KHEDIDJA ZEROUALI, Médiapart, 12 octobre 2020
«Ici, on force les salariées à porter une jupe. McDo macho. » « Managers agresseurs, McDo complice. » « Trans à McDo, c’est chaud. » Le 9 mars dernier, des colleurs discrets recouvrent les murs de plusieurs restaurants, ou leurs alentours, de la célèbre chaîne de restauration rapide américaine. Des militants du collectif McDroits distribuent des tracts. On y lit : « Marre de la jupe obligatoire » ; « Marre de devoir sourire et être jolie ». « Équipiers·ères polyvalent·e·s, hôtesses à McDo en avons assez de subir des remarques, des pressions, parce que femmes », dénonce la trentaine de salariées, qui se sont regroupées pour dénoncer le management chez McDo.
Mediapart et StreetPress (ici et là) ont enquêté pendant plus de deux mois sur le management au sein de différents restaurants McDo et, notamment, sur la gestion des récits de violences sexistes et sexuelles faits par leurs salariées. Au total, nous avons recueilli 38 témoignages de salarié·e·s qui se présentent comme victimes d’un management violent et, très souvent, sexiste. Des récits parfois très durs à entendre et à lire.
Ils s’ajoutent aux 40 collectés par le collectif McDroits et l’association React. Ceux-ci estiment que 25 d’entre eux renvoient à des faits pouvant s’apparenter à des actes de harcèlement sexuel, 24 à des faits de harcèlement moral et 7 à des agressions sexuelles (voir notre Boîte noire).
Le groupe, déjà visé par des accusations similaires dans plusieurs pays et par une plainte déposée devant l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques, chargée de promouvoir les politiques qui amélioreront le bien-être économique et social partout dans le monde) pour « harcèlement sexuel systémique », a refusé de répondre à nos questions détaillées. Par mail, la direction a fait savoir que « l’enseigne se refuse […] à tout commentaire de situation individuelle, d’instruction interne ou juridique qui serait en cours. De la même manière, McDonald’s ne peut cautionner que de fausses accusations soient publiquement proférées envers ses collaborateurs ».
La chaîne américaine, dont le slogan est « Venez comme vous êtes », ajoute que « McDonald’s France condamne avec une grande fermeté tous comportements à connotation sexuelle ou sexiste, tous comportements qui porteraient atteinte à la dignité des personnes en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, et tous comportements qui créeraient une situation intimidante, hostile ou offensante ».
Les témoignages sont pourtant accablants, allant des remarques déplacées, ou des insultes, relatives au genre, à l’origine, à l’orientation sexuelle, à la transidentité, aux violences sexuelles les plus graves.
Dans certains restaurants, dont certains sont des franchises, plusieurs témoignages rapportent que des propos à connotation sexuelle font partie du quotidien. « Le sexisme semble être le dénominateur de beaucoup de comportements discriminatoires dénoncés par les salarié·e·s », explique le collectif McDroits dans une note de synthèse qui évoque « un climat particulièrement sexiste dans l’entreprise McDonald’s ».
Ainsi, cette chargée d’accueil au sein d’un restaurant McDo indique, dans un témoignage écrit transmis par le collectif McDroits, que son manager ne l’a recrutée « que pour la taille de [sa] poitrine ». Une autre, dans un autre établissement, dit qu’un directeur lui « répondait par des remarques sexuelles » très crues.
Toujours selon McDroits, « dans plusieurs [restaurants] les salarié·e·s noir·e·s, arabes, ou encore les femmes qui portent le voile, sont sujets de mépris ou de déshumanisation ». Dans sa note, consultée par Mediapart, il donne cet exemple, anonymisé : « Le nouveau franchisé a dit : “On va blanchir tout ça.” Et il a commencé à virer tout le monde, tous les Noirs et les Arabes. »
Un autre témoignage assure que l’insulte « Bamboulas » était fréquente dans son restaurant.
« Des propos stigmatisants à l’égard des équipiers·ères homosexuels·les ou bisexuels·les font aussi partie des pratiques courantes à McDo », assure McDroits dans sa note de synthèse.
Laure* a 21 ans, elle est équipière dans un McDonald’s de la région parisienne pour payer ses études. Elle dit sa déception, sa colère aussi. « J’ai la sensation qu’on a voulu me faire taire. »
Son récit est difficile à entendre. Dès ses débuts, en 2018, elle dit qu’elle ne se sent pas en sécurité en présence de son manager, P. « Il se colle à nous. Quand il passe, il frôle souvent mes seins et mes fesses », rapporte-t-elle à Mediapart. « Des équipières se sont plaintes de son attitude tactile et beaucoup (même des équipiers) protestent contre ses réflexions humiliantes », nous a écrit l’une de ses collègues, Leïla*.
Au total, sous couvert d’anonymat (voir notre Boîte noire), quatre salarié·e·s de ce restaurant nous ont livré un récit similaire.
Jean a posé sa démission en cette rentrée 2020, après avoir passé trois ans à y travailler : « Dans ce restaurant, il y avait souvent des blagues sur le physique des femmes, des équipières et des clientes. » Lilian*, étudiant-salarié, collègue et proche de Laure, a été témoin, à plusieurs reprises, du comportement de P. : « Auprès d’autres collègues féminines aussi il avait des regards, des remarques, des commentaires déplacés… »
Un soir de décembre 2018, les équipiers décident d’aller boire un verre après le service et se rendent dans l’appartement d’un des salariés, selon plusieurs personnes interrogées. Puis, d’après leurs récits, plusieurs d’entre eux se seraient prêtés à des jeux, dont une variante alcoolisée du strip poker. À chaque fois que le joueur n’a plus de jeton, il retire un vêtement.
Selon le récit qu’elle a fait à plusieurs collègues interrogés par Mediapart, Laure raconte : « Je me retrouve seule avec P. Il me parle de ma poitrine, il me touche les seins, alors que je répète que je ne veux pas et que je le repousse. J’ai peur qu’il se venge de mon refus au travail mais je lui dis que je ne veux pas, plusieurs fois. Puis il se met derrière moi. Il retire ma culotte et il me doigte, toujours sans mon accord. J’étais pétrifiée, je ne voulais pas, je n’arrivais plus à parler. » P. aurait quitté la soirée quelques minutes plus tard.
Interrogé par Mediapart, à plusieurs reprises, P. a d’abord accepté de nous rencontrer, avant de finalement refuser de répondre à toute question.