Entretien mené par Alexy Kalam avec Lala Peñaranda, représentante du réseau TUED pour l’Amérique latine et les Caraïbes

Une réunion du réseau syndical TUED Sud (Trade Unions for Energy Democracy) a réuni 120 syndicalistes de 34 pays à Mexico du 4 au 6 février dernier. Il s’agit de la deuxième conférence syndicale interrégionale Sud-Sud sur la transition énergétique. Des syndicats d’Afrique, d’Asie, d’Amérique latine et des Caraïbes étaient présents, ainsi que des syndicats alliés du Nord. Les délégations se sont engagées en faveur d’une transition énergétique juste, ancrée dans la propriété et le contrôle publics.

Développer la Voie publique pour une transition juste

Lala Peñaranda est l’organisatrice du réseau TUED et la représentante pour l’Amérique latine et les Caraïbes. Elle fut au cœur de la rencontre de février comme responsable des communications pour l’événement. Elle constate que

« Les technologies de l’énergie évoluent rapidement. Leur situation en 2025 diffère beaucoup de celle qui existait il y a 30 ans, mais on se rend compte quelle reste souvent inaccessible. Dans bien des cas, les universités publiques n’ont pas accès aux progrès qui permettent la mise en œuvre des innovations les plus efficaces et les plus durables. »

Un fait qui crée une dépendance aux entreprises privées, qui occultent souvent les connaissances en leur faveur et créent une dépendance des communautés à leur endroit, notamment dans l’industrie minière. « Si nous avons un accès complet aux dernières innovations, nous pouvons ensuite décider si nous voulons en faire usage, s’il y a moyen de le faire à notre manière, avec notre propre planification et notre propre connaissance des territoires. »

C’est pourquoi l’événement a également mis à l’honneur une réponse dans la constitution du Red Camino Público (Réseau pour une Voie publique — RedCAPU). Cette approche vise à stopper et à inverser l’appropriation néolibérale des systèmes énergétiques et à mettre en place une alternative capable de répondre aux besoins énergétiques et aux objectifs climatiques dans un cadre d’autodétermination et de souveraineté énergétique.

Pour elle, ce fut aussi l’occasion d’échanger sur les progrès et les défis propres à différentes régions du Sud Global. Elle souligne également que l’événement a fait place à un forum des femmes syndicalistes, un événement où ont été abordés divers enjeux féministes et qui constitue une première pour le réseau TUED Sud et plus généralement dans tout le réseau des TUED.

La responsable des communications ajoute que les stratégies de résistance aux droites radicales ont fait l’objet de discussions, non seulement celui du gouvernement de Donald Trump, mais aussi ceux de Javier Milei en Argentine ou encore de Nayib Bukele au Salvador. « Nous allons travailler avec d’autres mouvements sociaux et populaires à développer les luttes antifascistes », affirme-t-elle..

TUED : un réseau mondial intersyndical sur la transition énergétique

Le réseau mondial TUED comprend 120 organisations syndicales qui œuvrent dans 48 pays et régions, dont quatre fédérations syndicales mondiales, trois organisations régionales et 16 centres nationaux. On y retrouve également une douzaine d’organismes alliés universitaires et de plaidoyers, dont le bureau de New York de la Fondation Rosa Luxemburg.

TUED vise à créer des ponts entre les luttes syndicales et écologiques et aborde la transition énergétique en tant qu’enjeu de classe. Une perspective particulièrement actuelle et inspirante en Amérique latine pour Lala Peñaranda : « Nous voulons développer nos propres outils de classe pour défendre l’environnement, nos propres alternatives au capitalisme vert. »

TUED a vu le jour en 2012 lors de la Conférence des Nations unies sur le développement durable (Rio+20) au Brésil, suite à la vague d’indignation suscitée par le corporatisme qui s’imposait lors de ce forum international. Lors de sa constitution, différents syndicats clés du Nord et du Sud en furent parties prenantes, mais des ONG comme War on Want et la Fondation Rosa Luxembourg.

 Luttes de classes

« La perspective de classe reste extrêmement pertinente pour les luttes écologiques, tout comme le sont l’anticolonialisme et l’antiracisme », affirme Lala Peñaranda d’origine colombienne.

Le réseau a pris naissance en réaction à la récupération des principes du développement durable par les institutions économiques comme le Fonds monétaire international (FMI) ou la Banque mondiale (BM). Des institutions qui s’approprient les objectifs liés à la transition énergétique — par exemple la décarbonisation — pour exercer des pressions en faveur de la privatisation des services publics, par le biais des conditions de financement — avec un modèle qui génère un système d’endettement — qu’elles continuent d’imposer à plusieurs pays. Une logique capitaliste qui a pour conséquence d’affaiblir la souveraineté des peuples et les luttes écologiques dans le monde.

Ces institutions continuent d’utiliser les prêts pour faire pression et créer des marchés qu’elles qualifient de compétitifs ou de favorables à l’investissement. À cette violence institutionnelle, le réseau vise donc à répondre par des alliances ouvrières qui se déploient à l’échelle mondiale. Lala Peñarada explique :

« Nous avons besoin d’un réseau de syndicats qui s’opposent à ces ajustements structurels masqués d’environnementalisme et qui travaillent à mettre un frein aux changements climatiques, mais aussi à offrir un accès équitable à l’énergie et à défendre les personnes qui travaillent dans les secteurs de l’énergie. »

Elle indique que la propriété publique de l’énergie et son contrôle démocratique constituent les revendications communes du réseau. Sa perspective d’action implique toutefois plusieurs fronts, que ce soit en ce qui a trait à l’énergie verte ou à la défense des conditions de travail.

« Nous avons besoin de sortir le profit de l’équation ; c’est à partir de ce principe que se structure le projet. Il ne suffit pas que l’énergie soit publique, mais nous avons besoin d’une gestion démocratique, exercée par la classe ouvrière. »

Du Sud au Nord

La coordinatrice du réseau TUED pour l’Amérique latine et les Caraïbes considère qu’il s’agit d’une région essentielle pour l’actualité et l’avenir des luttes à l’échelle globale.

« Les mouvements écologiques d’Amérique latine constituent une authentique avant-garde climatique internationale. Ils sont les porteurs d’une vision alternative et anticoloniale, composée d’une multitude de perspectives de cultures, de genres et de classes. Ce sont des mouvements dotés d’autant plus de force qu’ils sont issus de décennies de résistance à des dictatures et à des régimes paramilitaires à l’origine d’exactions et de disparitions forcées. Alors, il nous appartient — surtout en tant qu’alliances internationales — de gagner la confiance de ces mouvements. »

« Les mouvements d’Amérique latine n’ont pas à suivre les mouvements du Nord. C’est en cheminant et en construisant ensemble que se gagne la confiance, dans un échange qui se base sur le respect des différences. »

Lala Peñarada insiste sur le fait qu’un tel échange implique une conscience anticoloniale. Une exigence d’autant plus essentielle dans un contexte où le lobbying en faveur de la privatisation et du capitalisme vert reste inhérent aux sommets comme ceux des Conférences des Parties (COP) de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques.

Les COP, de plus en plus corporatistes

« Il ne fait aucun doute que les COP sont de plus en plus corporatistes. À bien des égards, nous pouvons dire qu’elles sont une extraction des luttes climatiques. » Après avoir pris part en octobre 2024 à la COP16 en Colombie, le réseau TUED se prépare à assister à la COP30, qui aura lieu en novembre au Brésil.

Ces conférences donnent lieu à de plus en plus de critiques dans les mouvements écologistes. D’ailleurs, une première AntiCOP — laquelle a réuni des organisations de différents continents — a eu lieu du 4 à 9 novembre 2024 à Oaxaca de Juárez au Mexique. Un Sommet des peuples se tiendra également en marge de la COP 30 à Belém. Comme ce sont des réunions où s’expriment diverses voix du Sud, nous y allons pour faire du bruit, protester et nous battre pour des changements », conclut Lala Peñarada.