Serigne Sarr, correspondant à Dakar
Le Fonds monétaire international (FMI) a récemment révélé qu’entre 2019 et 2023, une dette de 7 milliards de $ US (4 000 milliards de FCFA) aurait été dissimulée sous la présidence de Macky Sall. Cette annonce a provoqué un choc au sein de l’opinion publique sénégalaise, soulevant des interrogations majeures sur la gouvernance économique du pays et sur la responsabilité des institutions internationales.
Une équipe des services du FMI a effectué une mission au Sénégal du 18 au 26 mars 2025 afin d’échanger avec les autorités sur les conclusions du rapport d’audit de la Cour des comptes, publié le 12 février 2025. La mission visait notamment à évaluer l’ampleur des écarts constatés et comprendre les mécanismes ayant conduit aux incohérences.
Une dette équivalente à 99 % du PIB
Le rapport de l’audit révèle des anomalies significatives dans la gestion des finances publiques, notamment des écarts importants entre les chiffres officiels et la réalité financière du pays. Ainsi, le rapport indique que la dette de l’administration centrale s’élevait à 18 558,91 milliards de francs CFA au 31 décembre 2023, représentant 99,67 % du PIB, un taux bien supérieur à celui annoncé par le précédent régime, qui évoquait un montant de 13 854 milliards. Il s’agit d’un écart de 25,27 %, un écart important entre les chiffres réels et les montants officiellement communiqués à l’époque.
En ce qui concerne le déficit budgétaire en 2023, l’ancien régime avait annoncé un montant de 911 milliards de FCFA, soit 4,9 % du PIB. Toutefois, selon le «déficit recalculé» par la Cour des comptes, ce déficit atteignait en réalité 2 291 milliards de FCFA, soit 12,3 % du PIB.
La responsabilité du FMI
Ces révélations soulèvent des interrogations quant à la responsabilité du FMI, une institution chargée de veiller à la transparence et à la stabilité financière des pays membres. Si une telle somme a été dissimulée, comment expliquer le silence du FMI pendant toutes ces années? Si le FMI a volontairement attendu le départ de Macky Sall pour révéler cette dette cachée, cela signifie qu’il aurait joué un rôle dans la protection de l’ancien régime. Cette révélation tardive pourrait alors être interprétée comme une tentative de pression sur le nouveau gouvernement, lui imposant un passif financier colossal et limitant ainsi sa marge de manœuvre.
Le FMI est souvent accusé d’être un acteur politique influençant les choix budgétaires des pays sous ajustement structurel, tout en fermant les yeux sur certaines pratiques des gouvernements en place. Il est essentiel de comprendre les implications concrètes d’une dette cachée de cette ampleur.
Si ces 7 milliards de dollars doivent être intégrés dans les comptes publics, cela signifie que le Sénégal verra sa dette officiellement augmentée, ce qui risque d’affecter sa notation financière et d’augmenter les coûts de ses futurs emprunts. De plus, le pays pourrait être contraint d’adopter de nouvelles mesures d’austérité pour respecter ses engagements envers les créanciers, au détriment des investissements sociaux et économiques nécessaires à son développement. Le peuple sénégalais se retrouverait alors à payer pour des choix financiers qu’il n’a jamais validés ni même connus.
Comment se libérer d’une dette illégitime?
D’abord, une enquête approfondie doit être menée pour identifier les responsables de cette dissimulation, tant au niveau national qu’international. Ensuite, il est impératif que les nouvelles autorités sénégalaises contestent officiellement cette dette auprès des créanciers et des institutions internationales, en invoquant la doctrine de la dette odieuse.
L’histoire récente montre que certains pays ont réussi à se libérer d’une dette illégitime. En 2003, l’Irak a bénéficié d’une annulation de dette en raison du caractère odieux des emprunts contractés sous Saddam Hussein. L’Équateur, en 2008, a refusé de rembourser certaines dettes après un audit national qui a conclu qu’elles étaient illégitimes. Le Sénégal pourrait s’inspirer de ces exemples pour refuser de payer une dette qui n’a pas profité à son peuple.
Le refus de cette dette ne signifie pas que le Sénégal doit se plier aux exigences du FMI ou dépendre de son expertise pour gérer cette crise. Le FMI a prouvé à maintes reprises qu’il ne défendait pas les intérêts des peuples, mais plutôt ceux des créanciers internationaux et des grandes puissances économiques. Il est donc impératif que le Sénégal rompe avec cette institution et explore des alternatives souveraines pour atteindre les objectifs de l’Agenda national de Transformation/Vision 2050.
Appel à la mobilisation populaire
Le gouvernement doit rapidement lancer les concertations sur le projet de loi sur le financement de l’économie nationale, annoncé en Conseil des ministres en octobre 2024. Les autorités doivent accélérer le processus afin de faire émerger des solutions endogènes. Parmi celles-ci, des instruments comme la Diaspora Bond, l’equity ou les Patriotes Bonds pourraient constituer des alternatives viables pour mobiliser des ressources sans dépendre des institutions financières internationales.
Cette affaire met en lumière les failles d’un système où les décisions financières d’un gouvernement peuvent engager l’avenir de tout un peuple sans son consentement. La révélation tardive du FMI pose de sérieuses questions sur sa crédibilité et son rôle dans la gestion économique du Sénégal. Le peuple sénégalais ne doit pas être tenu responsable d’une dette contractée dans l’ombre et qui ne lui a apporté aucun bénéfice tangible.
Face à cette injustice, la mobilisation populaire est indispensable. Les citoyens et citoyennes doivent s’organiser pour exiger la transparence et refuser le paiement de cette dette illégitime. Une étude du Front pour une révolution anti-impérialiste populaire et panafricaine (FRAPP) sur les institutions de Bretton Woods invite les forces de la nation à appuyer ce plaidoyer à travers la mise en place d’un collectif citoyen pour l’annulation de cette dette. C’est en s’unissant que la population sénégalaise pourra imposer un nouveau modèle économique fondé sur la souveraineté et la justice sociale.