10 ans de soulèvements au Machrek et au Maghreb 

Gilbert Achcar, synthèse d’une présentation faite au webinaire du réseau Marxist Humanists, 14 novembre 2020.

 

Selon Gilbert Achcar auteur de nombreux ouvrages et professeur à la School of Oriental and African Studies (SOAS) de Londres, la trame qui caractérise la vaste région du Maghreb-Machrek s’est mise au jeu dans les années 2010, avec la grande vague de mobilisations de masse. Six pays ont connu de véritables insurrections : l’Égypte, la Tunisie le Yémen, la Syrie, la Lybie, Bahreïn.

Selon Achcar cependant, l’expression « printemps arabe » a été utilisée d’une manière quelque peu simpliste : « cela pouvait donner l’impression qu’il y avait la possibilité d’une transition rapide et facile vers la démocratie ». Après le printemps, il y a l’inévitabilité de l’été, mais la métaphore ne convenait pas face à la crise politique d’une ampleur et d’une profondeur sans précédent. « La crise est en fait structurelle, globale ».

Ses racines se retrouvent dans la détérioration sociale et économique sans précédent qui dure depuis au moins deux décennies. « La grande région du Machrek-Maghreb connaît le plus faible taux de croissance économique dans le monde. C’est là où on retrouve le plus haut taux de chômage dans le monde. Les conditions ne cessent de se détériorer au niveau de la vie quotidienne. Les infrastructures sont disloquées. Ce n’est pas totalement différent de ce qui s’est passé dans le sud global, bien que cette région ait été encore plus durement affectée que les autres ».

Sans changements structurels radicaux, Achcar estime que la crise va continuer pendant encore longtemps. Une fois dit cela, il n’y a pas de chemin unidirectionnel, de voie tracée d’avance. « Maintenant qu’on parle d’un « hiver arabe » dans le sillon des dictatures qui tentent de reprendre le contrôle (en Syrie notamment), on tombe encore dans la facilité. En réalité, les mobilisations n’ont pas cessé et au contraire, ont connu un nouveau rebond au Soudan, en Algérie, au Liban et en Jordanie, et même, bien que sous des formes spécifiques en Iran, où on constate que la colère contre les régimes en place ne faiblit pas ».

Certes depuis le début de l’année, la situation a basculé avec la pandémie, le confinement, le chômage de masse et la mise en place de dispositifs répressifs au nom de l’urgence humanitaire, qui sont pensés pour supprimer la contestation populaire.

Au lieu de voir le phénomène des crises et des soulèvements d’une manière immédiatiste, il faut, selon Achcar, comprendre que les grandes mutations dans l’histoire ont toutes été marquées par des épisodes où dominent des élans révolutionnaires et des processus contre-révolutionnaires, influencés par de nombreux facteurs externes et internes.

« Dans la région qui nous intéresse explique Achcar, « les mobilisations ont été entravées par le déficit des organisations politiques et sociales qui, dans la plupart des cas (avec l’exception du Soudan), n’ont pu offrir une direction stratégique ».

Il faudra certainement plusieurs années et peut-être même quelques décennies avant que n’émerge un nouveau projet de société apte à surmonter la multi crise actuelle au Maghreb et au Machrek. La gauche dans la région et les progressistes qui l’appuient dans le monde doivent apprendre à vivre avec le « temps long » tout en intervenant là et comment elle peut pour aider à renforcer le mouvement populaire.