Antoine Perraud, Médipart, publié le 18 mai 2020
En février dernier, paraissait un texte passé relativement inaperçu, du fait de la pandémie : Second manifeste convivialiste. Pour un monde post-néolibéral (Actes Sud). Sachons ne pas perdre de vue que « le triomphe du capitalisme rentier et spéculatif doit être compris comme l’aboutissement et le point culminant d’une aspiration de l’espèce humaine à la démesure ». Le premier Manifeste convivialiste (Éditions du bord de l’eau), en 2013, autour de la Revue du MAUSS (Mouvement anti-utilitariste en sciences sociales) et du sociologue Alain Caillé, s’interrogeait déjà : « Comment faire obstacle à l’accumulation de la puissance, désormais illimitée et potentiellement auto-destructrice, sur les hommes et sur la nature ? »
Parmi les signataires, une économiste de Toulouse, Geneviève Azam. Membre d’Attac, elle collabore à Politis et à la revue d’écologie politique Terrestres. Elle publie des livres qui donnent à réfléchir : Le Temps du monde fini, vers l’après capitalisme, ainsi que Osons rester humain : les impasses de la toute-puissance (Les Liens qui libèrent, 2010 et 2015). Ou récemment : Lettre à la Terre (Le Seuil, collection « Anthropocène », 2019). Enfin, elle prépare pour septembre une édition augmentée d’un essai écrit avec François Valon : Simone Weil ou l’expérience de la nécessité (Le Passager clandestin, collection « Les précurseurs de la décroissance », 2016).
Geneviève Azam n’avait pas encore été interrogée par Mediapart. Nous avons voulu rectifier cette anomalie en partant de sa lecture avisée d’un penseur trop ignoré en France : Karl Polanyi, né à Vienne en 1886, émigré dans les années 1930 en Angleterre, puis aux États-Unis d’Amérique et enfin au Canada, où il est mort en 1964. Polanyi était à la fois économiste, historien, sociologue et anthropologue. Nous lui devons un livre prophétique – il sert de fil rouge à cet entretien : La Grande Transformation.
Que vous inspirent les réflexions qui fleurissent sur le monde d’après ?
Geneviève Azam : Un monde d’après y aura-t-il ? Ou plus exactement le monde d’après ne sera-t-il pas le monde de la pandémie ? La tentation de tourner la page plutôt que de faire face et traverser ce qui arrive, notre présent, existe. L’arrêt brutal d’une part majeure de ce monde n’est pas une panne, un accident de parcours. Puisse-t-il être un choc de réalité, à éprouver et comprendre.
Pendant ce temps du confinement, j’ai été conduite à visiter à nouveau les débats des années 1930. Non pas pour trouver une analogie entre la situation présente et celle de la crise de 1929, ce sont des situations différentes. Toutefois, si ce virus et sa propagation sont le symptôme d’un effondrement des promesses de la société globalisée, les années 1930 furent aussi celles du libéralisme économique et de l’effondrement du principe du marché autorégulateur.
Dans cette optique, il existe une lecture inépuisable, que j’aborde depuis une vingtaine d’années : La Grande Transformation. Aux origines politiques et économiques de notre temps, de Karl Polanyi. Ce livre essentiel a été publié à Londres en 1944 et seulement traduit chez nous en 1983. L’auteur y montre comment le XIXe siècle se caractérise par le mouvement du credo libéral, fondé sur le principe d’un marché autorégulateur, du laisser-faire et du libre-échange. Ce mouvement a transformé, radicalement, les sociétés. De par sa prétention à l’autonomisation de la sphère économique, c’est-à-dire à la séparation de l’économie et de la société ; à son « désencastrement ».
De tels principes furent institués par les États. Cet interventionnisme libéral a permis que tout puisse devenir marchandise, en particulier le travail et la nature, alors qu’ils n’ont pas été produits pour être vendus, qu’ils sont des marchandises fictives. Or, selon Polanyi, la pleine réalisation de cette « utopie macabre » transformerait le monde en désert car c’est la substance même de la société qui serait subordonnée aux lois du marché et du capitalisme.
Dans la deuxième moitié du XIXe siècle, un tel processus a suscité des contre-feux spontanés, hétéroclites : un mouvement de protection de la société contre cette « fabrique du diable ». Le « désencastrement » de l’économie menait à cette autonomie d’un grand marché affranchi des règles et des lois, capable de produire le Bien, écrivait Adam Smith, et tournant le dos à la morale et à l’éthique. Ce fut un échec : « Avec le libre-échange, les nouveaux et terribles risques de l’interdépendance planétaire on éclaté. »[1] La Première Guerre mondiale signe, pour Polanyi, le début de l’effondrement du libéralisme économique.
Karl Polanyi lit l’histoire des années 1930, après la crise de 1929, comme des tentatives de réencastrement de l’économie, pour le meilleur et pour le pire. C’est la Grande Transformation. Pour le pire : l’expérience fasciste, en particulier nazie, se caractérise, selon lui, par l’absorption de la sphère économique par la sphère politique et par l’abolition de la démocratie politique. C’est l’état corporatiste, dans lequel les humains sont considérés seulement comme des producteurs, où la représentation est technique et professionnelle. Cette fusion est caractéristique des États totalitaires, comme l’indiquait alors le totalitarisme soviétique, sur lequel Polanyi ne nourrissait alors aucune illusion. Pour le meilleur : avec toutes leurs limites, ce furent le keynésianisme et la Nouvelle Donne (New Deal) rooseveltienne. C’est-à-dire une régulation du marché par l’État : une protection sociale, l’ébauche de l’État-providence.
Or, sous nos yeux, ne voyons-nous pas se dessiner l’effondrement du néolibéralisme, de la globalisation, de ce nouveau mouvement de désencastrement à la puissance dix provoqué par les politiques néolibérales depuis plus de 40 ans ? Ne voyons-nous pas, en sens contraire, diverses tentatives de réencastrement ? Le Green New Deal aux États-Unis, les espoirs d’une transition sociale et écologique. Ainsi que les appels à une relocalisation des activités dans toutes ses versions, souverainistes et concurrentielles, ou coopératives et solidaires. Cela va en effet des resucées fascisantes, sinon fascistes, à une amplification des mouvements sociaux et des expériences alternatives de relocalisation des sociétés – il s’agit là d’un courant altermondialiste, qui trouve son origine dans la contestation de l’Organisation mondiale du commerce, dès les années 1990.
Le tout sur fond d’effondrement de la promesse néolibérale de paix mondiale, de prospérité, de santé et d’espérance de vie infinie, de village planétaire et de monde unique. Le meilleur, comme le pire, se présente à nouveau. Avec une nouvelle donnée, majeure, la catastrophe écologique, qui interroge non seulement le libre-échangisme mais le productivisme et l’économisme.
En quoi Polanyi aide-t-il à penser de telles vicissitudes ?
Précisons d’emblée que Polanyi s’est trompé quand il a pensé, en 1944, avec les espoirs de l’État-providence, qu’il en était fini du dogme libéral. Il n’a pas vraiment participé aux débats liés à l’émergence d’un courant néolibéral, qui prend aussi sa source dans cette période. Sa controverse avec Ludwig von Mises et son étudiant Friedrich Hayek, qui publie également en 1944 son ouvrage La Route de la servitude, s’arrête assez rapidement, dans la mesure où il pense que le dogme libéral est mort après la Seconde Guerre mondiale.
Polanyi fut autant critique de la construction du marché libéral que de l’économisme. C’est la raison majeure de sa distance d’avec Marx. Il a cependant lui-même sous-estimé le poids de l’économisme, qui a triomphé pendant les Trente Glorieuses, au point de certainement préparer la soumission des États à l’impératif économique. Son intuition du sacrifice de « l’habitation au profit de l’amélioration », habitation de la terre et du monde, a trouvé sa pleine expression dans cette période.
Si son analyse du marché du travail a été largement étudiée, ce n’est pas le cas de cette autre marchandise fictive, qu’il nomme, indistinctement, la terre ou la nature. Son analyse tourne autour d’une telle dépossession de la nature et de la terre, tout en soulignant comment les sociétés tentent de se protéger face aux saccages et à la confiscation. Le chapitre 15 de La Grande Transformation, « Le marché et la nature », peut-être le plus prophétique, commence par ce paragraphe lumineux : « Ce que nous appelons la terre est un élément de la nature qui est inextricablement entrelacé avec les institutions de l’homme. Le plus étrange de toutes les entreprises de nos ancêtres a peut-être été de l’isoler et d’en former un marché […]. La vie et la nature forment un tout qui s’articule. »[2] C’est d’avoir oublié ce tout qui s’articule, et d’avoir détruit des barrières protectrices, qui nous met face à des événements inédits. C’est ce qui menace la pérennité de la vie.
Karl Polanyi, comme Karl Marx au siècle précédent, part du mouvement des enclosures, qui, en Angleterre, surtout à compter des XVe et XVIe siècles, privatise les terrains communaux et chasse les paysans de telles ressources partagées tout au long du Moyen-Âge. La Grande Transformation résume près de cinq siècles de subordination de la planète aux besoins d’une société industrielle naissante puis triomphante : « La première étape a été la commercialisation du sol, mobilisant le revenu féodal de la terre. La deuxième a été la production forcée de nourriture et de matières premières organiques pour répondre aux besoins d’une population industrielle en croissance rapide à l’échelle nationale. La troisième a été l’extension de ce système de production de surplus aux territoires d’outre-mer et aux territoires colonisés. Ce dernier pas a finalement fait rentrer la terre et ses produits dans le plan d’un marché autorégulateur mondial. »[3]
Son analyse du contre-mouvement de protection, au XIXe siècle et après, m’apparaît particulièrement éclairante. La classe ouvrière était majoritairement acquise au libre-échange, en ce qu’il permettait la baisse du prix des produits agricoles et alimentaires. Les paysans qui résistaient étaient renvoyés à la Réaction, avec le clergé et l’armée. Victimes du préjugé moderne de l’abrutissement dans la vie des champs, les paysans et le protectionnisme agrarien étaient coupé de la classe ouvrière : ils ont souvent servi de base aux classes féodales ventant les « vertus de la terre », contre l’idéal socialiste. Aujourd’hui, de nombreux mouvements paysans, à l’échelle du monde, ont renversé une telle perspective.
Urgence écologique et sociale
Nous faut-il aujourd’hui penser à partir de ce qui regimbe et cherche à se protéger dans les sociétés ?
Exactement, mais il y a protection et protection. L’exaltation des racines et le salut dans une prétendue souveraineté nationale absolue ne sauraient passer pour des vertus polanyiennes. Quand il rédige La Grande Transformation, en Angleterre, il a pris connaissance d’un document publié en novembre 1942 : le fameux rapport de l’économiste William Beveridge sur la Sécurité sociale, commandé dès 1940 par le ministre du travail, le travailliste Ernest Bevin. Ce texte allait donc servir de socle à l’État-providence mis en place au Royaume-Uni à partir de 1945, une fois que Clement Attlee aura succédé à Winston Churchill au 10 Downing Street.
Un tel texte s’inscrit dans le sillage des lois sociales de la deuxième moitié du XIXe siècle que les sociétés capitalistes ont instituées pour limiter les ravages du marché libre, pour se « protéger de la fabrique du diable », comme l’écrit Karl Polanyi – influencé par les valeurs chrétiennes. Il était une sorte de chrétien socialiste, qui n’avait pas la prétention de mettre de côté ses jugements de valeur. En ce sens, son livre n’est pas « scientifique » et s’assume comme tel.
Son apport, aujourd’hui, ne consiste-t-il pas à nous alerter sur une notion que la pandémie de Covid-19 nous a fait redécouvrir : la progression exponentielle ?
La croissance exponentielle, des nuisances désormais, devrait nous défaire d’une vision rassurante d’un prétendu progrès linéaire qui ne pourrait qu’améliorer le sort de l’humanité. Toutefois, une telle prise de conscience manquait peut-être d’incarnation. Le virus nous a forcés à vivre une expérience globale et métaphorique des désastres exponentiels à l’œuvre, qui nous menacent tous autant que nous sommes : le dérèglement climatique, la destruction des milieux de vie ou la raréfaction des ressources. Les courbes nous parlent désormais davantage et avec force, alors que celles de la pollution, par exemple, laissaient de marbre un grand nombre de gens jusqu’à présent. La pandémie est l’expérience vécue, jusque dans l’intime, d’un dérèglement social et écologique global.
Peut-il y avoir une pédagogie de la catastrophe ?
Je l’espère, mais je n’en suis pas certaine. Nous ne sommes pas sortis de la pandémie, ni de ses conséquences – peut-être entrons-nous dans un processus d’effondrement plus global. L’avenir est largement imprévisible. Cette pandémie ne doit donc pas être vécue comme une péripétie mais comme une expérience à même de nous interroger. Exactement comme après le trauma de la Première Guerre mondiale, qui avait poussé Polanyi et d’autres à réfléchir, dans le sillage du Paul Valéry de La Crise de l’esprit (1919) : « Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles. »
Cela n’a pas empêché les Années folles. Pas plus que Fukushima n’a remis en cause le nucléaire ni prévenu le Japon de fuir dans le déni – jusqu’à se poser en vitrine avec l’organisation, désormais plus que compromise, des Jeux olympiques de l’été 2020.
Néanmoins, les prises de conscience obéissent, elles aussi, à des rapports de force. Et ce qui nous arrive avec la pandémie oblige à réfléchir, à partir d’expériences locales, à l’échelle globale, au lieu d’oublier au plus vite une catastrophe localisée, exotisée, maintenue à distance. Nous sommes en mesure, aujourd’hui, de traverser ce qui est présent, avec ses turpitudes, ses angoisses, mais également ses belles expériences.
Ses belles expériences ?
Oui. Par-delà ce discours sur la guerre et l’ennemi invisible, anti-pédagogique au possible – le virus n’est ni ami, ni ennemi, il fait partie de la toile du vivant –, par-delà ce discours qui favorise le chacun pour soi dans un sauve-qui-peut général – ce qu’ont du reste pratiqué les États eux-mêmes et l’infime couche des privilégiés qui assurent leurs arrières dans des îles privées ou non –, il y a eu des expériences de solidarité exceptionnelles. S’il y a une guerre, c’est celle menée, depuis plusieurs décennies, au vivant, humain et autre qu’humain. Les réflexes d’entraide sont étrangers à l’imaginaire néolibéral, saturé de l’exaltation de la concurrence et de la guerre de tous contre tous. Eh bien cela ne s’est pas passé ainsi, en dépit des récits déjà enclenchés sur les sauvages prêts à en découdre dans les cités en ébullition, tandis que le reste de la population serait enfermée le nez sur l’ordinateur et sans souci d’autrui !
À Toulouse, j’ai vu se mettre en place un système d’entraide pour secourir des sans-abri, des personnes seules, des migrants, des squatteurs. Non pas de rares initiatives jugées dérisoires et relevant de la charité privée, mais une solidarité collective, avec des communautés extraordinaires qui surgissent aussi de tels événements. 630 groupes locaux, réunis dans Covid Entraide, ont collecté, trié, distribué. Du gel, des vêtements et ensuite de quoi se nourrir : regrouper les productions de la terre, en liaison avec des initiatives paysannes et en association avec des commerces, fermés mais offrant leur coopération.
Nous avons vu se développer l’interdépendance, la réciprocité, la mutualité, la fraternité et la sororité, à l’inverse d’une forme guerrière attribuée aux « survivalistes » d’outre-Atlantique, dont certains médias font souvent leurs choux gras. Nous n’étions pas dans l’habituel « chacun pour soi » en vue d’écraser l’autre. Il faut développer ces gestes et changer d’échelle. Quels que soient les vents contraires.
Par vents contraires, entendez-vous par exemple le biopolitique, dont parlait Michel Foucault, qui étend son pouvoir jusqu’à la vie et à la santé de citoyens redevenus sujets ?
La peur et le besoin d’un abri sûr peuvent certes pousser à accepter un ordre sécuritaire consenti en termes de santé. C’est une voie de sortie privilégiée par certains pouvoirs, qui misent sur le contrôle des populations grâce à l’intelligence artificielle. La crise profonde du néolibéralisme peut lui laisser entrevoir, pour seule échappatoire, le contrôle biopolitique des populations.
On retrouve ici la réflexion de Karl Polanyi à partir de ce moment crucial de l’entre-deux-guerres, quand la démocratie s’avère contradictoire d’avec le capitalisme, au point que celui-ci soutient les expériences fascistes. Aujourd’hui, le pouvoir absolu dévolu aux experts est une négation de l’intelligence collective – « les gens ne comprennent pas » –, donc de la démocratie. Or nous retrouvons ces résistances spontanées, qui se manifestent depuis la fin des enclosures en Angleterre : la communauté hospitalière s’est reformée et elle a tenu – des hiérarchies ont même sauté –, contrairement à tous les discours catastrophistes hantés par le crash test.
Nous avons assisté, pendant la pandémie, à la grande faille de la pensée néolibérale, pour laquelle chacun n’agit que par intérêt personnel. Nous avons au contraire constaté un dépassement : tous les soignants, quels que soient les statuts, ont protégé les malades. Sans compter. Nous les avons vus, alors que s’évanouissaient les financiers, les informaticiens, les statisticiens, et tous les technocrates qui prétendaient parler au nom de l’hôpital et ne juraient que par le paiement à l’acte ou autres visions mortifères. Ce secteur s’est soudain pris en charge dans une forme d’autogestion, que le pouvoir va maintenant s’empresser de faire oublier…
Outre la santé, quelle question soulève en priorité ce moment pandémique ?
La toile du vivant. La question de la terre, donc de l’agriculture et de l’alimentation, non pas du point de vue simplement technique et commercial, mais comme vision du monde. Notre modernité a voulu réduire au maximum le secteur primaire, considéré comme un signe de sous-développement. Or la crise économique et sociale globale qui vient, l’explosion des inégalités vont se traduire par des pénuries alimentaires planétaires. Alors se posera la question du sol qui nous nourrit, dont nous avons usé et abusé. Cette terre victime de la bétonisation comme de l’artificialisation doit faire l’objet d’une reprise, dans l’esprit des communs. C’est une urgence écologique et sociale.
N’y a-t-il pas là quelque chose d’archaïque : « La terre, elle, ne ment pas. Elle est votre recours » ?
Retrouver un sentiment d’appartenance à la terre, ce n’est pas régresser vers les années 1930 et les mouvements agrariens vecteurs du fascisme, ni vers Philippe Pétain et son discours de juin 1940 que vous citez avec malice.
Ce n’est pas un archaïsme – c’est le nier qui est archaïque ! –, c’est plutôt atterrir, pour reprendre le titre d’un essai de Bruno Latour. C’est habiter la terre plutôt que de la coloniser. Il ne s’agit pas d’un « retour », ni d’un « recours » à la terre ou aux forêts, mais de l’apprentissage à la fois de notre appartenance à des milieux, à des communautés biotiques, et de l’altérité radicale de la Terre, de la part sauvage du monde. C’est refuser la marchandisation de la biodiversité sur laquelle nous avait avertis Karl Polanyi : cette façon de découper en morceaux la nature pour bâtir un marché du vivant.
Le monde d’après sera celui de la pandémie. Ce qui ne veut pas dire qu’il faut, dans une logique dite néodarwiniste propre au discours néolibéral, s’adapter. Il faut prendre en compte le réel au lieu de prétendre glisser sur lui jusqu’à en oublier d’être terrestres. Il faut cesser de nous croire une espèce à part, en droit et à même de dominer les autres. Il faut donc en finir avec cet archaïsme barbare et sa dimension utilitariste.