Le succès de la Chine en Afrique dérange Paris et Washington

Les présidents chinois et américain : Xi Jinping et Joe Biden.

Retardée par la chute de Kaboul, la tournée africaine (Nigeria, Sénégal et Kenya) du secrétaire d’État américain, Antony Blinken, a enfin eu lieu, parsemée de petites piques envers le géant chinois et de déclarations d’intentions. Alors que Pékin envisage des concertations sino-africaines concrètes à Dakar, Washington promeut un sommet virtuel sur les démocraties, et Paris s’émeut, via son ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, appelant à la création d’un “New Deal” avec l’Afrique pour lequel il n’y a ni schéma ni chiffres. “Nos concurrents n’ont ni tabous ni limites”, a affirmé Jean-Yves Le Drian, en désignant la Chine et la Russie, taxées de partenaires “prédateurs”.

Une manière, vieille, pour l’Occident d’enrober ses intérêts stratégiques (sécuriser ses sources d’énergie et s’assurer l’accès aux minerais et terres rares) derrière ses belles intentions civilisatrices et démocratisantes et son messianisme droit-de-l’hommiste.

En face, la Chine, destinataire d’un cinquième des exportations mondiales de matières premières, avance démasquée, le chéquier à la main. Lors du 7e Forum sino-africain, en 2018, le président Xi Jinping avait promis 60 milliards de dollars à l’Afrique dont une ligne de crédit de 20 milliards de dollars, un fonds de 15 milliards de dollars de financement des importations africaines, 15 milliards de dollars d’aide gratuite et de prêts sans intérêts, assortis d’un engagement à annuler la dette des pays les plus pauvres, des pays insulaires et enclavés.

Pendant ce temps, le locataire de la Maison-Blanche [Donald Trump] traitait les États d’Afrique de “pays de merde” et tentait, entre autres, de mettre le Rwanda au pas pour avoir envisagé d’interdire les friperies américaines dans le cadre de l’African Growth and Opportunity Act (Agoa) [le but de cette loi est de soutenir l’économie des pays africains par un accès facilité au marché américain à la condition qu’ils suivent les principes de l’économie libérale et de la démocratie], une loi de Bill Clinton lancée en 2000 et à l’efficacité discutable.

L’Occident a perdu le match

Alors que les grandes institutions financières occidentales réduisent la voilure sur l’Afrique (Barclays, BNP Paribas), les chinoises continuent de planter leur fanion en prévision de la route de la soie. Les entreprises de l’empire du Milieu dominent le secteur des infrastructures, où elles sont concurrencées non pas par leurs homologues d’Europe et d’Amérique mais par les groupes turcs et brésiliens.

Mais si l’Occident a perdu le match sur le terrain des infrastructures et du financement, il peut toujours le gagner sur le tapis vert à travers un arbitre comme le FMI, épouvanté par l’augmentation de l’endettement des pays africains vis-à-vis de Pékin. Le Ghana a eu à s’en expliquer. Le Congo et le Mozambique aussi. Djibouti beaucoup plus, lui qui a vu sa dette envers le pays de Confucius passer de 50 à 85 % du PIB en deux ans.

Selon le cabinet américain China Africa Research Initiative (Cari), installé à Washington, la Chine a prêté à l’Afrique un total de 125 milliards de dollars entre 2000 et 2016. C’est plus que ce que toutes les initiatives de la Banque mondiale, du FMI et du G20 promettent à l’Afrique à longueur de forums et d’initiatives.

Pragmatisme chinois et leçons américaines

En fait, le continent africain a affaire à deux concurrents : d’abord un partenaire pragmatique, qui a une surface financière intéressante et qui ne s’embarrasse pas de principes. Puis, en face, un ancien partenaire donneur de leçons et gardien des normes financières et commerciales mondiales (qui peuvent toujours être brandies) qui prétend voler au secours de l’Afrique.

Sans opter forcément pour l’un ou l’autre, à concurrence de la sauvegarde de ses intérêts, l’Afrique doit poursuivre son travail d’intégration, sa logique horizontale, qui lui permettra, à travers la Zone de libre-échange continentale africaine (Zleca), de parler d’une seule voix face aux logiques verticales de ses partenaires, qui veulent la cantonner dans son rôle de vivier de réserves pétrolières et minières et, tout au plus, d’enjeu géopolitique, à l’heure où les carottes semblent cuites en mer de Chine. Les réactions des officiels africains sont en tout cas explicites.

La Chine offre “une grande opportunité” à un pays ayant besoin d’infrastructures, a dit le ministre nigérian des Affaires étrangères, Geoffrey Onyeama, en écho aux déclarations du secrétaire d’État américain. Et d’enfoncer le clou :

“Nous serions allés avec n’importe qui d’autre fournissant quelque chose à un taux compétitif pour nous.”

Une déclaration à rattacher à celle du président rwandais, Paul Kagame, lors de la World Policy Conference, au Maroc, en octobre 2019 :

“L’Afrique n’est le prix à gagner ou à perdre pour personne. Pas du tout […]. Il est de notre responsabilité, en tant qu’Africains, de prendre en charge nos propres intérêts et de développer notre continent à son plein potentiel. En réalité, cela a toujours été la question principale. Nous avons attendu beaucoup trop longtemps, en fait, pendant des siècles.”

Le piège de la dette n’est pas que chinois

Limités dans leurs capacités d’endettement et ne pouvant plus donner de garanties souveraines aux bailleurs occidentaux (intransigeants sur cette question), les pays africains se tournent de plus en plus vers les Brics [groupe de pays émergents formés du Brésil, de la Russie, de l’Inde, de la Chine et de l’Afrique du Sud]. Et ce ne sont pas les cris d’orfraie à propos du “piège de la dette” qui les retiendront vu que, pour le moment, les principaux “pièges” semblent être les contrats signés avec certaines multinationales du Nord à travers les zones exclusives de règlement des différends que sont les tribunaux londoniens ou américains.

Le cas du dossier du Tchad face à Glencore [environ 90 % des droits d’exportation du pétrole du Tchad servent à rembourser sa dette envers la banque Glencore contractée en 2014 par la Société des hydrocarbures du Tchad] illustre suffisamment clairement la théorie du “piège de la dette”, théorie nourrie par la mauvaise gouvernance de nos États combinée à l’appétit vorace et sans pitié des partenaires.