Trois pays africains se retirent de la Cour pénale internationale

La Cour pénale internationale (CPI) à La Haye, aux Pays-Bas. Crédit photo : Tony Webster via Creative Commons.
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Le Burkina Faso, le Mali et le Niger ont annoncé, le 22 septembre dernier, leur retrait de la Cour pénale internationale (CPI). Un geste politique fort que les juntes militaires au pouvoir présentent comme une affirmation de souveraineté face à une justice mondiale qu’elles qualifient de « néocoloniale ». Mais cette rupture soulève aussi des inquiétudes quant à la protection des populations locales, déjà exposées à des violations massives des droits humains.

Mariam Jama-Pelletier, correspondante en stage

Dans un communiqué commun, les trois membres de l’Alliance des États du Sahel (AES) déclarent vouloir « affirmer pleinement leur souveraineté » et rompre avec une institution perçue comme « un instrument de répression néocoloniale aux mains de l’impérialisme ». Ce discours s’inscrit dans une stratégie politique plus large : celle d’un bloc sahélien qui cherche à se démarquer de l’Occident, à renforcer son autonomie et à consolider un récit nationaliste.

Ce retrait, qui prendra effet dans un an, intervient dans un contexte régional de profondes transformations. La montée du sentiment anti-occidental, la remise en cause de l’ordre international hérité de la période coloniale et le rapprochement assumé avec des régimes autoritaires, notamment la Russie via les mercenaires Wagner, dessinent une nouvelle orientation politique au Sahel.

Pour Simplice Ayangma Bonoho, professeur d’histoire africaine et membre du Centre d’études et de recherches internationales (CÉRIUM) de l’Université de Montréal, cette décision s’inscrit dans une critique ancienne. Il rappelle que la CPI est depuis longtemps accusée de « biais géopolitiques ».

« Les États africains dénoncent une justice internationale à deux vitesses, qui épargne les grandes puissances occidentales tout en ciblant les dirigeants africains », explique-t-il.

Fondée en 2002 pour juger les crimes les plus graves, tels que les génocides, crimes de guerre et crimes contre l’humanité, la CPI fait face depuis des années à la méfiance du continent africain. Plusieurs gouvernements avaient déjà menacé de quitter l’institution, l’accusant de perpétuer une tutelle judiciaire postcoloniale.

Le retrait des pays de l’AES résonne également avec l’offensive diplomatique menée par la Russie contre les décisions de la CPI, notamment depuis l’émission du mandat d’arrêt visant Vladimir Poutine. Moscou, devenue alliée économique et militaire incontournable pour les régimes sahéliens, encourage ouvertement cette contestation de la justice internationale.

« C’est une tendance que l’on observe partout en Afrique, particulièrement dans les pays anciennement sous domination coloniale française », analyse l’universitaire.

Vers une justice africaine

Les pays de l’AES envisagent désormais la création d’une Cour pénale sahélienne, destinée à juger les crimes de guerre sur le continent. Un projet ambitieux, mais encore hypothétique.

« Il faut qu’elle soit conçue par des spécialistes, dans un cadre indépendant et apolitique », avertit l’analyste. « L’Afrique n’a pas de déficit d’expertise, mais de volonté politique. Sans institutions solides, l’expertise reste inefficace », ajoute-t-il.

Le rapprochement de ces États avec la Russie et d’autres partenaires non occidentaux traduit leur volonté de redéfinir les rapports de force internationaux. Mais cette quête d’autonomie comporte des risques : « Il existe un danger de repli identitaire et de dérives autoritaires », rappel Simplice Ayangma Bonoho.

Le retrait des pays de l’Alliance des États du Sahel (AES) de la Cour pénale internationale (CPI) suscite de vives inquiétudes auprès des organisations de défense des droits humains. Selon Amnestie internationale et Human Rights Watch, cette décision risque de freiner la lutte contre l’impunité, d’affecter les victimes des crimes les plus graves et de priver les populations du Sahel d’une protection essentielle, d’autant que les tribunaux nationaux sont jugés incapables de remplir cette mission.

Situation des droits humains au Sahel

Depuis leur prise de pouvoir, il y a deux ans, les autorités militaires au Niger ont intensifié la répression contre l’opposition, les médias et toute forme de dissidence pacifique. Des dizaines de responsables politiques, dont l’ancien président Mohamed Bazoum, sont détenus arbitrairement, tandis que la liberté d’expression et le droit à l’information sont régulièrement bafoués. Sur le terrain, les civils restent pris en étau entre les groupes armés et la force militaire au pouvoir, tout responsable d’exactions. Les femmes et les filles demeurent particulièrement vulnérables : malgré la décision de la Cour de cassation de 2019 déclarant illégale la pratique de la wahaya, assimilée à une forme d’esclavage, celle-ci persiste dans plusieurs zones rurales, tout comme les mariages précoces encouragés par une législation inégalitaire.

Au Mali, les droits humains continuent de se dégrader dans un contexte de conflit persistant et de durcissement autoritaire. Les autorités recourent à la détention arbitraire et aux disparitions forcées pour museler la liberté d’expression, tandis que le droit d’association est régulièrement violé. Les forces armées, à l’instar des groupes armés islamistes, sont responsables de centaines de morts parmi les civils, et la plupart de ces crimes restent impunis. La rupture de l’accord de paix de 2015 a ravivé les combats dans le nord du pays, où des combattants russes opèrent aux côtés de l’armée malienne. La crise humanitaire s’aggrave : plus de 331 000 personnes sont déplacées et près d’un tiers de la population dépend de l’aide internationale, avertit Amnistie internationale. Les frappes de drones par la junte militaire au pouvoir ont également fait de nombreuses victimes civiles, dont de nombreux enfants, dans les régions de Gao, Mopti et Tombouctou.

Rencontre à Moscou entre Vladimir Poutine et Ibrahim Traoré, officier militaire et président par intérim du Burkina Faso depuis 2022.
Crédit photo : RIA Novosti

Au Burkina Faso, les violations des droits humains persistent également. Des personnes accusées de complot contre l’État ont été arrêtées arbitrairement, et des militantes et militants, journalistes et magistrats et magistrates ont été victimes de disparitions forcées. La guerre contre les groupes armés GSIM et État islamique au Sahel a provoqué des centaines de morts et le blocus prolongé de plusieurs villes. Plus de deux millions de personnes sont aujourd’hui déplacées à l’intérieur du pays. L’armée burkinabè est accusée de la mort d’au moins 223 civils, dont 56 enfants, lors d’une opération en février, et d’autres massacres ont été rapportés dans l’est du pays par plusieurs organismes sur le terrain. En novembre, le gouvernement a annoncé son intention de rétablir la peine de mort, renforçant les inquiétudes quant à une dérive autoritaire et militarisée du pays.

La CPI en pratique

La Cour pénale internationale, basée à La Haye aux Pays-Bas, a été créée pour juger les auteurs des crimes les plus graves lorsque les États ne peuvent ou ne veulent pas le faire eux-mêmes.

Aujourd’hui, 125 pays en sont membres, tandis que des puissances comme les États-Unis, la Chine ou la Russie n’y participent pas. Rappelons que, dans la pratique, l’action de la CPI reste limitée par sa dépendance à la coopération des États pour l’arrestation et le transfert des personnes visées par ses mandats.

Plusieurs affaires emblématiques illustrent ces limites et son rôle parfois controversé en Afrique. Jean-Pierre Bemba, ancien chef de guerre et vice-président du Congo, avait été reconnu coupable de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre en Centrafrique en 2016, avant d’être acquitté en 2018. En Côte d’Ivoire, Laurent Gbagbo a été détenu plus de sept ans à La Haye après la crise postélectorale de 2010-2011, qui a fait plus de 3 000 morts, avant d’être finalement reconnue non coupable en 2019.

Plus récemment, un mandat d’arrêt visant le président israélien Benyamin Nétanyahou n’a pas été exécuté, alors qu’il s’est rendu dans plusieurs pays membres de la CPI, dont la France, sans être arrêté.