Par Jonathan Cook, Chronique de Palestine, publié le 22 avril 2020
Les Palestiniens de Gaza savent très bien ce qu’enfermement veut dire. Au cours des 13 dernières années, deux millions d’entre eux environ ont enduré un bouclage par Israël plus extrême que ce que presque toute autre société n’a connu, y compris même aujourd’hui, alors que le monde s’enferme pour tenter de contenir la pandémie.
Israël mène à Gaza une expérimentation jamais vue, utilisant les derniers équipements militaires et en technologie de surveillance pour assurer le blocus terrestre, maritime et aérien de cette petite enclave côtière.
Rien ne sort n’y n’entre sans l’aval d’Israël, jusqu’ à il y a trois semaines lorsque le virus s’est introduit clandestinement dans la Bande de Gaza porté par deux Palestiniens de retour du Pakistan. On sait qu’il s’est propagé à plus d’une douzaine d’autres personnes jusqu’ici, bien que les médecins n’aient aucune idée de l’étendue exacte de la contagion. Le matériel nécessaire aux tests de dépistage est épuisé depuis plusieurs jours.
A moins que Gaza n’y échappe miraculeusement, la survenue d’une épidémie n’est qu’une question de temps. On ne peut guère en imaginer les conséquences.
Les pays du monde entier se demandent quoi faire de leur population carcérale, conscients qu’une fois que le COVID-19 se sera installé, il est certain que sa propagation en milieu clos, surpeuplé sera rapide faisant des ravages autour de lui.
On compare souvent Gaza à une prison à ciel ouvert. Mais même cette analogie n’est pas tout à fait juste. C’est une prison que les Nations Unies ont déclarée être sur le point d’être inhabitable.
Dans la prison de Gaza, beaucoup de détenus sont sous-alimentés, et physiquement et émotionnellement meurtris par des décennies d’assauts militaires. Des produits de première nécessité, tels que l’eau propre et l’électricité leur font défaut après les attaques israéliennes répétées d’infrastructures de base. Et le blocus de 13 ans a pour conséquence que seuls des soins médicaux rudimentaires sont disponibles s’ils sont malades.
La distanciation sociale est impossible dans l’un des endroits les plus peuplés sur terre. A Jabaliya, l’un des huit camps de réfugiés de l’enclave, on compte 115 000 personnes entassées dans un peu plus d’un kilomètre carré. Une densité de population comparable à côté en Israël se mesure généralement en centaines.
Il y a peu de cliniques et d’hôpitaux pour faire face à la pandémie. D’après des groupes de défense des droits de l’homme, Gaza dispose d’à peu près 60 respirateurs, dont la plupart sont déjà en service. Israël en a 15 fois plus par tête d’habitant.
Il y a peu d’équipement de protection personnelle. Les médicaments sont déjà en quantités limitées voire épuisées avant même que le virus ne frappe. La mortalité infantile à Gaza, mesure importante des conditions médicales et sociales, est plus de sept fois plus élevée que celle d’Israël. L’espérance de vie y est inférieure de 10 ans.
Contrairement à une prison normale, le gardien de Gaza – Israël – nie toute responsabilité quant au bien-être des détenus. Depuis qu’il a procédé à un soi-disant « désengagement » il y a 15 ans, en y démantelant les colonies illégales, Israël prétend, contre toute évidence, qu’il n’est plus la puissance occupante.
Ce mensonge aurait dû paraître évident lorsque les Palestiniens, asphyxiés par l’isolement et les privations, ont commencé à se rassembler pour protester il y a deux ans près de la clôture de séparation, qui les enferme comme dans une cage. Les manifestants ont été accueillis par des tirs à balles réelles de tireurs d’élite israéliens.
Environ 200 personnes ont été tuées, et plusieurs milliers ont reçu d’horribles blessures, principalement aux jambes. Les services médicaux sont toujours débordés par les besoins en chirurgie de long terme, amputations, et réhabilitation des manifestants handicapés.
Ce qui est déjà une crise n’a guère besoin d’un coup de pousse du virus pour basculer dans une catastrophe sanitaire.
La majorité de la population se trouvant déjà sous le seuil de pauvreté, après la destruction par le blocus israélien des industries textiles, agricoles, et du bâtiment, l’économie n’est pas non plus en mesure de résister à une épidémie.
La plupart des gouvernements, y compris celui d’Israël, conservent un certain contrôle, même face à cette situation d’urgence des plus inattendues. Ils peuvent s’y préparer, même si beaucoup ont tarder à le faire. Ils peuvent réquisitionner des usines pour leur faire fabriquer des respirateurs et des équipements de protection. Et ils ont les ressources pour reconstruire leurs services de santé et économie par la suite.
S’ils échouent dans ces tâches, ce sera leur échec.
Mais Gaza est totalement dépendante d’Israël et d’une communauté internationale préoccupée par ses propres problèmes. Même si les autorités sanitaires peuvent se procurer des respirateurs et des équipements de protection sur le marché actuel mondialisé très concurrentiel c’est Israël qui décidera de les laisser ou non entrer. Il pourrait, également, choisir de s’en emparer pour son propre usage, afin d’apaiser les critiques internes croissantes selon lesquelles il manque d’équipements vitaux.
La responsabilité de la situation désespérée de Gaza, actuellement et à l’avenir, incombe franchement à Israël.
Israël devrait aider Gaza, mais il fait tout le contraire. La semaine dernière, des avions israéliens ont pulvérisé de l’herbicide pour détruire les récoltes des fermiers de Gaza, dans le cadre d’une politique visant à maintenir des lignes de visibilité dégagées pour les forces militaires israéliennes.
En outre, en cette période de crise, l’insécurité alimentaire de Gaza ne peut que s’intensifier. Depuis un an, Israël prive tant Gaza que l’Autorité Palestinienne rivale en Cisjordanie des impôts et taxes qu’il collecte en leur nom et qui revient de droit au peuple palestinien. Beaucoup de familles n’ont pas d’argent pour se nourrir.
Les États-Unis ont aggravé cette situation financière en cessant leur participation financière à l’agence des Nations unies pour les réfugiés palestiniens, UNRWA, qui vient en aide à de nombreuses familles de Gaza expulsées de chez eux par Israël il y a des décennies et entassées de force dans l’enclave.
Le peu d’influence qu’a gardé le Hamas a trait aux milliers de prisonniers politiques détenus illégalement en Israël. Le Hamas veut les faire sortir, notamment les plus vulnérables, conscient du danger que le virus leur fait courir en Israël, où la contagion est plus avancée.
Il serait en train de négocier la libération de prisonniers, offrant de restituer les cadavres de deux soldats qu’il a saisis pendant l’infâme attaque de Gaza par Israël en 2014 qui a tué plus de 500 enfants palestiniens.
Si Israël refuse de négocier, comme cela semble probable, ou refuse de laisser entrer des fournitures médicales dont le besoin est criant, le seul autre moyen de pression pratique de Gaza sera de lancer des missiles en Israël, comme le dirigeant du Hamas Yahya Sinwar en a émis la menace. C’est le seul moment où l’on peut s’attendre à ce que les états occidentaux remarquent Gaza et expriment leur condamnation, quoique pas d’Israël.
Mais si l’épidémie submerge Gaza, la vérité sur l’identité du véritable responsable sera difficile à occulter.
Modélisant les conditions d’existence épouvantables à Gaza, des experts israéliens ont mis en garde l’an dernier contre une épidémie de type choléra balayant l’enclave. Ils ont prédit que des centaines de milliers de Palestiniens prendraient d’assaut la clôture pour échapper à la contagion et à la mort.
C’est le scénario cauchemardesque de l’armée israélienne. Elle reconnaît n’avoir pas d’autre réponse que celle, comme lors des manifestations près de la clôture, d’abattre ceux implorant de l’aide.
Depuis des décennies la politique d’Israël à l’égard des Palestiniens consiste à les traiter comme moins qu’humains. Il contrôle leur existence dans les moindres détails tout en niant toute responsabilité significative quant à leur bien-être. Cette attitude profondément inhumaine et contraire à l’éthique pourrait bientôt être confrontée à l’épreuve ultime.