Chantal Ismé, collaboration
Réflexions sur le roman Souvenirs du futur du captif du phare de Z. Fall qui sera lancé ce samedi 28 décembre à 14h30 au 1710 rue Beaudry suite 210.
Souvenirs du futur du captif du phare, titre paradoxal pour un roman fleuve d’environ 450 pages. La première de couverture annonce déjà les couleurs avec un paysage futuriste annonçant le désastre. Kder, le personnage principal, nous transporte dans sa trajectoire de vie de combattant de l’ordre mondial à l’ère cybernétique.
Les scènes du roman se déroulent dans un cadre visionnaire, une projection vers l’avenir, un instantané de l’accélérante décadence du capitalisme et du capitalocène. Sans phare, nous vivons avec Kder ses luttes épiques tant sur le plan sentimental que pour un monde nouveau. Personnage attachant, un peu tourmenté, alliant le rationnel de ses choix de bataille avec comme toile de fond l’Amour dans son essence le plus pur. La résilience de Kder inspire et fait germer l’espoir de vaincre ce système inique comme il a triomphé de la mort. Roman palpitant par contre qui serait de lecture un brin ardue par son langage parfois un peu trop spécialisé sans le lexique heureusement présent en début de chaque tome.
Dès le début du livre, Z Fall nous rentre d’emblée dans un monde fantasmagorique, baroque, un peu glauque, déjanté sur les bords. Interloqué.e, mais fasciné.e, l’attrait de l’inconnu, la curiosité, le désir de découverte intiment à continuer le voyage. Comme dans un film, la diégèse, le scénario, l’intrigue naissante et le caractère attachant du personnage transportent dans un univers surréaliste. Souvenirs du futur du captif du phare vous happe et vous prend dans les tripes du début à la fin. Un rythme vif, des phrases courtes, parfois saccadées qui vous ballottent comme sur une mer houleuse avec des accalmies de brise tendre çà et là au gré d’une émotion. La sonorité de la narratologie est si vivante qu’elle invite parfois à danser.
« Je parlerai aux mouches, au vent qui colportera mes mots dans notre chaîne d’îles » T1 p.11. La trame du récit dans un enchevêtrement entre l’analyse, les aventures, l’histoire nous plonge dans un futurisme si réaliste que le présent s’estompe. Pourtant, ça et là l’auteur n’a pas pu s’empêcher de bifurquer vers un retour abyssal.
Des descriptions méticuleuses rendent le récit très vivace. Des portraits comme autant de tableaux sombres, parfois même mélancoliques sinon tragiques s’intercalent avec des étalages de beauté faste et écarlate, souvent de paysages idylliques.
« Le soleil paresseux s’éclipsait et Krimaren achevait de s’égosiller » T1, p. 41
« Ce lac glauque occupait le cratère. C’était beau, si beau de le voir changer de couleur. Gris-vert, jaune et émeraude sans éclat, nuage, gris, jaune et émeraude terne, jet de vapeur, gaz, gris jaune… » T2, p. 330
Le narratif dense et passionnant vous emporte dans un tourbillon d’émois allant de la tendresse, de l’attachement, en passant par la colère à la révolte.
« Ses yeux étaient éteints. Ses mains calleuses. Ils fixaient souvent en silence le ciel, comme si l’ouate des nuages pouvait lui conférer une caresse. » T2, p. 290
Un humour subtil caché sous un masque savant, docte, ironisant farouchement la « maladie infantile » ou sénile de la « scienticité ». Des jeux de mots, des mots calembours, des mots dits, des mots éteints ressuscités, des mots futurs inventés, un foisonnement intense d’un imaginaire à tout casser jusqu’à déstabiliser.
Le Tome 2 un petit bijou de poésie et de philosophie. On plonge dans un univers merveilleux où même le réalisme est poétique. Des problèmes d’éthiques, des réflexions philosophiques sur l’existence sont soulevés avec sérieux pourtant, sans dogmatisme.
Des hyperboles accentuent la poétique de la prose : « Écoute le silence. Écoute comment il se lasse de laisser passer le vent serpentant entre les labyrinthes des cimes montagneuses » T1, p. 26
« Il est plus facile de rendre les gens heureux, que de se rendre heureux. » T2, p. 287
Une cadence tout en rythme : « Se souvenir, ressusciter, faire resurgir, restructurer, restaurer, restituer. Que de mots envoyés en éclaireurs dans une jungle compacte et qui revenaient bredouilles ! » T2 p.280
L’enfance pas trop loin sur les sentiers du merveilleux.
« Poussière d’étoile peut-être ! » T3 p.445 dit Kder à l’injonction établie, « tu retourneras à la poussière. »
Le ton léger enrobe le déploiement idéologique en sous-bassement, dans un mécanisme littéraire spiralé si présent dans les trois Tomes. On constate que l’auteur vogue non seulement sur un registre de gauche, mais surtout s’assure que l’analyse sociopolitique de classe soit toujours présente en filigrane, souvent de manière flagrante.
Dans le premier Tome, avec un accent apparemment badin, le système capitaliste est mis à nu, décortiqué dans son pourrissement jusqu’à la lie. Chaque strate est auscultée, « effeuillée » et examinée. Une critique en règle de la culture dominante se livre : la question migratoire, l’âgisme, l’apologie de la jeunesse éternelle, le repli identitaire, la marchandisation (de tout), la religion, l’agnosticisme, etc.
Dans les Tomes 2 et 3, sans tomber dans un passéisme fade, les catégories sociales en présence sont décortiquées et explorées. Le culte technologique, technocratique, y est dénoncé. Rien n’échappe au couperet chirurgical de la critique : langue, éducation, sexualité, organisation sociale, santé, intelligence artificielle, etc., voire l’alimentation passe au moulinet de l’œil acerbe de Kder.
Même dans l’élégie de la nature, la politique comme un leitmotiv, dans une atmosphère de kaléidoscope revient immanquablement.
« Le vent battait les lambeaux de leurs haillons lacérés par les gaz du volcan » T2, p. 330
« Il fallait que je m’en imprègne comme d’une réserve, pour la leur cracher, comme une lave vengeresse. » T3, p. 445
« La vie est faite de mort comme le va-et-vient des vagues ». Avec une touche qui rappelle les portraits des villes ouvrières d’Engels, nous est livré un voyage psychédélique dans le monde des bas-fonds, des pouilleux… Une description réaliste de la misère humaine empreinte de sensibilité et d’humanité. Un dessin minutieux de ces bidonvilles aux flancs des collines qui peuvent être en Ayiti, à Calcutta, à Conakry ou encore n’importe où au Grand Sud.
Un texte s’apparentant à un essai politique, mais si romanesque et poétique que sa lecture émeut parfois jusqu’aux larmes. « Quelle vision vive. Mon amour, Aurolia, ici, où ça ? Elle disparut comme elle était venue, laissant sa présence dans ma mémoire lâche. Peut-on appeler ça une mémoire, lorsque l’image d’Aurolia s’y évanouit, comme s’éteint la couleur chatoyante d’un poisson pêché dans la mer de corail. » T2, p. 318
On souhaite continuer à suivre l’attendrissant Kder, on veut voir grandir Usis, on veut connaître l’avenir de Zain, on veut redonner vie à Aurolia. Kder vient nous chercher au tréfonds de nos engagements et fait vibrer la fibre révolutionnaire en nous. Vivement le Tome 4 !
Poésie dure
Poésie tendre
Poésie philosophique
Toujours truffée d’idéologie
Cette trilogie passionnante, forgeuse de conscience, interpelle notre humanité et l’Amour, le vrai. « Il faut que l’humanité réapprenne à aimer, car il n’y a de divin que dans l’humanité » T2, p. 337.
- Lancement, ce samedi 28 décembre à 14h30, au 1710 rue Beaudry suite 210.
- Fall, Z., Souvenirs du futur du captif du phare, Éditions Grenier, 450 pages.