Pierre Beaudet
Depuis le début de la guerre au Yémen en 2015, plus de 250 000 personnes sont mortes dans le pays le plus pauvre de la péninsule arabique. La grande majorité sont des civils, et en particulier es enfants (25 % des victimes selon MSF). En ce moment, 82 % de la population dans ce pays (30 millions d’habitants) a besoin d’aide humanitaire pour survivre par suite des destructions causées par la guerre. 50% des enfants sont frappés par la famine et l’absence de soins. Pour dire les choses encore plus crument, un enfant yéménite meurt à toutes les minutes, 24 heures sur 24. Malgré cette situation catastrophique, l’aide humanitaire arrive au compte-goutte. Les pays donateurs ne sont pas rendez-vous, selon le secrétaire général l’ONU, António Guterres.
Le rôle crucial de l’Arabie saoudite
En 2015, le royaume saoudien avec l’appui de 29 États du Golfe et du Maghreb, et l’assentiment des États-Unis et ses alliés[1], a déclenché une violette offensive contre le Yémen. Dirigée par le prince héritier Mohammed bin Salman (MBS), l’opération devait permettre à l’Arabie saoudite de remporter une victoire décisive contre le Yémen alors aux prises avec de nombreux conflits internes. L’aviation et la marine saoudiennes ont été fortement mises à contribution pour bombarder le Yémen, notamment la capitale, Sanaa, ainsi que les voies d’accès, comme le port de Hodeidah. Les Saoudiens prétendaient venir en aide au président déchu, Abdrabbuh Mansur Hadi, renversé par une coalition animée par les Houthis, un des communautés yéménites majoritaires dans le nord du pays. Ils voulaient également empêcher le Yémen de se rapprocher de l’Iran qui cherche à gagner de l’influence dans toute la région du Golfe et Moyen-Orient.
Impasse
À l’époque, les experts estimaient que l’Arabie saoudite parviendrait à ses fins en imposant un régime à son service. Mais 7 ans plus tard, rien n’est réglé. Pire encore, les forces houthis ont repris l’initiative, notamment dans la région pétrolière au nord du pays (le Marib). Elles se permettent également de multiplier des attaques de drones et de missiles contre le royaume, notamment contre ses installations énergétiques. La grogne commence à se faire en sentir en Arabie saoudite, où la mauvaise situation économique et la gestion erratique de MBS (les exactions contre les dissidents, les femmes, les minorités ethniques et confessionnelles, se poursuivent dans un État où on connait le plus taux au monde d’exécutions capitales (per capita).
Les dimensions internationales
Devant ce retournement, l’Arabie saoudite a récemment proposé une trêve qui a par ailleurs été rejetée par les Houthis. Les dirigeants saoudiens sont inquiets du changement de politique de l’administration américaine depuis la passation des pouvoirs vers Joe Biden. Au sein du Congrès, les voix critiques sont de plus en plus nombreuses à exiger la fin de cette guerre, ce qui signifie l’arrêt ou la réduction des ventes d’armements à l’Arabie saoudite). Entre 2016 et 2020, 79% des armes achetées par l’Arabie saoudite provenaient des États-Unis) D’autres États, dont le Canada, la France, la Grande-Bretagne sont également impliqués dans le juteux commerce des armes avec l’Arabie saoudite, ce qui explique sans doute leur silence jusqu’à présent face aux atrocités commises contre la population du Yémen[2]. La tension entre Washington et Ryad s’est également aggravée dans le sillon de l’assassinat du journaliste saoudien dissident, Jamal Khashoggi. L’enquête a révélé l’implication directe de MBS dans cette affaire sordide.
Comment s’en sortir ?
Un arrêt des combats, sous ls supervision de l’ONU, serait certainement la première étape pour arrêter le carnage, en permettant à l’aide humanitaire d’être acheminée à partir du port de Hodeidah. Mais si on espère venir à bout de ce conflit, il faudra plus que des mesures temporaires ou partielles. Des négociations sérieuses devront être engagées, en commençant par les factions yéménites, y compris les Houthis dont l’importance sur le terrain ne peut plus être occultée, et pas seulement sur le plan militaire. Entretemps, il importe que les États-Unis et leur alliés imposent des sanctions contre l’Arabie saoudite, en commençant par les ventes d’armements. Cela aurait un effet immense sur le conflit.
La paix sera régionale ou ne sera pas
Mais tout processus de paix au Yémen ne pourra aboutir à moins d’une solution régionale de plus grande envergure, ce qui représente un énorme défi. Tout en étant distinctif, le conflit au Yémen fait malheureusement partie de cette « guerre sans fin » déclenchée par les États-Unis en 2003 dans leur futile espoir de procéder à la « réingénierie » de la région. Pour cela, ils ont constitué une alliance stratégique avec l’Arabie saoudite qui, avec Israël, devait être le fers de lance d’une grande offensive dont les conséquences ont été tragiques, notamment pour l’Irak et la Syrie, et qui, depuis quelques temps, menacent plusieurs autres pays de la région. Il reste à voir si le président Biden voudra et pourra aller dans une grande initiative de paix à laquelle devraient se joindre les puissances et les États, à commencer par l’Iran, mais également la Turquie, la Russie, la Chine.
[1] Les chasseurs-bombardiers saoudiens, pourvus par les États-Unis, sont majoritairement pilotés par des militaires égyptiens, soudanais, marocains et jordaniens. La majorité des États de l’Union européenne, le Japon, le Canada continuent d’appuyer implicitement ou explicitement l’implication des États-Unis dans cette crise.
[2] En mars dernier, le Canada a annoncé une contribution de 69 millions de dollars pour l’aide humanitaire coordonnée par l’ONU au Yémen. Cependant, le gouvernement Trudeau refuse de mettre fin au contrat de 15 milliards de dollars pour fournir à l’Arabie saoudite des de blindés de type LAV 6.0 (Light Armoured Vehicle).