Des Palestinien.nes quittent leur résidence lors de la Nakba en 1948 @Fred Csasznik Domaine public via Wikimedia Commons

Lettre ouverte du Collectif Échec à la guerreJean Baillargeon, Judith Berlyn, Martine Eloy, Mouloud Idir-Djerroud, Raymond Legault, Suzanne Loiselle, à l’occasion de la commémoration du 75e anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH) et avant que le Canada décide d’appeler à un «cessez-le-feu humanitaire».

Le 10 décembre 1948, l’Assemblée générale des Nations Unies proclamait la Déclaration universelle des droits de l’Homme (DUDH) en tant qu’«idéal commun à atteindre par tous les peuples et toutes les nations». La même année, des milices juives avaient chassé environ 750 000 Palestinien.nes de leurs foyers, soit plus de 80 % de ceux qui vivaient alors dans les territoires qui allaient devenir l’État d’Israël. Depuis, ni ces réfugié.es ni leur descendance n’ont pu exercer leur droit au retour, comme stipulé par la résolution 194 de l’Assemblée générale des Nations Unies, le 11 décembre 1948. C’est ce que les Palestinien.nes appellent la Nakba (la catastrophe). Soixante-quinze ans plus tard, «l’idéal commun à atteindre» est toujours aussi illusoire pour le peuple palestinien alors qu’une seconde Nakba s’abat maintenant sur eux.

Une deuxième Nakba

Cette fois-ci, ce sont 1,9 million de personnes, soit plus de 80 % de la population de Gaza, qui ont dû fuir leurs foyers en raison des bombardements et des ordres d’évacuation de l’armée israélienne et qui survivent dans des conditions indescriptibles de surpeuplement et d’insalubrité, manquant de tout par suite du blocus total imposé par Israël. Après une semaine de trêve ayant permis l’échange de prisonniers, l’armée israélienne intensifie maintenant ses bombardements sur le centre et le sud de la bande de Gaza. Mardi, le 5 décembre, alors que le premier ministre israélien, Benjamin Nétanyahou, s’en félicitait («Aujourd’hui, nous avons agi avec une puissance immense»), le Dr. Richard Peeperkorn, responsable de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) dans les Territoires occupés, disait que «Beaucoup de gens sont désespérés et presque en état de choc permanent». «Nous sommes proches de l’heure la plus sombre de l’humanité». Depuis plusieurs jours, Israël enjoint maintenant les Gazaouis de se déplacer à nouveau, cette fois-ci vers Rafah, tout au sud de la bande de Gaza, à la frontière égyptienne. Avant leur expulsion finale vers l’Égypte?

Depuis des décennies, l’extrême droite israélienne aspire à l’expulsion de toute la population palestinienne non seulement des Territoires occupés (bande de Gaza et Cisjordanie), mais aussi d’Israël comme tel. Ce courant idéologique est maintenant au pouvoir en Israël et les attaques du Hamas, le 7 octobre dernier, lui ont fourni le prétexte idéal pour «finir le travail» de 1948. De nombreux dirigeants politiques et militaires israéliens ont multiplié les déclarations assimilant la population palestinienne à des «animaux humains» ou des «nazis» et annonçant une destruction massive («il n’y aura que de la destruction. Vous vouliez l’enfer, vous l’aurez»). Le 30 octobre 2023, le magazine israélien +972 a rendu public un document du ministère du renseignement qui recommandait d’utiliser la guerre pour expulser toute la population de Gaza vers le Sinaï égyptien de façon permanente.

De nombreux experts parlent de génocide

Dès le 13 octobre 2023, les organisations palestiniennes de défense des droits de l’homme ont lancé un appel aux États tiers à intervenir d’urgence pour protéger le peuple palestinien contre un génocide. Le même jour, Raz Segal, historien israélien et professeur associé en études de l’Holocauste et des génocides a publié un article dans le revue Jewish Currents intitulé «Le parfait exemple d’un génocide». Puis les mises en garde dans le même sens se sont accumulées. Près de 800 experts et praticiens en droit international, en études des conflits et en études des génocides ont signé un appel intitulé «Des universitaires mettent en garde contre un éventuel génocide à Gaza» (15 octobre). Craig Mokhiber, directeur du bureau new-yorkais du Haut-Commissariat des droits de l’homme à l’ONU, a démissionné de son poste en écrivant «Une fois de plus, nous assistons à un génocide qui se déroule sous nos yeux et nous sommes impuissants à l’arrêter» (28 octobre). Une quarantaine d’experts universitaires ont publié une «Déclaration d’experts internationaux sur les crimes d’État israéliens» qualifiant la violence infligée actuellement à Gaza de «phase d’anéantissement du génocide» (10 novembre). Plus d’une vingtaine de rapporteurs spéciaux des Nations Unies ont affirmé : «Les graves violations commises par Israël à l’encontre des Palestiniens au lendemain du 7 octobre, en particulier à Gaza, indiquent qu’un génocide est en cours» (16 novembre).

Pendant que le Canada regarde ailleurs

Si prompt à dénoncer toute violation du droit international par la Russie dans sa guerre en Ukraine, le Canada refuse de condamner Israël pour la mort de près de 18 000 civils (40 % sont des enfants), dont 56 journalistes et employé.es palestiniens des médias, 250 travailleurs et travailleuses de la santé, 130 employées des Nations Unies, etc. Aucune condamnation non plus, pour les nombreux bombardements d’écoles, d’hôpitaux, de mosquées, d’églises, de quartiers résidentiels entiers, d’abris de l’ONU, ni pour le blocus israélien touchant la nourriture, l’eau potable, les médicaments vitaux, le carburant et les communications.

Alors que de nombreux experts ont lancé l’alerte concernant ce qui se déroule présentement à Gaza, le Canada, en tant qu’État parti à la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, a la responsabilité de prévenir le génocide et de sanctionner les personnes qui en sont coupables.

Aux antipodes de ce devoir, le Canada pousse plutôt son «amitié» avec Israël jusqu’à la complicité dans le crime ultime. D’abord en invoquant, dans les circonstances, le «droit d’Israël de se défendre» et en continuant à lui vendre des armes! Ensuite, en favorisant la poursuite du crime par son opposition à tout cessez-le-feu. Tout au plus, demande-t-il une «pause humanitaire significative». Après quoi le génocide se poursuivra?

Les multiples crimes contre l’humanité et l’entreprise génocidaire actuelle de l’État d’Israël doivent cesser. La honteuse complicité de l’État canadien aussi!