Brésil : les favelas face aux coronavirus

Agostinho Vieira, L’Autre Brésil 17 mars 2020

Sur la planète, dix épidémiologistes sur dix affirment que la première des choses à faire pour éviter la contamination par le virus Covid-19, plus connu sous le nom de nouveau coronavirus, est d’éviter tout regroupement. D’où les annulations en série des matchs de football, de basket-ball, des concerts, des congrès et la suspension des cours dans les écoles et les universités. Même la saine habitude d’aller au cinéma est devenue un programme à risque. Mais que se passe-t-il lorsque vous vivez 365 jours par an dans une fourmilière ?

C’est la réalité des favelas de Rio et d’autres États, tels que les quartiers de Rocinha, de Maré, Casa Amarela et Paraisópolis. L’Institut Brésilien de Géographie et Statistique (IBGE) catégorise ces zones des villes comme des « agglomérations anormales », faute, dans la plupart des cas, de conditions minimales de logement, d’assainissement et de santé.

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Que se passe-t-il si l’on couple les caractéristiques d’une « agglomération anormale » aux particularités d’un nouveau coronavirus extrêmement contagieux et se propageant très rapidement ? Pour le médecin Valcler Rangel de Fiocruz, il s’agit d’une bombe à retardement qui doit être désamorcée rapidement. Il défend l’équité dans les mesures de prévention et de contrôle du nouveau coronavirus, en traitant différemment les personnes et les lieux qui sont différents : « Beaucoup des mesures adoptées ou recommandations, toutes correctes, ne sont pas adaptées à ces populations qui vivent dans les favelas de Rio ou de São Paulo, par exemple. S’essuyer les mains avec du gel à l’alcool, utiliser des mouchoirs en papier, isoler les malades dans une des pièces de la maison… Comment mettre en quarantaine des maisons d’une seule pièce, avec plusieurs résidents qui y vivent et où souvent il n’y a même pas de salle de bain ? », demande le Dr Valcler.

Le raisonnement de l’expert de Fiocruz est relativement simple et évident. Comme ces agglomérations rassemblent des milliers de personnes vivant dans des conditions « anormales », pour utiliser le terme de l’IBGE, les probabilités de prolifération d’un virus aussi agressif que le Covid-19 sont immenses : « Il n’est pas encore possible de dire comment le nouvau coronavirus se comportera au Brésil, et, même s’il ne faut pas semer la panique, il est également certain que la population la plus pauvre sera plus touchée que la population de la classe moyenne. », explique-t-il. Une enquête récente a montré que dans le seul quartier de Maré, où se trouve la Fiocruz, on compte plus de 10 000 personnes âgées (de plus de 65 ans). C’est la tranche d’âge qui court le plus de risques avec le nouveau coronavirus.

Parmi les mesures suggérées par le médecin figurent l’abrogation de l’Amendement 95/2016 à la Constitution, qui limite les dépenses du gouvernement, et le déblocage immédiat de 5 milliards de réaux (USD 5 milliards) au profit du Système universel de santé (SUS) : « Nous vivons un moment exceptionnel et nous avons besoin de mesures exceptionnelles. » Il recommande fortement de mettre l’accent sur ces communautés, en augmentant le nombre de visites des agents de santé, en identifiant les zones à risque, en augmentant le nombre de lits et en accordant une certaine priorité de soins SUS aux personnes vivant dans ces quartiers urbains :

« Lorsque le gouvernement décide de suspendre les cours, par exemple, il augmente d’autant les regroupements d’élèves et les risques de contamination dans les quartiers des bidonvilles. »

Valcler Rangel rappelle que plusieurs autres maladies virales sont encore fortement présentes au Brésil et dans les favelas, telles que la dengue, le chikungunya, le zika et la rougeole. Cela complique encore plus la situation. À Rocinha, on enregistre encore les taux records de tuberculose au Brésil. Selon l’OMS, il y a plus de 300 cas de tuberculose pour 100 000 habitants, un indice 11 fois plus élevé que la moyenne nationale. C’est un indicateur de plus de l’inégalité dans nos villes, qui pourrait devenir encore plus évidente maintenant à cause d’un virus importé de Chine.