Canada : punir les Palestiniens

Pierre Beaudet

Dans une de ses rares interventions sur des questions de politique extérieure, le chef conservateur Andrew Scheer s’est fait remarquer en préconisant une réduction drastique du budget dévolu à l’aide au développement. Il affirmait qu’il fallait couper les vivres aux « ennemis » du Canada, et cela incluait la Palestine. Comme Donald Trump, M. Scheer affirme qu’il faut cesser d’appuyer l’Agence des Nations-Unies sur la Palestine (UNWRA) qui intervient depuis 1952 auprès de 5,5 millions de réfugiés palestiniens partout dans la région. Les programmes de l’UNWRA incluent notamment des services sociaux et des programmes de santé et d’éducation pour plus de 1,4 réfugiés palestiniens dans la bande de Gaza. Ce sont essentiellement les descendants des 800 000 Palestiniens qui avaient été expulsés de leur pays lors de la guerre de 1948. Pour s’assurer qu’ils ne reviendraient jamais, les autorités israéliennes ont détruit des centaines de villages dont on trouve ici et là des vestiges, comme dans ce « Canada Park » non loin de Jérusalem. Malgré plusieurs résolutions de l’ONU, le droit au retour, reconnu dans les accords internationaux, n’a pas été respecté par Israël. Encore aujourd’hui, c’est ce qui explique la persistance d’immenses camps de réfugiés palestiniens dans les territoires occupés, au Liban, en Jordanie, en Syrie et ailleurs.

La disparition de l’UNWRA est réclamée par l’État israélien, avec l’appui des États-Unis. Le but recherché est de consolider l’occupation sur les territoires occupés et de rendre la vie impossible aux populations qui en subissent les conséquences. Déjà à Gaza, une grande partie de la population ne survit que grâce aux subsides de l’UNWRA, l’économie locale ayant été pratiquement anéantie par les guerres des dernières années. Gaza comme on le sait est une vaste prison à ciel ouvert où les Palestiniens ne peuvent ni sortir ni entrer et où la misère domine. En Jordanie et au Liban, plusieurs millions de réfugiés palestiniens subissent la discrimination, ne peuvent travailler dans plusieurs types d’emplois, et sont majoritairement confinés à des bidonvilles. C’est l’UNWRA qui maintient des services de santé de base et qui permettent aux enfants palestiniens d’aller à l’école. Dans l’optique de Trump et de Netanyahu, il faut en finir une fois pour toutes avec le « problème palestinien », ce qui implique de détruire les sources d’aide qui parviennent aux populations civiles.

Si le Parti conservateur est explicite pour appuyer cette stratégie, la situation n’est pas totalement nette du côté du Parti libéral du Canada. Certes, des porte-parole du PLC ont affirmé qu’un gouvernement Trudeau ne procèderait pas aux coupures envisagées par Scheer. Cependant, par rapport aux enjeux fondamentaux, on ne peut pas dire que le PLC se soit distingué des Conservateurs par rapport aux droits des Palestiniens. Le gouvernement Trudeau s’est déclaré contre la campagne de BDS animée par des ONG et des groupes de solidarité qui consiste à demander des sanctions économiques contre l’État israélien, un peu comme ce qui a été fait contre l’État sud-africain à l’époque de l’apartheid. C’est une campagne civile, dénuée de toute connotation violente, qui vient d’ailleurs de la population palestinienne (et non de l’Autorité Palestinienne ou des partis politiques) et qui prend de l’ampleur partout dans le monde. Les gouvernements des États-Unis et du Canada accusent BDS d’être « antisémite », alors que l’objectif est d’imposer à l’État israélien de négocier la paix avec les Palestiniens sur la base de leurs droits à l’autodétermination.

Ces dernières années sous plusieurs gouvernements canadiens (conservateurs ou libéraux), on a constaté que le Canada s’est porté en porte-à-faux avec l’opinion de la grande majorité des États membres de l’ONU, qui ont condamné l’expansion des colonies de peuplement israélien dans les territoires occupés (une autre violation à la légalité internationale), les violations des droits et les meurtres commis par l’armée israélienne contre des civils non-armés, l’incarcération des enfants palestiniens et d’autres mesures. Lors de plusieurs votes à l’Assemblée générale de l’ONU demandant à l’État israélien de cesser ses exactions, les représentants du Canada à l’ONU ont voté contre ou se sont abstenus.

Au total, la majorité des Palestiniens sont convaincus que l’État canadien n’est plus un interlocuteur objectif face aux confrontations qui se multiplient. Le fait que le Canada ait adopté un traité de libre-échange avec Israël sous le gouvernement libéral en 1997 (et qui vient d’être « modernisé » l’an passé) a confirmé cette opinion. Sous l’impact de ce traité, les échanges commerciaux entre les deux pays ont été triplés (pour atteindre 2 milliards de dollars en 2018). Encore récemment, le gouvernement Trudeau a annoncé qu’il interjetait appel d’une décision d’un tribunal interdisant la vente de vins de colonies israéliennes situées en Cisjordanie occupée et annoncés d’une manière malhonnête comme « Made in Israël », alors que plusieurs pays européens ont légiféré pour supprimer cette supercherie.

Dans un cas comme dans l’autre, les deux grands partis sont à peu près alignés de la même manière face à l’occupation israélienne des territoires palestiniens, en contradiction avec la légalité internationale.

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