L’arrogance des États-Unis envers les Palestiniens se retournera contre eux.
Marwan Bishara, Al Jazeera, 28 janvier 2020
L’arrogance des États-Unis envers les Palestiniens finira par se retourner contre eux.
Dans une célébration surréaliste à la Maison Blanche, l’administration Trump a finalement levé le rideau sur l’acte final de sa diplomatie au Moyen-Orient en révélant le « plan de paix » parait-il tant attendu.
J’admets d’emblée que je ne peux pas écrire à ce sujet en restant impassible, compte tenu de l’absurdité des trois dernières années de la politique de Trump en rapport avec Israël et la Palestine.
Parler de « plan de paix » revient à dénigrer encore plus le fameux « processus de paix » et ses nombreux « plans de paix » ratés. Il est à ce point pire que tout qu’un meilleur qualificatif serait uen « attaque contre la paix ».
Tout dans ce plan est grotesque.
Son nom pompeux, l’ « Accord du siècle »… Son auteur complètement nul et incapable, Jared Kushner, un fanatique partisan sioniste des colonies israéliennes illégales sur les terres palestiniennes. Son introduction, « lorsque l’humiliation ne fonctionne pas, plus l’humiliation sera »… Son cadrage bizarre comme une célébration amoureuse entre la droite américaine et israélienne… Et sa substance qui défie le sens commun et punit les victimes tout en récompensant les agresseurs.
Au cours des trois décennies de « processus de paix » sous la houlette des États-Unis, les administrations successives ont au moins fait semblant de faire participer, consulter ou écouter la partie palestinienne, même lorsqu’en fait, elles ne faisaient que tenir compte de l’avis d’Israël.
Mais depuis qu’elle occupe la Maison Blanche, l’administration Trump a, sur les conseils de Netanyahu, agi sans honte pour priver définitivement les Palestiniens de leur participation aux négociations, et les priver de leur terre, de leur liberté et de leur dignité.
Et aujourd’hui, l’administration Trump, en totale complicité avec le gouvernement Netanyahu, retourne aux causes profondes du conflit en Palestine, les reconditionne et les présente comme une solution permanente.
Un théâtre de l’absurde
Le diable n’est pas dans les détails mais dans les gros titres de l’initiative de Trump.
Donc, pour résoudre le problème des colonies israéliennes illégales sur les terres palestiniennes occupées, Trump veut qu’elles soient « légalisées » et reconnues comme faisant partie d’Israël.
Pour résoudre le problème de l’annexion illégale par Israël de Jérusalem occupée, Trump veut qu’elle soit reconnue comme seule et unique capitale d’Israël.
Pour traiter la question des réfugiés palestiniens et de leur droit inaliénable au retour et à l’indemnisation, Trump veut interdire définitivement leur retour.
Pour résoudre le problème du contrôle israélien violent, répressif et inhumain sur les Palestiniens, Trump veut que cela se prolonge indéfiniment. Même une fois que les Palestiniens auront satisfait à toutes les nouvelles conditions qui leur seront imposées, ils resteront à la merci des forces d’occupation israéliennes.
Le plan de Trump piétine la résolution 242 du Conseil de sécurité des Nations Unies, qui oblige Israël à retourner à ses frontières de 1967 (ou à une place approchée, selon les initiatives américaines passées), et redessine les frontières pour s’adapter aux colonies israéliennes et faciliter son contrôle répressif.
Au lieu de mettre fin au système d’apartheid d’Israël en Palestine, Trump veut le voir perdurer sous un nom différent, au moins jusqu’à ce que sa promesse d’un « État » palestinien provisoire soit tenue : un État qui n’aura ni souveraineté ni indépendance.
Pour résumer, Trump envisage la moitié d’un État palestinien sur la moitié de la Cisjordanie, mais seulement après que les Palestiniens auront combattu le « terrorisme » [la résistance palestinienne] et reconnu Israël comme un État exclusivement juif s’étendant sur environ 90% de la Palestine historique.
L’adhésion de Trump au système d’apartheid en Terre sainte, en tant que prétendue condition préalable et indispensable à la « paix » et à la stabilité, ajoute l’insulte au préjudice palestinien.
Et pour ne rien oublier, l’administration Trump a déjà fermé le bureau de l’Organisation de libération de la Palestine à Washington, suspendu l’aide à la Palestine, transféré l’ambassade des États-Unis à Tel Aviv à Jérusalem et effacé la reconnaissance américaine de la question des réfugiés en suspendant tous les financement de l’UNRWA, l’Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient.
L’escroquerie derrière la farce
Les générations futures ne se souviendront probablement de rien du plan de 80 pages de Trump, mais elles se souviendront du feuilleton derrière le « Deal du siècle »: comment un semi-adulte inexpérimenté mais ambitieux nommé Jared a su manipuler son beau-père, le puissant Président US, pour aider le tricheur de Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu à rester au pouvoir, et aider Israël à conserver tout ce qu’il a gagné illégalement par la guerre et la violence.
Si Jared ne peut pas résoudre l’énigme du Moyen-Orient, a fait remarquer Trump le mois dernier, personne ne le peut. Il a vraiment dit ça ! Une gifle à la figure d’innombrables diplomates américains capables.
En tout cas, personne ne croit vraiment que Trump puisse agir de manière délibérée, équitable ou altruiste. Personne. Je suppose que même pas le président lui-même.
Aucune personne raisonnable ne pense non plus que le rusé M. Netanyahu n’est pas un tricheur et un escroc – certainement pas le propre procureur général d’Israël, qui l’a inculpé de fraude quelques semaines seulement avant que la Chambre des représentants des États-Unis ne vote la destitution de M. Trump pour abus de pouvoir.
Quel beau couple ils font ! Quel compétition !
Netanyahu a évidemment beaucoup à gagner, mais qu’en est-il pour Trump ?
Le président est clairement à la recherche des voix des chrétiens évangéliques, surtout après que certains l’ont critiqué récemment; et bien sûr, il recherche le soutien de riches sionistes extrémistes comme Sheldon Adelson.
Et Trump est apparemment en train de laisser flatter son ego – ce qui peut-être est un piège – par les évangéliques radicaux et les sionistes qui l’ont désigné comme un messie juif, destiné à sauver non seulement le peuple juif mais le monde entier.
Être un messie, c’est certainement être un lauréat du prix Nobel de la paix. La bague en est plus jolie.
C’est donc l’opportunisme, le populisme et le cynisme qui sont tous réunis dans un même prétendu « accord », alors que Trump sacrifie tout ce qui reste de la crédibilité américaine sur la scène internationale pour obtenir un deuxième mandat – et Netanyahu un quatrième.
En effet, comme l’a fait remarquer un éminent ancien diplomate américain, jamais un président américain n’a concédé à un dirigeant étranger autant, aussi rapidement, pour si peu en retour, jusqu’à ce que le soi-disant « grand faiseur de paix » apparaisse sur la scène.
Et donc la farce continue : le mensonge évident, la complicité évidente, la tromperie éhontée – et les conséquences désastreuses.
L’ensemble est tellement scandaleux que même les principaux responsables et diplomates sionistes américains, qui ont longtemps défendu le soutien inconditionnel d’Israël, se sentent mal et un peu anxieux face au plan « désastreux » de Trump.
C’est aussi tragique que risible. Mais cela se révélera aussi dangereusement déstabilisateur pour la région et la présence américaine.
L’arrogance avant la chute
L’administration Trump mise sur les régimes arabes les plus faibles ou les plus cyniques pour soutenir et financer son plan malgré ses criantes injustices.
C’est pourquoi le plan s’inspire, du moins structurellement, de la feuille de route de l’administration Bush pour la paix de 2003, conçue après l’invasion et l’occupation américaines de l’Irak pour garantir la suprématie israélienne et le soutien arabe.
Comme Trump et Netanyahu, le président George W. Bush – en complicité avec le Premier ministre israélien de l’époque, Ariel Sharon – avait également envisagé un pseudo-État palestinien sous la forme d’une vague autonomie, quelque part au bout d’une longue route d’humiliation et de concessions palestiniennes.
C’était le genre d’appât nécessaire aux dirigeants arabes et européens pour justifier leur soutien – ou du moins leur non-rejet du plan. Et c’est le genre de combine qui a permis à Sharon de se prétendre modéré et adepte des concessions face à l’opposition de ses colons fanatiques.
Bush espérait que le dirigeant palestinien Yasser Arafat serait parti avant d’en arriver aux phases finales, et remplacé par un Mahmoud Abbas plus conciliant.
Aujourd’hui, Trump espère voir Abbas, âgé de 84 ans et maintenant considéré comme un obstructionniste, également disparu de la scène et remplacé par quelqu’un de plus réceptif aux diktats américains.
Mais Trump a été trompé s’il pense que si les États-Unis ne pouvaient pas supprimer complètement les Palestiniens, au moins ils pourraient les soudoyer avec de l’argent arabe.
L’année dernière, le sommet de Kushner à Bahreïn a été réuni pour ouvrir la voie à ce type d’investissement dans le Golfe, dans le cadre de son « accord du siècle ».
Des milliards de dollars peuvent acheter à l’administration Trump un certain répit et permettre un certain effet de levier, mais ce sera de courte durée, comme cela a déjà été prouvé dans la passé avec ce genre de pots-de-vin.
Tôt ou tard, le plan Trump finira au même endroit que le plan Bush : dans les poubelles de l’Histoire.
Les dictateurs arabes assujettis aux États-Unis finiront par tomber, mais les peuples résisteront et il n’y aura pas de pardon pour l’arrogance américaine et israélienne. Leur fureur refoulée explosera à la première occasion.
Donc, avant que le président Trump ne se sente trop à l’aise dans sa nouvelle fonction de messie, il devrait se familiariser avec cette sagesse biblique de base : l’arrogance mène à la chute.