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Série sur le Soudan: les guerres sans fin d’un pays brisé – partie 1
Des campagnes coloniales du XIXᵉ siècle aux affrontements entre généraux rivaux d’aujourd’hui, le Soudan incarne l’un des conflits les plus longs et les plus complexes d’Afrique. Nous présentons ci-dessous la première partie d’une analyse de notre nouveau correspondant basé à Paris sur l’origine et les racines du conflit. La rédaction
Clément Basnier Hermida, correspondant
De la domination turco-égyptienne à l’héritage colonial britannique, l’histoire du Soudan s’est écrite dans la violence et l’exclusion. Les élites du nord ont bâti un pouvoir centralisé en marginalisant les peuples du sud, préparant le terrain aux guerres civiles du XXᵉ siècle. Le Soudan s’est construit sur des lignes de fracture qui n’ont jamais cessé de s’élargir. Retour sur une histoire où la domination étrangère et l’exclusion interne se confondent.
Le conflit au Soudan est l’un des plus anciens du continent africain. Depuis la fin du XIXe siècle, l’état est soumis à des affrontements violents quasiment ininterrompus de différentes natures : conflits interétatiques, asymétriques, civils, ingérence internationale ont donné lieu à une crise humanitaire majeure : millions de morts et de réfugiés, famine, absence de services de santé.
La naissance d’un État colonisé
Le Soudan en tant qu’entité politique a été créé artificiellement en 1820 par Mehmet Ali. Il souhaitait occuper le territoire soudanais pour nourrir les aspirations impérialistes égyptiennes. Il a anéanti la résistance mamelouke qui s’y était installée, constituant une armée puissante avec des esclaves soudanais et une logique extractive.
Jusqu’en 1880, la prise en charge turco-égyptienne du territoire sudanais (Turkiyya) s’est étendue face à la résistance locale des Jaaliyyin, des Arabes du nord-ouest du territoire. Au cours de cette période, le nord adopta l’islam orthodoxe et a connu une modernisation majeure grâce à une administration centralisée composée de fonctionnaires égyptiens. En revanche, le sud a été soumis à une exploitation économique qui a eu des effets radicaux sur la mémoire des groupes ethniques locaux. La guerre avec l’Abyssinie entraîna une augmentation des impôts et de la pression sur la population esclave conduisant à des révoltes. L’administration perdu sa légitimité dans l’ouest et le sud du pays engeandrant la résistance de groupes rebelles.
Du Mahdiyya à la mainmise anglo-égyptienne
En 1881, le mouvement mahdiste (Mahdiyya) arrive au pouvoir avec Muhammad Ahmad se proclamant comme le Mahdi soutenu par la population arabe et musulmane orthodoxe du nord et de l’ouest. Les dirigeants mahdistes ont établi un régime à caractère militaire afin de faire face à plusieurs guerres régionales. L’administration soudanaise a promus une identité exclusive jusqu’à devenir un condominium anglo-égyptien. Les Britanniques occupaient l’Égypte depuis 1882 afin de promouvoir leurs intérêts en Méditerranée orientale : accés à la Mer Rouge, ressources et corridor nord-sud en Afrique.
En 1910, l’Égypte s’est soulevée contre la domination britannique et pris le contrôle de l’administration du Soudan. Les Britanniques se sont appuyés sur les dirigeants locaux pour reprendre le contrôle de l’administration créant des divisions entre les différents groupes ethniques qui ont collaboré avec les colonisateurs, notamment les Khatmiyya et les néo-mahdistes.Au cours des années 1920 et 1930, le sud a été isolé administrativement du nord sous prétexte de conflits potentiels liés à la diversité culturelle et à ses relations plus étroites avec l’Afrique centrale. Ce n’est qu’en 1946 que les Britanniques ont artificiellement réunifié ces territoires en réponse aux demandes du mouvement nationaliste arabo-musulman du nord.
L’occupation a provoqué une division du pays entre une région islamique et influencée par les Arabes au nord et des communautés noires et chrétiennes au sud sous l’influence du Royaume-Uni. En 1952, l’Égypte a obtenu son indépendance et avait l’intention de rattacher le Soudan au territoire égyptien avec le soutien de la Khatmiyya. Cependant, les Britanniques et les Arabes mahdistes ont refusé, proclamant leur pouvoir sur l’administration et l’armée.
Les fractures de l’indépendance
En 1956, le Soudan a accédé à l’indépendance, mais la période suivante a vu la poursuite des divisions et des conflits passés. L’administration du Soudan a été confiée à l’élite arabe musulmane du nord, et des factions arabes telles que les Jaaliyyin, les Danaqla et les Shaiqiyya qui ont depuis lors joué un rôle dominant dans la politique nationale. Ces élites ont élaboré un projet politique visant à construire une identité nationale autour de la culture arabo-musulmane, consolidant ainsi leur prééminence sociale, politique, économique et militaire et se livrant au pillage des ressources.
Un an avant l’indépendance, les communautés noires du Sud ont initié une résistance éclatant en guerre civile contre le gouvernement arabo-musulman, exigeant une plus grande autonomie. Ce conflit était une conséquence du processus de décolonisation et de l’arrivée de l’administration arabe. Le gouvernement mis en place une politique répressive et violente (en particulier pendant la dictature d’Abboud) à l’encontre des populations du Sud. Une autonomie régionale limitée a été reconnue en 1972, mais un demi-million prisèrent et le conflit généra plus d’un million de réfugiés.
Pétrole, islamisme et guerre civile
Une deuxième guerre civile a éclaté en 1983. Dans un contexte de crise économique, du pétrole a été découvert dans le sud du pays. Le gouvernement du président socialiste Nimeiri a cherché à renverser les accords de 1972 afin d’accéder aux revenus pétroliers de cette région et de favoriser le nord. Cette période coïncide avec la montée de l’islamisme au Soudan sous Al-Turabi qui ont infiltré les institutions et encouragé l’application de la sharia dans tout le pays.
Les populations du sud ont subi une régression de leur autonomie et ont créé l’Armée populaire de libération du sud pour défendre leurs intérêts. Ce nouveau conflit a fait quatre millions de réfugiés et deux millions de morts en raison de la politique de nettoyage ethnique menée par le gouvernement dans les zones productrices de pétrole. Finalement, le Soudan du Sud a obtenu son indépendance en 2011.
Ne manquez pas la deuxième partie : Le Soudan aujourd’hui : généraux rivaux et un peuple pris en otage.








