Mercredi passé, des centaines de partisans du président américain sortant Donald Trump ont pénétré de force dans les bâtiments du Capitole, siège du gouvernement américain et bastion de la démocratie américaine, pour tenter d’empêcher la certification de la victoire de Joe Biden.
Sur leur chemin, les assaillants armés ont brisé des vitres et vandalisé les bureaux de certains législateurs. Quatre personnes sont mortes, dont une femme qui a succombé à une blessure par balle dans des circonstances encore floues, tandis que cinquante-deux personnes ont été arrêtées pour port d’armes illégal ou violation du couvre-feu et entrée illégale.
Devant les bâtiments du Capitole, les manifestants venus afficher leur soutien à leur commandant en chef brandissaient des drapeaux américains, confédérés et israéliens ; ils criaient des slogans et tenaient des pancartes qualifiant de frauduleux les résultats des élections de novembre, selon les instructions de Trump.
Trois heures plus tard, le calme est finalement revenu à Capitol Hill. Par crainte de nouveaux troubles, Washington D.C. a fait l’objet d’un couvre-feu de douze heures élargi à l’ensemble de la ville.
Un acte « contraire aux valeurs américaines »
Alors que les événements ont fait la une des journaux du monde entier, suscitant des réactions d’inquiétude mais aussi quelques notes d’humour chez ceux qui ont l’habitude de recevoir des leçons de démocratie et d’État de droit de la part des responsables politiques américains, l’indignation des Américains – le président élu Joe Biden en tête – semble s’être concentrée sur l’idée d’un épisode « contraire aux valeurs américaines ».
C’est une complainte qu’ont répétée presque tous les camps de l’establishment politique, mais aussi les médias et les experts de tous horizons. « Imaginez ce que cela montre au reste du monde », a écrit Ben Rhodes, ancien assistant du président Barack Obama. « Ce n’est pas Kaboul, c’est l’Amérique », a lancé un correspondant d’ABC lors d’un reportage en direct.
Mais ces événements forment le témoignage le plus fondamental de l’âme de l’Amérique.
Sans la moindre ambiguïté, ils montrent que l’Amérique blanche se croit tellement tout permis et protégée qu’elle peut littéralement pénétrer armée dans le siège du gouvernement, défoncer ses portes, tourmenter des fonctionnaires et être traitée comme une foule de patriotes dérangés plutôt qu’une bande de criminels.
Selon certaines informations, la police a tenté de leur barrer la route, notamment en utilisant du gaz lacrymogène. D’autres indiquent que la police ne s’est pas suffisamment interposée. De nombreuses sources montrent que des policiers ont même pris des selfies avec les assaillants.
Le « mythe de l’Amérique »
Ces événements donnent également un aperçu du mythe éternel qu’est l’Amérique.
« Les résultats d’élections ne sont ainsi contestés que dans les républiques bananières – pas dans notre république démocratique », a déclaré l’ancien président américain George W. Bush après les événements de mercredi. Voir Bush – membre de la première dynastie politique américaine et responsable du terrorisme d’État perpétré par les États-Unis en Irak – affirmer que contester une élection est une tradition pratiquée « ailleurs » (et être cité sérieusement à ce sujet) est une absurdité en soi. L’invasion américaine a fait au moins 500 000 morts.
Pour tenter d’expliquer la tournure tumultueuse des événements au Capitole, les médias américains reprendront à l’infini le trope de la « république bananière », démontrant par la même occasion que l’amnésie historique est devenue une affection chronique aux États-Unis.
L’incrédulité du monde politique ou des médias face au fait qu’un événement tel que l’assaut du Capitole ait pu se passer en Amérique est quelque chose d’étrange, étant donné que cette même Amérique piétine chaque jour ses communautés les plus marginalisées.
C’est cette même Amérique qui est retenue en otage par le lobby des armes, la droite chrétienne et le lobby israélien. C’est cette même Amérique qui colporte l’antisémitisme et l’islamophobie, entraînant ainsi une augmentation des crimes de haine dans le pays. C’est cette même Amérique qui permet aux grandes entreprises de s’en prendre à la santé et aux moyens de subsistance des gens.
Sous Trump, le COVID-19 a tué plus de 357 000 personnes, principalement des Afro-Américains et des personnes de couleur, dont beaucoup étaient des travailleurs de la classe ouvrière ou des secteurs essentiels, condamnés à l’effacement par leur apparence ethnique et la pauvreté. Et aucune aide plausible n’est encore accordée à ceux que ces personnes laissent derrière elles. Ainsi, qu’y a-t-il de si embarrassant ou choquant à ce que des suprémacistes blancs envahissent le gouvernement étant donné qu’ils sont le gouvernement ?
En vérité, il ne s’agissait pas d’une tentative de coup d’État, comme certains l’ont décrit. Ils ne sont pas venus menacer la base morale de l’Amérique ; ils sont venus la préserver. Au dire de tous, aussi terrifiants qu’ils aient pu être, ils n’étaient guère plus que des sous-fifres de l’État suprémaciste blanc lui-même.
Sinon, pourquoi auraient-ils échappé à un usage disproportionné de la force tel que nous le voyons dans les protestations contre le racisme ? En sortant, ils sont passés devant la police.
« Arrêtez de détourner le regard »
« Ce n’est pas l’Amérique. Non. C’est l’histoire des États-Unis faite d’esclavage, d’incarcérations de masse, de détention et d’exploitation d’immigrés, de suprématie blanche et de patriarcat, de suppression d’électeurs et de privation de droits », a écrit Melissa Castillo Planas, professeure adjointe d’anglais au Lehman College de New York.
« Arrêtez de détourner le regard. Nous ne sommes pas une démocratie et ne l’avons jamais été », a-t-elle ajouté.
Mercredi soir, des législateurs démocrates ont déclaré qu’il était temps de faire en sorte que Trump soit destitué immédiatement. La représentante Ilhan Omar a déclaré qu’il s’agissait de « préserver la république ». Ilhan Omar a été victime d’attaques ignobles de la part de Trump et de ses partisans, sa vie ayant même été menacée. Cependant, les actes de violence contre les législateurs – et même les présidents – n’ont pas débuté sous Trump. Cette république est fondée sur la violence.
Même à ce stade, mettre les malheurs de la république sur le dos de Trump revient à souhaiter une fois de plus le rêve américain, un rêve qui est fabriqué dans ces mêmes salles qui ont été prises d’assaut mercredi. Cela revient à imaginer une fois de plus que Trump et ses partisans sont une aberration, un simple dysfonctionnement de ce système.
En se débarrassant de Trump, on n’accélérera pas le retour à une Amérique dont tout le monde se souvient avec tendresse.
Parce que cette Amérique n’existe pas.
– Azad Essa est un journaliste travaillant pour Middle East Eye et basé à New York. Il a travaillé pour Al-Jazeera English de 2010 à 2018, couvrant le sud et le centre de l’Afrique. Il est l’auteur de The Moslems are coming (HarperCollins India) et de Zuma’s Bastard (Two Dogs Books).