Extrait du rapport de la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme (2017)
Le gouvernement canadien s’apprête d’ici les prochains mois à déployer des hélicoptères et 200 militaires au Mali dans le cadre d’une Mission des États-Unis (MINUSMA) qui compte 12 000 soldats sur le terrain. Cette mission fait suite à plusieurs interventions militaires de la France depuis le début de la décennie. Par ailleurs, les investissements canadiens au Mali sont importants, plus d’un milliard de dollars (2014), notamment de la multinationale IAMGOLD, basée à Toronto.
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Depuis 1990, l’extraction d’or est devenue une activité économique majeure du Mali, et la deuxième source de revenus d’exportation après le coton. Cette rapide croissance a suscité de nombreux espoirs de développement, espoirs encore renforcés par le boom du cours de l’or sur les marchés mondiaux depuis
quelques années. Activité économique à fort potentiel, l’exploitation de l’or pourrait en effet contribuer à l’amélioration de la situation des droits en créant de l’emploi dans le secteur minier et en ayant un effet d’entraînement sur d’autres secteurs de l’économie. Elle devrait également améliorer les ressources de l’Etat, et donc sa capacité à assumer des dépenses utiles pour la société (éducation, santé, infrastructures, etc.). Enfin, l’implantation d’une industrie extractive s’accompagne souvent de programmes de développement locaux destinés à atténuer ou compenser les effets, notamment environnementaux, de l’activité minière.
Pourtant, sur tous ces aspects, la contribution du secteur minier au développement malien est très faible, voire négative. Le Mali reste pauvre, très pauvre, presque le plus pauvre : il se situe au 175ème rang sur 177 Etats en terme de développement humain. Troisième producteur d’or du continent, il a un PNB par habitant de 380 dollars contre 745 en moyenne pour l’Afrique subsaharienne.
Derrière ces données économiques, une réalité sociale faite de violations quotidiennes de nombreux droits humains essentiels : près d’un tiers de la population ne mange pas à sa faim, moins d’une personne sur deux a accès à l’eau potable, seule une personne sur cinq est alphabétisée, plus d’un nouveau-né sur dix meurt avant l’âge d’un an et l’espérance de vie est de 48 ans.
Comment expliquer que l’or malien profite aussi peu à la population ? D’abord par la position de force des entreprises, qui parviennent à gagner sur tous les tableaux : elles mettent sur le devant de la scène leurs actions volontaires en faveur des communautés locales, menées au titre de leur « responsabilité sociale et environnementale » (RSE), alors même que ces programmes n’ont que des résultats limités et parfois pervers ; dans le même temps, elles obtiennent en coulisses des exemptions fiscales et sociales leur permettant de tirer le meilleur profit de leur activité, et vont parfois jusqu’à commettre des violations des réglementations existantes lorsque celles-ci leur paraissent trop contraignantes.
Un autre facteur d’explication est à chercher dans le fonctionnement même du secteur aurifère malien, qui a peu d’effet d’entraînement sur le reste de l’économie. Ce secteur est en effet largement coupé des autres secteurs économiques et complètement tourné vers l’exportation. A côté de la monoculture du coton, le Mali a ainsi développé une « monoculture de l’or », autre ressource primaire destinée à être transformée et commercialisée à l’étranger. Ce qui est en cause ici, c’est le modèle de développement économique mis en oeuvre par les gouvernements successifs, sous l’influence des institutions financières internationales.
Enfin, cette situation tient à la position de faiblesse et à l’ambivalence de l’Etat, qui a pourtant la responsabilité première des orientations données au développement national et de la réalisation des droits économiques et sociaux de la population. Alors même qu’il est doté de peu de moyens et qu’il connaît une corruption endémique, l’Etat malien voit son rôle affaibli par le fonctionnement du secteur minier, dans lequel il est passé du rôle de propriétaire à celui, schizophrénique, de régulateur et percepteur d’une part, et d’actionnaire d’autre part. Faute de le pouvoir ou de le vouloir, l’Etat ne remplit donc pas son rôle de régulation et de contrôle de l’activité des entreprises, ni de répartition des revenus nationaux au bénéfice de la population.
L’or est un produit primaire à faible valeur ajoutée, qui n’irrigue que très peu l’économie nationale. Cette tendance à l’autarcie est aggravée au Mali par les travers structurels de l’économie : enclavement, délabrement des infrastructures et sous-industrialisation. Tout l’or produit au Mali est en effet exporté vers l’Afrique du sud (à 59,2%) et la Suisse (à 40,8%). Le secteur aurifère n’a ainsi donné naissance à aucune activité locale de transformation, qui aurait pu être source d’emplois, d’investissements technologiques, de développement d’infrastructures, ou d’activités pour les fournisseurs. Au Mali, l’or constitue donc une rente, et non une source de développement industriel. Par ailleurs, le secteur minier n’est que faiblement créateur d’emplois. Il ne fait travailler que 12 000 personnes, soit à peine un dizième des salariés du secteur formel, tandis que le coton emploie 3,3 millions de personnes.
Au début des années 1990, la Banque mondiale prônait le développement du secteur minier en Afrique pour doper la croissance du continent. En même temps, elle concluait à l’incapacité des Etats africains de posséder et gérer cette activité économique qui exige des investissements importants. La Banque mondiale a donc prescrit de privatiser le secteur et d’attirer les investisseurs privés, qu’elle juge seuls à même d’en assurer la compétitivité.
Dès lors, les autorités maliennes n’ont pas ménagé leurs efforts pour séduire les investisseurs internationaux en leur accordant des aides financières ou en adoptant des réglementations qui leurs sont favorables. Le code de 1991 offre ainsi la gratuité des cinq premières années d’activités sur le sol malien : les entreprises ne paient ni TVA, ni taxe sur les prestations de services, ni impôt sur les bénéfices. Les entreprises peuvent également librement transférer leurs bénéfices sur des comptes étrangers. D’après la Banque mondiale, le Mali qui fait le mieux en Afrique subsaharienne pour la protection des investisseurs. Ces exemptions fiscales et les autres privilèges accordés aux entreprises sont pourtant lourds de conséquences pour le budget de l’Etat mais aussi pour ce développement économique (le rapatriement des capitaux nuit par exemple au développement du secteur bancaire), voire pour les conditions de travail et de vie de la population. Par ses investissements directs, ses prêts et ses garanties de crédits, la Banque mondiale a également contribué activement à l’implantation d’investisseurs étrangers6. Elle reconnaît cependant aujourd’hui que les efforts des pays pour attirer les investisseurs étrangers étaient largement vains et que le développement du secteur minier n’a pas vraiment contribué à la réduction de la pauvreté et au développement durable.
Aujourd’hui, le secteur aurifère malien reste dominé par les investisseurs étrangers : trois géants internationaux : Anglogold Ashanti, Rangold et la canadienne IAMgold, sans compter une quinzaine de juniors, la plupart canadiennes, explorent les zones encore en friche à la recherche de nouveaux gisements. L’extraction de l’or malien est particulièrement profitable pour ces entreprises : outre qu’elles bénéficient de généreuses exemptions fiscales, l’or malien est le moins cher et le plus rentable d’Afrique. Parce qu’elles sont à ciel ouvert et que les salaires sont faibles, et bien que le Mali soit enclavé et affiche des prix de l’électricité exorbitants, les mines maliennes sont très compétitives.
IAMGOLD Corp. est une société minière canadienne basée à Toronto et cotée à la Bourse de Toronto. Elle est engagée dans l’exploration et l’exploitation d’or. En Afrique on la retrouve notamment en Afrique du Sud et au Mali où elle détient 38% des intérêts dans la Société d’Exploitation des Mines d’Or de Sadiola (SEMOS). SEMOS possède la mine d’or de Sadiola, située à environ 70 km au sud de Kayes, au Mali. |