Souveraineté en question : le Népal face aux géants de l’Asie

La chaîne de l'Himalaya et le plateau tibétain, pris en sandwich entre l'Inde et la Chine - Crédit photo : NASA - - CC BY-NC-ND 2.0 - via Flickr

Èva Lachance – Adamus, correspondante et stagiaire au Népal pour l’ONG Alternatives

Du Nord au Sud, le Népal est complètement enclavé par ses frontières avec l’Inde et la Chine. À l’heure de la redéfinition des règles hégémoniques sur la scène internationale, il s’agit d’une position bien particulière pour le pays himalayen. Toutes deux engagées dans une course à la puissance, la Chine et l’Inde sont désormais considérées, pour diverses raisons, comme des actrices de taille sur la scène internationale.

Relations avec l’Inde et la Chine 

Les deux puissances asiatiques régionales entretiennent des relations économiques de taille avec le Népal. L’Inde est le partenaire économique le plus influent du pays. En 2021, ce sont plus de 80 % des exportations népalaises dont l’Inde était la destination. Cette relation financière est d’autant plus solidifiée par l’étroite parenté culturelle et religieuse que les deux voisins partagent. De fait, plus de 80 % de la population népalaise s’identifie à l’hindouisme. Cette proximité géographique, économique et culturelle amène cependant l’Inde à percevoir le Népal comme un pays appartenant directement à sa sphère d’influence. Cette vision a été fortement considérée comme problématique par le Népal lorsque, en 2019, le gouvernement indien a publié une carte des frontières indiennes qui incluait la région de Kalapani, un territoire de 35 km² que le Népal revendique. Cet incident semble s’inscrire plus largement dans le mouvement nationaliste hindou Akhand Bharata (« Inde indivise ») qui, comme son nom l’indique, souhaite unifier la « civilisation indienne ». Cette attitude hégémonique de l’Inde génère au Népal un sentiment « Anti-Indien », ce qui permet à la Chine de se présenter en tant que partenaire alternatif.

La Chine est le deuxième plus important partenaire économique du Népal, totalisant 15 % des exportations népalaises en 2021. Bien que moins présente que l’Inde en ce qui touche les échanges économiques traditionnels, la Chine reste tout de même très impliquée dans ses relations avec le Népal. C’est notamment le cas pour les investissements dans des infrastructures. Pour en nommer quelques-uns, la Chine joue un rôle prépondérant dans le projet ferroviaire entre la région autonome du Tibet et Katmandou, dans l’axe routier Yaprubensi-Rasuwagadhi ainsi que dans le pont de la ville de Kodari. De manière plus substantielle, la Chine est à l’origine de la construction de l’aéroport international de Pokhara. Il s’agit d’un point d’ancrage dans le projet chinois des Nouvelles routes de la soie.

En d’autres mots, les relations économiques du Népal sont le théâtre d’un jeu de Soft Power entre les deux puissances régionales asiatiques. Dipesh Ghimire, professeur adjoint à l’Université de Tribhuvan, résume le tout de cette manière : « Les deux pays ont cherché à façonner les politiques intérieures du Népal pour les aligner sur leurs intérêts stratégiques. L’Inde considère traditionnellement le Népal comme faisant partie de sa sphère d’influence et est intervenue dans la politique népalaise à des moments critiques. L’Inde a tiré parti de ses liens culturels et économiques pour maintenir sa domination, mais son comportement autoritaire a également cultivé un sentiment anti-indien au Népal. La Chine, de son côté, a accru son influence ces dernières années par des investissements, des alliances politiques et en offrant une alternative à la domination indienne » (traduction libre).

Vulnérabilité économique 

Sur la question de l’impact de ce jeu politique sur la population locale, M. Ghimire continue en mentionnant que « La forte dépendance du Népal à l’égard du commerce avec l’Inde et sa dette croissante envers la Chine le rend vulnérable aux pressions économiques et limite son autonomie » (Traduction libre). La situation géopolitique népalaise restreint les efforts qui pourraient autrement être investis dans le bien-être et le respect des droits humains de la population du pays. En effet, toujours selon M. Ghimire, « Il est vrai que des programmes politiques plus vastes peuvent parfois éclipser les besoins réels du peuple népalais. L’influence étrangère et les luttes de pouvoir peuvent détourner l’attention des défis immédiats tels que la pauvreté, les inégalités et le développement. Cependant, il est également important de reconnaître que les relations du Népal avec l’Inde et la Chine sont cruciales pour sa croissance économique et sa sécurité. La clé est de trouver un équilibre et de garantir que ces relations servent les intérêts du peuple népalais » (traduction libre).

Instrumentalisation de la situation au Tibet 

Les responsables népalais ne sont en rien dupes face aux dynamiques de pouvoir dans lesquelles ils et elles se voient attribuer le rôle de pion. Le contexte politique étant très tendu au Tibet depuis son annexion par la Chine dans les années 50, le Népal est aujourd’hui le domicile d’environ 12 000 personnes réfugiées Tibétaines. Il est d’ailleurs compris que les investissements chinois au Népal demeurent conditionnels à ce que « aucune activité séparatiste n’ait lieu sur son sol ». Leurs avenirs restent d’autant plus incertains en raison de la possibilité de la signature d’un traité d’extradition qui accorderait au Népal le droit de renvoyer les Tibétain.nes en Chine. Ce flux de population est toutefois retenu contre l’Inde puisque des réfugié.es souhaitent s’y rendre. N’étant pas dans les intérêts de l’Inde de complexifier la situation à ses frontières, cette situation permet au Népal de créer un effet de levier.

Le Népal se trouve actuellement dans une situation bien délicate par rapport à ses puissants voisins. Bien qu’il ne puisse se débarrasser de sa fatalité géographique, il est impératif pour le pays himalayen d’y tirer son épingle du jeu. Le renforcement d’initiatives qui soutiennent la souveraineté économique, tout en naviguant habilement entre les influences de la Chine et de l’Inde, est alors essentiel pour assurer son développement à long terme