Venezuela : le vrai programme de l’opposition

Angel Arias, 2 mars 2019

 

Privatisation des entreprises et des services publiques, augmentation de la dette publique, dérégulation des prix, licenciements dans le secteur public. Voici quelques-unes des mesures de « sauvetage » du pays que propose Juan Guaidó, autoproclamé président en exercice le 23 janvier 2019.

Guaidó et l’Assemblée nationale vénézuélienne ont présenté les lignes générales de leur « programme » pour gouverner le pays. Derrière ce programme se trouvent les idéologues de la suprématie de l’intérêt des entreprises par-dessus toute autre chose qui, il y a quelques décennies, proposaient l’« ouverture pétrolière » (comprendre la concession de l’exploitation pétrolière au capital étranger). Aujourd’hui, ces messieurs cherchent à prendre leur revanche.

Dès 2016, les dirigeants de l’opposition affirmaient qu’en cas de retour au pouvoir, ils devraient prendre des « mesures impopulaires ». « Il faudra prendre des mesures difficiles », avait dit Ramos Allup, président de l’Assemblée nationale à l’époque, faisant clairement référence aux futures attaques contre les classes populaires dans le programme de l’opposition. Ce que Guaidó a présenté il y a quelques jours et ce qu’il appelle un « processus de sauvetage, de reprise et de transformation sociale » le confirme : tandis que ce gouvernement a déjà transigé avec les droits des travailleurs, vendu honteusement nos ressources au capital transnational et nous maintient à genoux devant nos créanciers internationaux, l’opposition promet d’augmenter cette dette, de vendre encore plus les ressources naturelles et de s’attaquer aux travailleurs.

Plus de dette publique

Comme si l’énorme dette publique héritée de Chávez n’était pas suffisante, l’opposition propose d’endetter encore plus le pays : « Accéder à un crédit multilatéral pour solliciter le financement nécessaire dans des conditions préférentielles et de l’aide économique internationale ». Il faut n’avoir aucune honte pour appeler « préférentielles » les conditions qu’impose la finance internationale, quand des peuples entiers se voient obligés de sacrifier leurs besoins vitaux pour rembourser ces usuriers. Si avec Maduro, les besoins du peuple (alimentation, santé, logement, etc.) ont déjà été largement sacrifiés afin de payer les milliards de dollars de la dette publique, avec ce « programme » ce sera pareil, voire pire.

Guaidó propose donc d’hypothéquer notre futur à des « conditions préférentielles » avec le FMI et d’autres entités qui imposent leur politique fiscale et économique (réduction des dépenses publiques, augmentation des impôts, privatisations, licenciements de fonctionnaires, etc.). En effet, ceux qui parlent de « libertés » et de « démocratie » cherchent à soumettre le pays à la dictature économique des organismes internationaux. Avec le chavisme, nous avons « diversifié » les créanciers de la dette publique, en nous tournant vers la Russie et la Chine. La droite souhaite revenir à l’exclusivité du FMI et des puissances occidentales.

Plus de contrôle du capital international sur le pays, en particulier sur le pétrole

Ceci va de de pair avec une autre orientation, celle consistant à « promouvoir les investissements internationaux dans un cadre qui génère de la confiance et de la protection effective de la propriété privée » : c’est un « plan massif » d’« investissement privé international et national dans le pétrole ». Il s’agit de réécrire les lois pour « autoriser que le capital privé soit l’actionnaire majoritaire des projets pétroliers ».

Inutile de tourner autour du pot : l’enjeu, pour Guaidó et les siens, c’est d’avancer vers un processus agressif d’appropriation des ressources naturelles et des entreprises publiques par les capitaux impérialistes. Il est dit que l’État conservera la propriété de PDVSA — ce serait un scandale que ce ne soit pas le cas —, mais cela n’empêchera pas la privatisation, puisqu’il s’agit de faire en sorte que le capital privé soit l’« actionnaire majoritaire ». C’est donc un saut dans la dé-nationalisation de l’économie en général et de l’industrie pétrolière en particulier.

Sous Chávez, mis à part quelques grandes entreprises transnationales qui ont quitté le pays, celles-ci n’ont jamais cessé d’être présentes au Venezuela et n’ont pas cessé de faire des affaires. Lorsque le lock out patronal et le coup d’état d’avril 2002 ont été battus en brèche, Chávez a réussi à renégocier les termes de l’échange avec le capital étranger, en captant une part plus importante de la rente pétrolière et en devenant actionnaire majoritaire de certaines entreprises — même si, comme dans le cas du gaz, le capital étranger pouvait être actionnaire à 100%. C’est-à-dire que, malgré l’anti-impérialisme de façade, les entreprises étrangères ont bien tiré leur épingle du jeu.

Maduro a commencé, il y a quelques années, la re-privatisation de quelques services et a relancé l’association avec le capital étranger dans certaines entreprises – où le capital étranger peut être actionnaire majoritaire. Récemment, il leur a proposé l’exonération d’impôts pendant un an. De plus, il a mis en place la vente d’exploitations minières dans la ceinture pétrolière de l’Orénoque, exonérant les entreprises de certaines normes du Code du travail, accentuant l’extractivisme, avec des conséquences néfastes sur l’environnement et les communautés locales.

Pour Guaidó et la droite, ceci n’est pas suffisant. Ils veulent mettre à bas toute régulation qui mette des limites à la pénétration du capital privé international dans le secteur pétrolier et dans le reste de l’économie. C’est le sens du « cadre qui génère de la confiance et de la protection effective de la propriété privée ». L’Assemblée nationale avait déjà proposé une nouvelle loi en faveur du capital international. Mais cela ne semble pas suffisant à la droite et aux intérêts impérialistes qu’ils représentent.

Licenciements massifs dans le secteur public et plus d’impôts

La recette classique du « désengagement de l’État » est un euphémisme pour ne pas dire qu’il est envisagé de licencier massivement dans la fonction publique ou de privatiser.

L’opposition parle aussi d’une « réforme fiscale » pour « équilibrer la brèche entre recettes et dépenses » de l’État. Actuellement, la TVA, impôt indirect sur le salaire, rapporte une grande partie des recettes de l’État. Veulent-ils dire qu’ils réduiront les impôts pour le peuple et qu’ils augmenteront ceux des riches ? De toute évidence, non.

« Ouvrir à l’investissement privé les entreprises publiques et prendre les mesures nécessaires à leur bon fonctionnement, spécialement dans la gestion des services publics ». Encore une fois, derrière la langue de bois, ils veulent dire privatiser les entreprises publiques et les services. Même si l’État « garde la propriété » des actifs, la gestion et les profits passeront au privé. Ils parlent de « mesures nécessaires » pour leur fonctionnement pour ne pas dire « licenciements » et « augmentation drastique des prix des services », puisque ce sera la rentabilité qui prendra le dessus.

Salaire égal au minimum vital indexé sur l’inflation ? Pas du tout !

L’opposition profite des revendications salariales des travailleurs pour essayer de se montrer favorable à ceux-ci. Pourtant, nulle part il n’est question d’un salaire équivalent au minimum vital indexé sur l’inflation, qui est l’une des revendications centrales du mouvement ouvrier.

Guaidó et les siens affirment seulement qu’il faut mettre en place des « mécanismes transparents et concertés de détermination et actualisation du salaire minimum et des retraites, selon ce qui est fixé par l’OIT ». Ceci peut sembler progressiste devant la politique salariale catastrophique du gouvernement. Pourtant, cette alternative inspirée par l’OIT n’a rien de progressiste parce qu’elle se veut le produit d’une « concertation » entre travailleurs, patrons et gouvernement. C’est à l’opposé de la perspective d’une lutte pour les salaires qui soit équivalents ou supérieurs au minimum vital et qui soit indexé à l’inflation.

Libéralisation des prix

« Lever le système de contrôles qui étouffe la production nationale » et « rétablir les mécanismes de marché », dit le « programme ».

La première chose qu’il faut rappeler c’est que, malgré les tentatives infructueuses de réguler les prix de la part du gouvernement, il y a bien des mécanismes de marché dans le pays. Il serait faux de dire le contraire. Comment appelle-t-on cela quand les patrons augmentent les prix des marchandises ?

D’après l’idéologie de l’opposition, les patrons doivent avoir totale liberté pour fixer leurs prix, pour déroger au code du travail et s’approprier le pétrole, sans que l’État intervienne. Bien sûr, les gens peuvent voter, mais sans que cela entre en contradiction avec les affaires de la bourgeoisie.

Avec cette dérégulation, ils cherchent à renforcer le rôle parasite de la bourgeoisie nationale. Guaidó et l’Assemblée nationale affirment que les dollars qui entrent dans le pays par la rente pétrolière doivent être en libre accès, libérés, pour être mis à disposition de la bourgeoisie nationale sans contrôle. Le pire étant que même avec le contrôle fiscal du chavisme, les différents groupes de la bourgeoisie nationale (anciens comme nouveaux) n’ont jamais cessé d’avoir à leur disposition des dollars de la rente pétrolière. Comment expliquer sinon la fuite de capitaux, à hauteur de 500 milliards de dollars, ces dernières années ?

Guaidó a au moins l’honnêteté de reconnaître, en bon politicien bourgeois qu’il est, que les bénéfices du pétrole n’ont pas été sauvegardés pour le futur pas plus qu’ils n’ont été investis dans l’appareil productif du pays. Mais il ne dit rien sur ceux qui en sont responsables ni sur les secteurs de la bourgeoisie qui ont participé à cette opération. Et pourtant l’une des raisons de la ruine économique du pays est le transfert des revenus de l’Etat, issus de la rente pétrolière, aux mains d’acteurs privés, autant de revenus qui sont partis à l’étranger et n’ont jamais été investis.

A l’inverse, Guaidó demande plus de facilités pour accéder à cette rente et accuse le « socialisme du XXIe siècle » de cet échec, alors que le chavisme a reproduit cette constante du capitalisme dans les pays semi-coloniaux : une bourgeoisie nationale qui s’approprie la rente sans que cela ne serve à sortir le pays de l’atrophie de son appareil productif.

Le même « populisme »

Face à l’échec manifeste du gouvernement dans la distribution alimentaire, avec des structures mafieuses et corrompues, la droite ne propose pas que cette distribution passe aux mains du peuple. Elle propose plutôt que ce soient des entreprises privées et des ONG liées à l’opposition qui organisent cette redistribution.

L’opposition parle de « populisme » à l’égard du gouvernement dès qu’il s’agit d’intervenir pour réguler les droits sociaux ou réduire les inégalités générées par le capitalisme. Cependant, le « programme » de Guaidó propose aussi des aides sociales, etc. Il propose de « libérer » les prix, de licencier dans le secteur public, de privatiser les services, et en échange de maintenir quelques aides sociales pendant un certain temps… Dans son ensemble, le programme de l’opposition tient de la vieille recette néolibérale. Guaidó n’est, en ce sens, pas très jeune.

La classe ouvrière n’a rien à tirer d’une telle « alternative ». Sans intervention directe des travailleurs, en alliance avec les secteurs populaires, pour proposer leur propre programme face à l’urgence de la catastrophe économique et sociale, les seules options en vue sont la permanence du désastre ou l’imposition du programme néolibéral de l’opposition, appuyée par l’intervention impérialiste.

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