français, à partir d’une imposante et constante présence militaire permanente. Autour d’enjeux géo-économiques (contrôle des ressources) et géopolitiques, la France a cherché à maintenir tant bien que mal son hégémonie dans la sous-région, mais depuis quelques années, la donne a changé. Le lent mais irrésistible déclin de la France comme puissance sur ses propres bases et allié stratégique du dispositif impérialiste (avec les États-Unis et l’OTAN) a plusieurs impacts dont celui qui apparaît sous la forme d’une compétition acharnée entre puissances, avec la montée spectaculaire de la Chine. D’autres États qui essaient d’être émergents sont sur le terrain, pensons donc à la Russie, l’Inde, la Turquie, la Corée du Sud. Incapable de résister à ce grignotage de positions politiques et économiques, France tente de convaincre ses alliés de l’Union européenne qu’elle a besoin d’appuis pour maintenir l’« ordre » néocolonial. Mais selon Philippe Leymarie, historien et collaborateur régulier du Monde Diplomatique, peu d’états européens (et d’autres y compris le Canada) sont volontaires pour embarquer dans ce chaos.
Une autre guerre « sans fin »
Militairement, la France demeure omniprésente avec des bases dans huit pays africains et une force comptant 5 100 soldats dans les pays sahéliens[1]. Récemment, le Mali a été l’épicentre de la crise où l’armée française a « sauvé » le régime en place («Opération Serval » ). Les combattants djihadistes qui avaient pris le contrôle de certaines villes du nord et avançaient même vers la capitale Bamako ont été refoulés. Aujourd’hui, les rebelles se sont redéployés vers l’ouest le et le sud et sont en mesure de déstabiliser une armée malienne qui reste en état de dislocation permanente. L’an passé, des officiers mécontents de la tournure des évènements se sont emparés du pouvoir sans qu’aucune solution politique et militaire ne soit en vue. Au Niger, même instabilité : pour la France, ce pays est stratégique à cause des opérations de la minière AVEA qui exploite les gisements d’uranium, une activité très importante compte tenu de la centralité de l’industrie nucléaire en France. C’est un peu la même chose au Tchad, important producteur pétrolier, où la France joue un rôle central dans les conflits politiques très instables qui traverse ce pays. Depuis 2014 avec l’Opération « Barkhane », le contingent militaire occupe un rôle central dans le dispositif, tout en tentant d’ « africaniser » la guerre vie la « G5-Sahel » qui regroupe la France, la Mauritanie, le Mali, le Niger, le Burkina, le Tchad. Parallèlement, la France a réussi à amener l’ONU sur le terrain au Mali où 14 000 soldats de divers pays sont déployés pour « maintenir le paix ».
Impasse
Malgré ce puissant dispositif, on constate que la force militaire actuelle ne réussit pas à stabiliser la situation. Les militaires africains sont utilisés sans avoir de véritables moyens (notamment une force aérienne). Entre l’ONU, la France, le G5, la coordination fonctionne au minimum, affectée par le souci français de garder le contrôle et la lourdeur bureaucratique.
Du côté des rébellions, le portrait est également complexe. Il y a des dissidences importantes de nature ethnico-régionale, notamment celle des Touareg, un ensemble de populations nomades qui ont longtemps dominé les régions frontalières. Employés comme mercenaires un peu partout en Afrique, y compris en Lybie à l’époque de Kadhafi, les Touareg ont une expérience militaire significative. Militairement forts, mais politiquement inaptes, ils sont divisés entre diverses factions selon des projets politiques distincts (jusqu’à la création d’États), sociologiques et économiques, étant donné leur importance dans une zone où affluent tous les trafics (de personnes, de drogue, d’armes). Parallèlement, des djihadistes sont éparpillés entre plusieurs groupes qui se réclament d’Al Qaeda (« État islamique dans le grand Sahara ») et plus récemment, de Daesh où l’organisation a acquise des positionnements militaires, notamment le long du Lac Tchad et d’autres régions périphériques depuis longtemps délaissées par l’État. Les recrues affluent provenant des centaines de milliers de jeunes hommes désespérés et désœuvrés pour qui combattre dans ces groupes est souvent la seule option dans le contexte de la pauvreté, du chômage et de l’impossibilité de migrer. Le maillage entre djihadistes et bandes mafieuses qui contrôlent les flux apportent d’importantes ressources.
Points de rupture
Selon Philippe Leymarie, la France risque de s’enliser au Sahel, comme ce qui est arrivé aux États-Unis en Afghanistan. « Il n’y a pas de porte de sortie évidente. L’insécurité est croissante. L’espoir d’éradiquer les djihadistes s’estompe chaque semaine ». À vrai dire estime cet expert, « il n’y a pas de solution strictement militaire. Le problème, c’est qu’une solution politique n’est pas à l’horizon non plus. La France ne réussit pas à se sortir du cercle vicieux du néocolonialisme. Les coûts en soldats et en ressources, qui nécessitent des logistiques complexes à longue distance, sont assez énormes ».
Macron voudrait bien africaniser ou sahéliser la défense de l’ordre, mais, selon Leymarie « il n’y parvient pas ». Les appels à l’aide vers l’Europe et l’ONU restent lettres mortes. Même en France, la présence au Sahel est contestée, avec 50 % de l’opinion publique (selon divers sondages récents) désormais hostile au maintien des bases militaires françaises. « On sent une lassitude de l’opinion qui a le sentiment que la France n’est plus en mesure d’être le gendarme de l’Afrique ». Comme si tout cela n’était pas hautement problématique, la crise larvée qui s’étend au sud du Sahel au Nigeria et au Cameroun par exemple, indique l’impossibilité pour une puissance « rapetissée » comme la France de sortir du bourbier.
La flamme vacillante de la démocratie
Les attentats qui se multiplient au Burkina, au Mali et ailleurs sont évidemment des symptômes et non des causes. Coincés entre les régimes, les militaires, le dispositif français et les djihadistes, des réseaux articulant une opposition démocratique restent actifs, surtout dans les zones urbaines.
Une nouvelle génération de leaders politiques, notamment Oumar Mario (Mali), Moussa Tchangari (Niger) et Ousmane Sonko (Sénégal) tente de se faire un espace dans le contexte de l’effondrement, de la colère et de l’impact de la COVID. Entretemps selon le chercheur sénégalais Mamadou BODIAN, « les citoyens s’organisent à travers des mouvements et les réseaux sociaux et développent une mobilisation sociale et politique. Leurs actions sont alimentées par une critique des régimes en place et de leurs politiques qui ne favorisent pas l’équité et la justice sociale. En évoluant dans ces espaces ouverts, hors du champ de l’État et des partis politiques traditionnels, ces nouveaux acteurs ne se contentent pas d’exprimer une indignation. Ils véhiculent un contenu politique et expriment souvent l’aspiration à voir se développer de nouvelles formes de réponse pour anticiper aux urgences de toutes sortes, à défendre les droits acquis et à conquérir des espaces de représentation (comme le parlement) traditionnellement monopolisés par les politiciens »[2].
[1] Au Sahel, la France a des positionnements militaires au Burkina Faso, au Mali, au Niger, en Mauritanie, au Sénégal et au Tchad. En dehors de la sous-région, la France est militairement présente ailleurs en Afrique, notamment en Côte d’Ivoire, à Djibouti, au Gabon. Elle est intervenue fortement au Rwanda et en République démocratique du Congo (dans les années 1994-98 pour sauver le régime de Mobutu et plus tard en 2011 pour renverser le régime de Kadhafi en Lybie.
[2] Mamadou BODIAN, De la nécessité de réinventer la gauche au Sénégal, Walfenet, 25 avril 2021
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