Entretien avec Majd Kayyal, chercheur et écrivain palestinien de Haïfa. Propos recueillis par Imen Habib, coordinatrice de l’Agence Média Palestine, source d’informations alternatives et de défense des droits du peuple palestinien.
Le plan d’annexion de secteurs de la Cisjordanie a été suspendu à la mi-août après l’accord entre Israël et les Émirats arabes unis. Quel est l’objectif de Nétanyahou ?
Nétanyahou s’inscrit dans la vision coloniale sioniste : maintenir le contrôle total sur le peuple et la terre de la Palestine historique. L’objectif premier est de priver le peuple palestinien de l’autodétermination, comme exprimé dans la loi « État-nation du peuple juif ». Cet objectif exige une fragmentation systématique de notre société, de notre géographie, de notre économie et, par conséquent, l’écrasement de l’organisation politique palestinienne. Cela se produit sur le terrain avec un isolement total de Gaza, l’imposition d’un contrôle israélien absolu sur Jérusalem et l’annexion de facto de la zone C de la Cisjordanie, sans parler de la ségrégation historique des citoyens palestiniens d’Israël et de l’expulsion des réfugié·e·s.
Netanyahou profite du moment historique des contre-révolutions qui affaiblissent la région arabe. Israël célèbre son alliance avec les puissances qui empêchent la démocratisation, mènent des attaques brutales contre les droits humains et politiques. Depuis le début du printemps arabe, nous assistons à une coordination sans précédent entre Israël et les régimes oppressifs comme les Émirats arabes unis, le régime saoudien et l’Égypte de Sisi. Cette coordination signifie l’établissement de l’axe de l’oppression, sous le drapeau de la prospérité capitaliste néo-libérale, et un intérêt commun d’écraser l’aspiration du peuple arabe à la liberté et à la dignité, aux droits sociaux et politiques.
Trump a montré au cours des quatre dernières années combien il est un ardent défenseur du projet colonial israélien. L’histoire politique montre que le parti démocrate n’est pas non plus un allié du peuple palestinien. L’émergence de nouvelles figures à la gauche du parti, peut-elle changer la situation ?
À mes yeux, aucune transformation effective n’est attendue du parti démocrate. Sous leur administration, les crimes de guerre d’Israël ont reçu un soutien total. Chaque processus politique mené par leur administration était basé sur les principes coloniaux de partition, niant aux réfugiés un droit substantiel au retour et prenant le paradigme raciste de l’« État juif » pour une évidence.
Cependant, de nouveaux discours et mouvements émergent aux États-Unis ; Black Lives Matter, qui a adopté le BDS, est l’un d’entre eux. Ces mouvements sont capables d’inspirer et de coordonner un changement radical. Les Palestiniens aux États-Unis font partie de ce changement, et ils placent notre cause au cœur des luttes américaines, en la faisant revivre comme un argument central pour comprendre les politiques impériales… La lutte palestinienne pour la liberté s’épanouira sur le sol de ces mouvements, et non sur le terrain de jeu de la colline du Capitole.
Le peuple palestinien semble n’avoir jamais été aussi isolé sur la scène internationale. Quelle stratégie peut-il suivre pour sortir de cet isolement ?
Malheureusement, après la défaite de la deuxième Intifada, l’Autorité palestinienne a fini par être le produit de l’occupation israélienne. Pendant des décennies, Israël a façonné notre organisation politique en assassinant tout dirigeant engagé dans la lutte, ou du moins en le mettant en prison – Marwan Barghouthi en est un exemple – ne laissant que « les élus » à bord. La nouvelle génération de Palestiniens doit reconnaître ce fait et explorer de nouveaux horizons pour la lutte. Nous devons réaliser comment nos institutions ont été conçues par la puissance coloniale, dans son intérêt.
L’exclusivité de paradigme de la souveraineté dans le cadre du partage doit également disparaître ; la focalisation sur la revendication d’un État sur le territoire de 1967 s’est avérée être un moyen d’éliminer deux éléments fondamentaux de la cause palestinienne : le droit au retour des réfugiés et l’opposition à la suprématie raciste de l’« État juif ».