Depuis quelques années, les États-Unis se préparent au grand affrontement avec la Chine. Cela avait commencé avant Trump, sous Obama entre autres. Il avait annoncé que les États-Unis s’apprêtaient à déplacer leurs forces militaires vers l’Asie-Pacifique. Si on regarde une carte des bases militaires américaines dans cette région, on voit bien l’encerclement de feu qui est en train d’être érigé contre la Chine.
La Chine bien sûr ne reste pas les bras croisés et augmente ses dépenses militaires. Mais au total, l’écart entre la Chine est les États-Unis demeure énorme : plus de 700 milliards de dollars (américains) par an pour les États-Unis (3,4% du PNB), contre 261 milliards pour la Chine (1,9% du PNB). Ce qui reflète une petite partie du portrait, puisque les investissements militaires états-uniens, étalés sur des décennies, font en sorte qu’on ne peut pas sérieusement occulter l’immense écart entre les deux puissances.
La Chine superpuissance capitaliste
Il est vrai en effet que l’État chinois n’est pas un ange ni une victime. C’est une superpuissance en ascension, devant une autre qui descend. Dans ce pays capitaliste imbriqué dans l’État, l’exploitation des travailleurs s’exerce très durement, surtout contre ceux qui proviennent des régions rurales et qui sont les « petites mains agiles » dans les méga entreprises exportatrices. Quant à la répression, elle reste très forte contre les dissidents de toutes sortes dans un système où les droits sont fragilisés à l’ombre des appareils de sécurité. C’est particulièrement le cas contre les minorités nationales, notamment au Tibet et au Xinxiang où habite une population majoritairement musulmane.
China bashing
Une fois dit cela, les États-Unis comme leurs alliés-subalternes canadiens ne sont pas émus parce que les droits des ouvriers ou des Tibétains sont volés. S’ils l’étaient, ils seraient furieux de constater la répression extrême et la surexploitation qui sévissent chez leurs fidèles allés-larbins au Brésil, au Mexique, aux Philippines, en Arabie saoudite ou en Israël. Ils pourraient se regarder dans le miroir pour observer la discrimination systémique contre la population africaine américaine, à commencer par les prisons surchargées où la moitié des trois millions de détenus sont Noirs.
Alors qu’est-ce qui se passe ? La critique de la Chine est en fait du China Bashing qui occupe maintenant une place de choix dans l’appareil médiatique. Le discours ne vient pas d’un souci humanitaire. Comme durant la Guerre froide, il faut diaboliser l’adversaire. Les prouesses ethniques et économiques, c’est un mensonge, parce que la Chine « vole les États-Unis ». La Chine dans cette production à la Hollywood est le « pire pays » au monde. Les Chinois sont écrasés, malmenés, pillés. Les liens économiques et commerciaux entre la Chine et l’Afrique sont du même ordre que le pillage colonial européen d’antan. Et ainsi de suite.
Tintin
Alors entrent en scène d’autres acteurs politiques et médiatiques. Au Canada, le Parti conservateur a fait de la Chine sa cible privilégiée. On veut que le Canada embarque dans la croisade états-unienne, quitte à saboter les entreprises chinoises qui prennent une trop grosse part de marché, comme la célèbre Huawei, qui a une longueur d’avance dans les systèmes informatiques. Trump là-dessus ne s’est pas pris à la légère, en menaçant les pays qui feraient avec affaire avec la multinationale chinoise. Est-ce que la détention Meng Wanzhou à Vancouver depuis deux ans a un lien avec cela ? Poser la question, c’est d’y répondre.
En même temps, le Canada ne peut pas faire les fanfarons devant la superpuissance asiatique qui est devenu un de ses très gros clients et qui par des investissements au Canada devient de plus en plus importante dans l’économie du pays. Pour autant, les médias-poubelles du Canada anglais (le réseau Sun) se remplissent d’histoires d’horreurs sur le méchant « péril jaune ». Des publications « sérieuses » comme le Globe and Mail arrivent souvent à la même conclusion, à l’effet que la Chine est une « menace ».
C’est dans ce contexte que j’ai été surpris l’autre jour en lisant Jean-François Lisée dans sa chronique du samedi dans le Devoir. L’ancien chef péquiste se met dans la course pour demander le boycottage des Jeux olympiques d’hiver prévus à Pékin en 2022. Il n’y va pas de main morte, en comparant la Chine à l’Allemagne nazie qui en 1936 avait été l’hôte des jeux. Selon lui, Pékin est le « pire État autoritaire au monde ». La situation des Ouïghours se compare à celles des Juifs européens, dit-il Il faut humilier la Chine pour lui dire que les « démocraties occidentales » ne tolèrent pas cela.
Qui donne la leçon ?
En passant, je ne serais pas contre l’arrêt des Olympiques, mais pas seulement en Chine. Pour moi ce système a dérapé en profitant aux milliardaires de ce monde qui se permettent d’arnaquer les États et les amateurs.
Mais revenons au cas de la Chine.
La tenue des jeux dans ce pays n’est ni pire ni meilleure que bien des évènements sportifs partout dans le monde. Pensons notamment à la prochaine coupe du monde au Qatar, un pays qui pratique l’apartheid à une très grande échelle puisque la majorité de la population venue d’ailleurs n’a aucun droit. On pourrait remonter à plusieurs autres olympiques qui se sont déroulées dans la controverse, la corruption et la répression. Mais pour Jean-François Lisée, rien n’est pire que la Chine.
Les Ouïghours ne méritent pas leur sort, pas plus que les Palestiniens, les Kurdes, les Congolais, les Colombiens, les Yéménites, les Saoudiennes. Sans compter les milliers de migrants qui meurent dans la Méditerranée ou le long de la frontière États-Unis/Mexique. On n’a pas le droit, à vrai dire, de parler des uns dans parler des autres.
J’appuie la campagne d’Amnistie internationale pour les Ouïghours parce que je sais bien que cela ne cache pas autre chose. Avec d’autres altermondialistes dans le monde, je suis en contact avec des amis chinois à Hong Kong et dans le sud de la Chine qui mènent des luttes ouvrières et environnementales admirables, qui réussissent parfois, dans des conditions de grande adversité, à marquer des points contre le capitalisme made in china. Ils me disent qu’ils ne veulent pas remplacer le pouvoir en Chine par le cauchemar qui résulterait d’une implosion de leur pays comme cela s’est passé en Russie à la fin de la Guerre froide.
Par ailleurs, ces dissidents progressistes chinois ne sont pas impressionnés par les larmes de crocodile versées à Washington et à Ottawa. Cela reflète, estiment-ils, la nostalgie d’une époque (du début du vingtième siècle jusqu’à la libération en 1948) où la Chine était dépecée, pillée, assassinée et violée par les puissances occidentales. Devant les riches clubs anglais, américains, français, allemands de Canton et de Shanghai, on voyait des affiches, « No dogs or Chinese allowed ».