Catherine Pappas
En novembre dernier, Alternatives a eu 30 ans. Or, comment envisager cet anniversaire devant l’érosion du droit international, l’aggravation de la crise écologique et climatique et la montée des droites réactionnaires et xénophobes ? Y a-t-il lieu de célébrer au moment où les fondements mêmes du lien collectif et de notre humanité sont en jeu ?
Alternatives a vu le jour en 1994 dans un monde en plein bouleversement, sur fond de guerres, de génocide, d’occupation et d’une déferlante d’accords de libre-échange qui, malgré des promesses de prospérité, ont continué de précariser les droits sociaux et de creuser les inégalités. Si le démantèlement de l’Union soviétique annonçait déjà un tournant historique, Samuel Huntington avance, en 1996, sa thèse du choc des civilisations qui redéfinit la politique internationale sur des bases culturelles et une conflictualité irréductible. Mais cette période est aussi marquée par une effervescence de mouvements sociaux qui contestent l’ordre mondial. Partout sur la planète, des peuples et des militant·es altermondialistes, féministes, syndicalistes et écologistes — s’organisent pour résister aux injustices et aux dépossessions, aux structures patriarcales, à l’apartheid, à la militarisation et à la colonisation. De forums sociaux en contre-sommets, les luttes pour la paix, la justice sociale, les droits et l’égalité, portées par des groupes et des individus en Afrique du Sud et au Chiapas, en Palestine, en Inde, jusqu’au Brésil et en Argentine, scellent les bases de l’organisation et dictent ses grandes orientations.
En mars 1996, une déclaration adoptée par l’assemblée générale d’Alternatives affirme : « Les organisations populaires de la société civile — syndicats, groupes de défense des sans-emploi, des femmes, des jeunes, de l’environnement et des droits de la personne — sont absolument essentielles non seulement à la recherche d’un autre avenir pour la majorité de l’humanité, mais à la défense des droits sociaux les plus élémentaires. Dans ce contexte mondial, Alternatives ne peut que réaffirmer son caractère de mouvement de solidarité internationale qui se conçoit comme étant en même temps un élément actif du mouvement social ici au Québec. » Ce sont ces organisations populaires et ces mouvements qu’il faut continuer de célébrer aujourd’hui. Même si, depuis trente ans, les acquis nous paraissent fragiles, ils continuent d’inspirer de nouvelles mobilisations et d’imaginer les contours d’un monde plus juste.
Les victoires et les défaites ne sont jamais permanentes. Le chemin parcouru jusqu’ici a été jalonné d’échecs et de succès. C’est collectivement que nous avons su surmonter les écueils et que nous continuons de célébrer nos réussites. Notre force réside dans le réseau de solidarités que nous avons créé ensemble, tant à l’échelle locale que mondiale.
« Il est minuit moins cinq », aimait bien nous rappeler Pierre Beaudet, cofondateur et ancien directeur d’Alternatives qui nous a quitté·es en mars 2022. Alors que la planète semble enfermée dans une spirale sans issue de haine et de violence, le désespoir n’est pas une option. Devant les urgences qui nous interpellent, il faut continuer d’oser, de s’engager et de nouer des solidarités ici et ailleurs dans le monde.
Catherine Pappas travaille pour Alternatives.