Marie-Ève Riel, stagiaire d’Alternatives en Tunisie
L’une des zones côtières les plus importantes en Tunisie est désormais marquée par des odeurs d’œufs pourris, de poissons morts, d’algues vertes toxiques et de marées de boues.
Actuellement, le golfe de Monastir est devenu une préoccupation majeure pour l’environnement en raison de sa pollution en constante hausse. Le déversement massif d’eau polluée et la responsabilité des auteurs de ces catastrophes environnementales ne sont pas réellement pris en compte par des politiques environnementales et des mesures concrètes.
Autrefois synonyme de ressources piscicoles, la baie de Monastir s’est rapidement transformée en une véritable poubelle pour les entreprises de textiles. Certes, on compte plus de 500 entreprises du secteur du textile et 35 entreprises spécialisées dans le traitement du jeans, fermement installées et dédiées à poursuivre leurs activités polluantes. Ils se débarrassent de leurs eaux usées dans les rivières ou dans les canalisations des eaux usées ménagères (lavabos, douches, cuisines, lave-vaisselle et, etc.).
Les intérêts ont une forte odeur
En conséquence, les eaux chimiques des entreprises tuent les bactéries destinées à traiter les eaux de ménage. Selon Mounir Hassine, président du Forum tunisien des droits sociaux économiques (FTDES) à Monastir, plusieurs entreprises non déclarées optent pour une manière plus discrète pour polluer la baie. Pour accéder aux eaux souterraines, ils creusent des puits et jettent plus facilement leurs eaux usées dans la mer.
L’ancien professeur de géographie poursuit en expliquant que les trois stations d’épurations des eaux usées (STEPS) dans le gouvernorat de Monastir, Sayada-Lamta-Bouhjar, Frina et Jemmel sont en surcapacité. La station de Sayada-Lamta-Bouhjar possède en général une capacité d’eau de 1 680 m³, mais elle reçoit plus de 10 milles m³, puis Frina et Jemmel ont une capacité d’eau de 13 500 m³ et reçoivent plus de 23 000 m³. Autrement dit, les stations ne peuvent plus traiter entièrement les eaux et l’Office national de l’assainissement (ONAS) doit déverser de l’eau polluée dans la mer. D’après la loi, M. Hassine révèle que les entreprises de fabrications (textiles) doivent disposer d’une station de prétraitement. Toutefois, le prix d’une station de prétraitement est dispendieux et les entreprises préfèrent largement payer des amendes :
«Il est plus rentable de payer 5 000 dinars tunisiens (2 500 $ canadiens) d’amendes, au lieu de faire fonctionner une station plus couteuse […] Si l’amende est seulement de 5 000 dinars, c’est bien parce que les juges ne sont pas spécialisé.es en droit de l’environnement. Ils ne comprennent pas l’ampleur de l’eau polluée à Monastir.»
On n’arrive plus à respirer
Sur plusieurs années, de grandes quantités de poissons décédés ont été échouées sur les plages, suivies de la faune, de la flore et des habitants qui sont victimes des conséquences néfastes du sulfure d’hydrogène (H₂S). Cette substance chimique, caractérisée par son odeur d’œufs pourris, génère une quantité considérable de «salade verte», également connue comme les algues vertes. Les composés organiques altérés ont la capacité de libérer du sulfure d’hydrogène. En outre, cette substance est essentiellement anthropisée dans la région de Monastir, c’est-à-dire par le traitement des eaux usées.
Mais encore, au contact de l’humidité, le taux de pollution de l’eau de la mer à Ksibet El Médiouni s’élevait à 88,57 % en 2011, ce qui est préjudiciable à la santé de la population résidente. Il est particulièrement déconseillé de consommer cette eau, car elle peut entraîner des infections urinaires et cutanées, et diverses maladies comme la dysenterie et la gastro-entérite. Bien que de nombreux habitants soient atteints de cancer et de maladies de la peau, les médecins refusent fermement de faire un lien de causalité entre la pollution et les maladies.
Les catastrophes écologiques les plus célèbres de 2006 et 2011 ont été réellement la goutte de trop pour la population résidente et les pêcheurs. La mer était devenue rouge et l’aération des maisons était impossible à cause d’un dégagement dangereux de sulfure d’oxygène. L’ancien gouvernement, sous la présidence de Habib Bourguiba, envoya des spécialistes pour dissimuler les activités de l’ONAS, et affirma que c’était un phénomène tout à fait naturel. En réaction à la conclusion des spécialistes, les habitants ont décidé de se mobiliser et de protester contre les catastrophes environnementales depuis 2006, dans le but de faire réagir les autorités.
Le directeur de l’ONAS, sous la pression du public, a mis en place en 2011, une nouvelle expertise de l’eau qui les déchargeait de toute responsabilité, en concluant que la mer était polluée par la présence d’une quantité énorme de chaux dans l’oued de la ville de Khniss, une substance qui masque les odeurs. Cependant, ce n’est qu’en 2013, suite au blocage des routes de la ville de Ksibet El Médiouni par des militants, que les autorités ont pris la décision de céder et de reconnaître leur négligence face au désastre.
Un premier remède au problème environnemental a été proposé en 2013. Le conseil ministériel dédié à la baie de Monastir a proposé d’allouer un budget pour permettre la délocalisation des stations d’épuration de Sayada vers le pôle technologique à l’ouest de Monastir, ainsi que la modernisation de la station de Frina et la création d’un conseil de garde. Jusqu’à présent, les mesures sont restées infructueuses, les promesses de l’ONAS ne conduisent à rien. Les pêcheurs ne trouvent plus de poissons et se retrouvent atteints de maladies cutanées. La mer est toujours jonchée de déchets et d’algues, ce qui préoccupe les habitants qui ne voient aucune avancée.
Au secours, mais de qui?
Le FTDES analyse et dénonce l’urgence environnementale dans la baie de Monastir. Le forum propose le projet Alkahina, qui a pour grandes lignes d’éradiquer la pollution marine, transformer progressivement des stations d’épuration en stations de pompage, séparer les eaux usées de ménages et les eaux industrielles polluées, délocaliser les usines polluantes dans des zones spécifiques, etc.
Or, comment continuer à lutter en faveur de la protection de l’environnement lorsque les autorités tunisiennes débarquent pour la deuxième fois, au siège social du FTDES, à Tunis, pour saisir tous leurs documents. Pire encore, le directeur du forum est menacé d’être emprisonné. Il convient de rappeler que de nombreux militants, acteurs médiatiques et employés de diverses ONG ont été appréhendés pour avoir dénoncé les mesures radicales prises contre les migrant.es et réfugié.es.
À l’approche des élections prévues le 6 octobre prochain, il semble que le président tunisien, Kaïs Saïed, qui vient de limoger 19 de ses ministres en une seule journée, souhaite maintenir une image impeccable et faire taire toutes les critiques à son égard. On retiendra donc une deuxième caractéristique du président Saïed, il est possible qu’il soit susceptible.