Marie-Eve Riel , stagiaire d’Alternatives en Tunisie
Tunis – 20 juin 2024 – Gaz lacrymogène, taser électrique et coup de matraque employés contre plusieurs migrant.es, réfugié.es et demandeurs d’asile, dont des femmes enceintes et des enfants, pour les expulser de force.
Les autorités tunisiennes ne se sont pas prêtées aux célébrations de la journée mondiale des réfugié.es, mais plutôt à des opérations répressives qui perdurent depuis plusieurs mois. Effectivement, le ton ne cesse de monter de la part du gouvernement de Kaïs Saïed. Depuis son fameux discours haineux en hiver 2023 contre les réfugiés subsahariens, le président tunisien a ordonné aux forces policières de s’attaquer à la population migrante.
Mais qu’est-ce que le 20 juin ?
Déclaré Journée mondiale des réfugié.es par les Nations Unies (ONU), le 20 juin rend hommage aux nombreuses personnes contraintes de fuir leur pays. Anciennement appelée La Journée africaine des réfugié.es, l’Assemblée générale de l’ONU opte pour une appellation plus générale et fixe au 20 juin la commémoration depuis 2001. Cette journée permet d’éclairer les droits des réfugié.es et leur parcours, de même qu’elle encourage la compréhension et sensibilise la communauté politique pour implanter des plans d’action et mobiliser le plus de ressources.
L’année 2024 a pour thème « « Pour un monde qui accueille les personnes réfugiées ». On peut trouver quelques exemples qui soutiennent le mouvement à travers les réseaux sociaux, par #AvecLesRéfugiés et/ou #WorldRefugeeDay. À Bangkok (Thaïlande), plusieurs tuks étaient décorés d’une bannière écrite « Hope Away from Home » (espoir loin de la maison – traduction libre). Également, à Athènes, l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) a organisé le festival de Cooking #WithRefugee. Des chef.fes grecs et des réfugié.es d’origine camerounaise, syrienne, ukrainienne et afghane se sont joints pour servir des plats riches en saveurs et cultures.
Et Kaïs Saïed, pourquoi il n’est pas fêtard ?
Favorable à la théorie complotiste sur le « Grand remplacement », le président tunisien rerend l’idée que la population européenne va disparaître démographiquement suite à l’immigration. Il ne mâche pas ses mots lorsqu’il est question de traiter du dossier de la migration illégale en Tunisie. Acclamé par Eric Zemmour, du parti français d’extrême droite Reconquête, M. Saïed affirme que la Tunisie ne sera pas une terre d’accueil pour « les personnes africaines en situation irrégulière ». Selon lui, ce qui s’instaure est « un plan criminel préparé depuis le début de ce siècle pour métamorphoser la composition démographique de la Tunisie ». Il ajoute par ailleurs que les migrant.es subsahariens apportent « des crimes, des violences et des pratiques inacceptables ».
Kaïs Saïed accuse les organisations de la société civile d’être des traîtres, des mercenaires, de recevoir de monstrueuses sommes d’argent de l’étranger et de prétendre défendre les droits des migrant.es. Pour lui, le financement étranger des ONG est une insulte pour l’État. Au courant du mois de mai 2024, les autorités tunisiennes ont exercé une pression envers des personnes médiatiques, des journalistes, des militant.es et des employé.e.s des ONG et en ont arrêté plusieurs. Des peines d’emprisonnement et des amendes de plus de 50 000 dinars tunisiens (environ 22 000 $CA) peuvent s’appliquer pour être venu en aide aux migrants.es et réfugié.es.
Le pire accueil vise la population migrante noire
Du côté de la population migrante noire, plusieurs campaient dans un jardin public, à Tunis, devant les bureaux du HCR. Les forces de sécurité les ont expulsé à coup de matraque, de poing, de pied, d’impulsions électriques et de gaz lacrymogène. Cette répression collective illégale a forcé près de 400 personnes migrantes à retourner à la frontière libyenne.
La Tunisie fait partie de la Convention des réfugiés et contre la torture, de la Convention internationale sur l’élimination de toutes formes de discriminations raciales et de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples. Celles-ci interdisent l’expulsion collective. Or les lois tunisiennes criminalisent les entrées et sorties irrégulières des étranger.ères. Ces lois, qui datent de 1968 et de 2004, permettent d’interdire le séjour irrégulier de personnes venant de l’étranger. Également, toute organisation qui aide aux entrées et sorties irrégulières sera sanctionnée sous peine d’emprisonnement et d’amendes.
Le cadre légal sur la détention des migrant.es en Tunisie n’est pas clair et laisse la porte ouverte aux autorités tunisiennes de les détenir injustement et de brimer leurs droits. Le Forum tunisien des droits sociaux et économiques (FTDES) a documenté et affirme qu’en 2023, entre les mois de janvier et de mai, les autorités ont arrêté, pour des séjours irréguliers, 3 500 individus. Elles ont empêché 23 000 autres de quitter la Tunisie.
Plusieurs autres arrestations ont suivi dans la grande région de Sfax. Près de 1 200 personnes ont été expulsées ou déplacées de force par l’armée et la garde nationale, vers les frontières libyennes et algériennes. Aussi, les raids se sont multipliés envers des centaines de migrantes noir.es d’Afrique, peu importe si leur situation était régulière ou irrégulière.
L’obsession contre la population migrante noire est due aux tensions locales avec les personnes résidentes. Cette population migrante construit des campements sur des terres d’oliveraies, des arbres sacrés dans la culture tunisienne. On coupe des branches pour construire leur habitat. En conséquence, cela dégrade les terres agricoles des locaux et alimente le sentiment anti-migrant.
D’ailleurs, plusieurs des personnes migrantes n’ont nulle part où aller, ni manger, ni se loger, étant donné que la population tunisienne ne peut pas louer des logements à ces personnes. Certains se cachent notamment par peur de représailles ou de violences des habitants et des autorités à Sfax.
La hausse du racisme envers la population migrante noire est préoccupante et plus particulièrement sur les réseaux sociaux. Des commentaires haineux et des préjugés discriminatoires tel que « les noirs mangent des chats », ou des pétitions pour les expulser récoltent des milliers de signatures. Alors que ces personnes migrantes veulent se rendre en Europe, elles souhaitent trouver refuge et asile dans un pays qui respecte réellement leurs droits cités dans la Convention de 1951.
Tunisie, le chien de garde de l’Union européenne
Un protocole signé en 2023 entre l’Union européenne (UE) et la Tunisie affirme que l’UE s’engage à fournir à la Tunisie de l’aide, des ressources et un soutien technique, pour empêcher tout flux migratoire vers l’Europe. C’est-à-dire que la Tunisie joue un rôle de chien de garde de l’Europe. En échange, le gouvernement tunisien se verra offrir 105 millions d’euros pour gérer les frontières et un milliard d’euros en prêt et soutien supplémentaire pour prévenir potentiellement des crises économiques. Cet accord a été vivement critiqué par les organismes qui défendent les droits des réfugié.es. Le manque de transparence et de révision parlementaire compromet la fonction de ce soutien de se pencher réellement sur les questions migratoires. Pour l’Union européenne, il suffit que les mesures éloignent les populations migrantes de ses frontières.
Ainsi, on retiendra que Kaïs Saïed n’aime pas trop les fêtes, incluant celle d’Aïd-el-Fitr, une fête musulmane importante à sa population, auquel il n’a voulu souhaiter à personne cette année. Ensuite, la population migrante en Tunisie ne verra peut-être jamais le jour où le 20 juin sera célébré en leur honneur.