Marxime Chervaux, Médiapart, 31 juillet 2020
Le 30 juillet, Donald Trump a émis la possibilité d’un report de l’élection présidentielle américaine. Si le potentiel déstabilisateur de la stratégie trumpienne est pour le moment limité, le président fait le pari d’une campagne violente pour mobiliser ses électeurs et, en cas de défaite, limiter au maximum la capacité de son successeur à réformer l’Etat américain en cherchant à rendre son élection et son mandat électoral illégitimes, et en préparant la résistance conservatrice (physique) à sa politique.
Très rapidement, les journaux américains et internationaux ont supputé la prorogation du mandat du président même si un tel décalage est improbable et si Trump n’a, au demeurant, aucun pouvoir décisionnaire sur l’organisation des élections.
La chronologie de l’élection présidentielle est gravée dans la Constitution
L’élection présidentielle suit un calendrier précisément établi par la Constitution américaine et par une loi de 1845. Elle est ainsi organisée le premier mardi du mois de novembre – ou le 8 si le premier mardi est le 1er novembre – au même moment dans tous les Etats. Seule une loi votée par la Chambre des représentants (à majorité démocrate) et le Sénat (à majorité républicaine) peut décaler cette date, ce qui est très improbable.
Mais imaginons une seconde que le Congrès accepte un report. Donald Trump ne verrait alors pas son mandat étendu pour autant. Depuis l’adoption du XXème amendement, en 1933, le mandat du président arrive à son terme le 20 janvier à midi, un impératif qui ne pourrait être levé qu’en modifiant la Constitution, c’est-à-dire après adoption d’un amendement à la majorité des deux-tiers de chacune des chambres du Congrès puis par 38 Etats américains. Même si l’élection est reportée, Donald Trump redeviendra, quoiqu’il arrive, un simple citoyen le 20 janvier prochain, et les Etats-Unis seraient sans président.
A ce stade, il y a un vide juridique. Comme l’explique le professeur de droit Alan Dershowitz, l’alternative la plus crédible serait d’appliquer la procédure de vacance du pouvoir telle qu’elle est prévue par le XXème amendement. Mais le vice-président serait également arrivé au terme de son mandat, et la présidente de la Chambre, la démocrate Nancy Pelosi, troisième dans l’ordre de succession, ne pourrait prendre sa place car son mandat prend également fin le 3 janvier. Finalement, le Sénat se retrouverait privé des 35 sénateurs dont le mandat est à renouveler cet automne. Ironiquement, un Sénat à 65 serait alors dominé par les démocrates, et ils seraient en mesure de choisir le président pro tempore, ce qui placerait donc un démocrate à la Maison blanche – de quoi décourager les républicains de laisser l’élection en suspens.
Donald Trump cherche à délégitimer son possible successeur
Somme toute, c’est le « vote par correspondance universel » (mail-in voting) – l’envoi automatique d’un bulletin de vote par correspondance à tous les électeurs – qui est au cœur des attaques du président.
La pandémie a convaincu de nombreux Etats d’étendre le droit de vote par correspondance au-delà des électeurs absents, malades ou dans l’impossibilité de se déplacer. L’Ohio a même décidé l’organisation d’une primaire entièrement par correspondance en avril. La question se pose maintenant d’étendre de telles mesures au vote du 3 novembre, alors que les conditions sanitaires d’un vote en personne semblent difficiles à remplir face à la propagation toujours très élevée du virus.
Si le président a lui-même souvent utilisé le vote par correspondance, et si des Etats républicains vastes et peu peuplés l’ont généralisé depuis des années (comme le Montana, l’Utah ou l’Arizona), Trump décrit l’envoi systématique de bulletins de votes à tous les électeurs sur les listes électorales comme une tentative de corrompre l’élection, alors même que la fraude demeure très anecdotique. Au contraire, les primaires du printemps ont vu un nombre record de bulletins refusés pour des raisons diverses (signature pas identique, absence de tampon postal etc.).
Au demeurant, la perspective de « l’élection la plus INEXACTE ET FRAUDULEUSE de l’histoire » est une barre difficile à atteindre lorsque l’on a en tête la corruption endémique de la vie politique américaine au 19ème siècle, le travail des machines républicaines et démocrates du Sud et de Chicago en 1960, où même les obstacles très importants et toujours très présents au droit de vote des minorités noires et hispaniques aux Etats-Unis.
En réalité, cette menace est brandie par le président pour délégitimer l’élection en cas de victoire démocrate. Cette stratégie est à l’œuvre depuis plusieurs semaines et prend de l’ampleur à mesure qu’il descend dans les sondages face à Joe Biden. Dans cette optique, il expliquait déjà en juillet ne pouvoir s’engager à reconnaître une éventuelle victoire de son adversaire.
Naturellement, cette stratégie trumpienne est utilisée par le camp démocrate pour mobiliser ses électeurs. Joe Biden expliquait ainsi à Trevor Noah, du Daily Show, qu’il était persuadé que Donald Trump « allait essayer de voler cette élection ».
Une stratégie aux relents racistes et xénophobes
Cette stratégie s’inscrit dans la continuité de 2016, lorsque « l’Etat profond » (Deep State) et les « élites libérales » de Washington D.C. étaient au cœur des attaques du candidat républicain.
Il réactive ainsi un anti-étatisme radical nourrit des tropes racistes et xénophobes qui habitent la politique américaine depuis toujours. Alors que les Etats-Unis font le deuil du représentant John Lewis, figure du mouvement des droits civiques, Donald Trump cherche son salut électoral dans la droite réactionnaire et raciste américaine qui s’en est pris aux mouvements politiques et sociaux des années 60, défend toujours les violences policières contre la population noire, les rafles de sans-papiers hispaniques, et même ses représentants les plus radicaux et violents qui défilaient très publiquement à Charlottesville en 2017.
On retrouve aussi ici la trace du mouvement Tea Party qui a œuvré à délégitimer Barack Obama au tournant des années 2010 en le comparant à un nazi, en le décrivant comme musulman pour le décrédibiliser et ainsi questionner sa citoyenneté américaine (Donald Trump était alors au premier rang des birthers, ces individus demandant au président de publier son acte de naissance). Mark Meadows, le nouveau directeur de cabinet du président est d’ailleurs un membre influent de la synthèse entre les Tea Party et le Parti républicain.
Le moment est stratégiquement choisi par Donald Trump, car ses propos « nativistes, racistes, et sexistes » – et ses références codées au suprémacisme blanc et masculin – préparent son électorat à réagir au choix, dans les tous prochains jours, d’une femme, peut-être noire, comme candidate à la vice-présidence aux côtés de Joe Biden.
Cette volonté plutôt timorée « d’agiter la chemise tâchée de sang » pour mobiliser des électeurs grâce à des tropes racistes et xénophobes bien connues (et des références fréquentes aux confédérés) fait d’ailleurs des émules : ici, le spot publicitaire du sénateur républicain de Géorgie qui montre son opposant, un démocrate de religion juive, avec un nez discrètement grossi – ou là, le spot du sénateur républicain de Caroline du Sud qui présente son adversaire noir avec une peau retouchée pour paraître plus foncée …
Finalement, si le potentiel déstabilisateur de la stratégie trumpienne est pour le moment limité, le président fait le pari d’une campagne violente pour mobiliser ses électeurs et, en cas de défaite, limiter au maximum la capacité de son successeur à réformer l’Etat américain en cherchant à rendre son élection et son mandat électoral illégitimes, et en préparant la résistance conservatrice (physique) à sa politique.